Va-t-on regretter la taxe d'habitation?
- André Touboul
- 6 août 2017
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C'était un engagement de campagne, cette sorte de paroles qui s'envolent au vent des réalités du pouvoir. Mais, c'était avant. Avant Macron. La suppression de la taxe d'habitation, puisqu'il faut l'appeler par son nom sera chose faite. Doit-on s'en réjouir ?
Supprimer un impôt est toujours populaire auprès de ceux qui le supportent. Il est malaisé de s'opposer au tropisme de ce qui peut se révéler un miroir aux alouettes, en particulier en ces temps de matraquage fiscal, où tout adoucissement paraît bon à prendre. Il est encore plus délicat de critiquer une exonération que l'on dit destinée à ceux qui ont le plus de difficulté à joindre le deux bouts. Néanmoins s'agissant de la taxe d'habitation, l'importance des réserves suscitées par la mesure exige de passer outre ces préventions.
Aucun impôt n'est agréable, tous sont plus ou moins injustes ou vécus comme tels, mais il serait absurde de négliger l'importance du consentement à l'impôt qui est l'un des articles déterminants du contrat social. Tous les impôts ne sont pas sans vertus autres que comptables. La taxe d'habitation est de ces contributions privilégiées dont on voit le mieux la contrepartie.
Sa suppression partielle, au delà des questions qu'elle pose au regard de l'égalité devant l'impôt, est en réalité justifiée par des motifs politiques opportunistes, et l'on doit lui reprocher d'être tout à la fois une régression démocratique, un contresens culturel et une illusion économique.
Sur la foi des annonces faites, la taxe serait supprimée pour 80 % des ménages alors qu'aujourd'hui 85 % la paient. L'argument de solidarité envers les plus démunis n'est dès lors pas recevable, et il restera à démontrer pour ce qui en subsistera la constitutionnalité d'une taxe affectée à un service public dont la charge ne pèse que sur certains. Ce mécanisme n'étant pas assimilable à l'exonération pour insuffisance de ressources ou à l'application d'un barème, il faudra tout le savoir faire des caciques de Bercy pour éviter la censure du Conseil Constitutionnel qui pourrait se montrer d'autant plus sourcilleux que les Communes y sont farouchement opposées.
C'est, en effet, une promesse de don du telethon électoral faite malgré elles avec leurs ressources propres.
Il y avait d'autres moyens d'annoncer des largesses fiscales, mais taxe résidentielle est la plus répandue des contributions, et en cela la plus en évidence. En outre, son abolition participe d'une reprise en main des collectivités qui en dépendent par le contrôle de leur porte-monnaie. En cela, il s'agit d'une mesure de stratégie politique.
Assuré de maîtriser l'exécutif civil et militaire ainsi que le législateur de l'Assemblée Nationale, il reste au Président à investir le Sénat, indispensable pour mener à bien ses réformes constitutionnelles, car il est illusoire de compter sur le référendum, instrument auquel il ne faut, ces derniers temps, recourir qu'en tremblant.
Or le Sénat se prend par son corps électoral qui est le peuple des collectivités locales. La moitié de la Haute Assemblée doit être renouvelée au mois de septembre. Le temps presse. On maniera donc le bâton pour laisser espérer la carotte à ceux qui seront assez avisés pour se mettre "en marche" dans la bonne direction. Le duo Philippe/Macron a écrit et déjà joué sa partition, au Premier Ministre les mauvaises nouvelles, pour le Président le "donnant -donnant", les sourires et les baumes apaisants à la Conférence nationale des territoires. Le pari est néanmoins risqué car rien ne garantit que les conseillers municipaux ne se rebifferont pas. Il est vrai que le Président Macron n'envisage pas l'échec. À moins de considérer ses années de banque d'affaire comme une traversée du désert, il n'a pas connu cette étape que l'on dit essentielle dans la formation du caractère.
Cependant, la manœuvre se réalise au prix d'une re-centralisation jacobine, qui est vécue comme une régression démocratique. La critique de fond que mérite cette mesure est qu'elle instaure un nouveau champ de gratuité. Habiter ne coûte rien. Le lien du citoyen avec sa Commune passe principalement par un rapport monétaire. En supprimant la taxe d'habitation, on détruit la correspondance entre les services et aménagements collectifs et leur coût. Certes, il restera la taxe d'habitation des riches, si le Conseil Constitutionnel le permet. Ils seront qu'on le veuille ou non les plus légitimes à juger la gestion communale pour laquelle ils paraîtront les seuls à payer. Quant à l'impôt foncier dont il serait surprenant qu'il ne subisse quelques majorations subséquentes, il ne concerne que les propriétaires qui ne participent pas toujours à la vie locale.
Sans réelle représentativité fiscale, les Conseils Municipaux se réduiront vite à des assemblées grincheuses de cigales au chant plaintif déplorant la pingrerie des dotations étatiques.
La démocratie commence par le vote de l'impôt, elle se poursuit avec le choix des dépenses et se parachève par le contrôle de la dépense. Le lien entre ces actes est majeur. Supprimer la première étape est un mauvais coup porté à la démocratie locale.
Si les maires sont les derniers politiques à bénéficier de quelque crédit auprès des Français, cela tient à la proximité physique, mais aussi à ce rapport direct avec la personne à qui l'on confie son argent pour qu'il en fasse bon usage.
On ne réconciliera pas les citoyens avec l'impôt en le rendant invisible, en le dissimulant dans le prix comme le fait la TVA ou dans les rémunérations par le prélèvement à la source, mais en leur apportant la démonstration que leur effort est bien utilisé... Qu'il existe en quelque sorte un acceptable rapport qualité/prix.
Sous couvert de modernité, la gratuité de la résidence, plus encore que l'absence de participation de tous au train de vie de l'Etat par l'impôt sur le revenu, est en outre un contresens culturel.
Ce qui n'a pas de prix, n'a pas de valeur. On ne peut déplorer le manque de civisme, en appeler au comportement citoyen et tout uniment effacer le lien entre les charges de copropriété et le respect des parties communes.
Rien n'est plus onéreux que le gratuit. Par sa séduisante gratuité, internet s'est emparé de nos vies et de nos économies, il a boulversé le commerce, enrichi quelques uns mais aussi ruiné beaucoup. Contrairement aux apparences le web n'est pas gratuit, on le paie dans chaque produit acheté. La suppression du tiers payant dévalorise le statut social du médecin, à terme porte atteinte à la qualité de la médecine, et ne peut qu'aggraver le besoin de financement de la santé. Le médicament gratuit est-il aussi efficace que celui que l'on paye ?
La gratuité dans les transports coûte si cher en entretien que la lutte contre la resquille est devenue une obsession. La gratuité, ou du moins son illusion est une arme de destruction massive de la création culturelle. Elle est le fait de pirates. Elle n'est pas pour rien dans le développement des théories complotistes et autres fake news, abolissant la distinction entre médias sérieux qui ont un coût et les fariboles qui ne coûtent rien à produire et à diffuser. Le mal est si profond que tout ceux qui veulent continuer d'exister doivent aller sur le Net et en passer par la gratuité, au moins temporaire ou limitée.
Or, le monde d'aujourd'hui, celui dans lequel on vit et qui se profile aussi loin que porte l'horizon est celui de la concurrence et du juste prix.
Une fois dissipé le mirage du tout gratuit qui, de fait, a toujours un coût d'autant plus important qu'il est dissimulé, il faudra bien revenir à une sincérité économique que les démagogues ont tendance à occulter. Gageons que les taxes d'habitation supprimées renaîtront un jour, et peut-être sous une forme volontaire de groupes de citoyens qui acceptent de payer pour améliorer leur cadre de vie, leur sécurité, leurs services de proximité. Un effet peut en cacher un autre, derrière la largesse sociale on devine le retour à un service collectif réservé aux plus aisés.
Les vertus économiques enfin de la suppression de cette taxe sont largement surestimés. En fait de gaspillage, les Communes sont des exemples de bonne gestion comparées aux grandes agglomérations, aux Conseils départementaux, aux Régions et à l'Etat. On ne peut pas dire non plus que ce geste fiscal sera un coup de pouce à la croissance. En effet, il augmenterait sans doute le pouvoir d'achat des ex-contribuables si "en même temps" il n'était prévu d'augmenter la Contribution Sociale Généralisée. Coup nul, ou marché de dupes ? À juger sur pièces.
En toute hypothèse, inciter à la consommation pour stimuler l'économie par l'effet d'annonce est illusoire. Ce sabre de bois est maintenant émoussé, car les ménages ont peu de réserves et échaudés qu'ils sont, ils ne croient plus en la matière aux belles paroles des langues fourchues de ceux qui reprennent d'une main sans vraiment donner de l'autre. À supposer, enfin, qu'au bout du compte il y ait tout de même un gain réel de pouvoir d'achat, il n'est pas établi qu'il profite aux entreprises et à l'emploi plus qu'aux importations. Une fois encore, les calculs purement macroéconomiques qui sont les seuls que reconnaissent nos élites financières peuvent montrer leurs limites.
Toutes les promesses ne sont pas bonnes à tenir, même celles de campagne.
Figarovox 20/07/2017