Dépérissement de l’élite française et chemins de sa rédemption
- André Touboul
- 8 janv. 2018
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Libiamo ne lieti calici, (buvons dans ces joyeuses coupes). Le célèbre cœur de La Traviata n’est plus de saison, ce chant semblait avoir été écrit pour l’élite française, heureuse d’elle-même jusqu’à l’arrogance et jouissant sans scrupule de ses légitimes privilèges. Elle paraît aujourd’hui vouée à boire le calice jusqu’à la lie.
Les 5000 sont désormais amputés de près d’un millier d’élus réduits à la mendicité par la macronienne révolution. Nous avons assisté médusés à leur épuration.
Ce n’est pas le début, mais la continuation d’un processus de dévalorisation du Parlement injustement accusé de tous les maux, alors que depuis 1958 son rôle n’a cessé d’être amoindri. A l’exception des périodes de cohabitation, dont le quinquennat a opportunément (du point de vue des hiérarques) débarrassé le jeu politique, l’exécutif a exercé un pouvoir sans partage. Un confort sans égal auquel Mitterrand qui le dénonçait comme un Coup d’Etat permanent, s’était converti avec volupté.
Ce n’est pas la fin du voyage, il reste à administrer la dose de proportionnelle et infliger la réduction du nombre des parlementaires.
La proportionnelle, totale ou partielle est associée à l’idée de la paralysie de l’Etat, de la dictature des partis charnières, d’un retour à la Quatrième République... on l’a dit et redit. C’est aujourd’hui faux. En effet, sous la Cinquième, l’exécutif tient sa légitimité du Président et tout ce qui l’affranchit du Parlement le renforce. La proportionnelle conjuguée avec l’obligation de réunir une majorité alternative pour censurer le Gouvernement et l’arme fatale de l’article 49.3, n’est qu’un ultime moyen d’assurer sa tranquillité tant politique que juridique, pour le cas où la majorité présidentielle ne serait plus que relative. Par la multiplication des groupes, conséquence directe de la proportionnelle, le Gouvernement n’a plus besoin d’une majorité absolue.
Certes, il existe dans certains pays, un système de “censure constructive“, où la motion doit prévoir le nom d'un remplaçant au Chef de gouvernement renversé. C'est le cas de l'Allemagne, de la Belgique, de l'Espagne, de la Pologne et de la Tunisie. Mais dans aucun de ces États le Gouvernement ne procède d’un Président élu au suffrage universel. On se souvient que Gaston Monnerville, natif de Guyane comme Christiane Taubira mais rébublicain d’une autre dimension, notamment Président du Sénat de 1958 à 1968, qualifiait la réforme de 1962 instaurant l’élection populaire du Président de la République, de forfaiture, car elle instaurait un régime monocratique.
Le Parlement n’ayant plus de rôle politique, il est prévu de l’orienter vers un contrôle de l’efficacité de la loi. Une sorte de Cour des Comptes élargie. Le corolaire de cette figuration intelligente sera la réduction du nombre de parlementaires, non par souci d’économie comme les journalistes le répètent à l’envi, car la démocratie de se marchande pas, mais parce qu’ils n’auront plus d’utilité.
Pour faire court, on se contentera ici d'évoquer la mise sous tutelle financière des collectivités locales, menée à bien sous couvert de largesses fiscales faites aux Français.
On a assisté aussi, avec surprise pour certains, car ils nous avaient annoncé un déferlement de la rue, à la capitulation des élus syndicaux. La simple menace de se voir retirer la cogestion des organismes paritaires où ils s’entendent si bien avec les patrons que par ailleurs ils vouent aux Gémonies, a suffi.
Mais la purge de l’élite n’est pas achevée. Restent les communicants. Un millier de journalistes et sondeurs d’opinion qui se croient faiseurs de rois, et qui ne seront bientôt plus que ce qu’ils sont, des serviteurs de la vérité du monarque. Leurs critiques modestes de la communication présidentielle se perdent dans le brouhaha. La popularité ne les suit plus, elle les précède, et ils s’essoufflent à la suivre.
Le Président a qualifié impunément l’audiovisuel public de "honte de la République", et un plan d’épuration a été annoncé, sans provoquer une levée de bouclier et d’immédiates grèves préventives. Sans surprise également, la lutte programmée de la puissance publique contre les "fake news" en période électorale. No comment.
Après ce clystère, il ne restera plus que l’affrontement entre les bureaucrates et les dirigeants du monde concurrentiel. L’Etat contre le privé.
Pour l’heure, les bureaucrates font mine de ménager l’économie. Mais comme le scorpion qui persuade la grenouille de le porter sur son dos pour traverser la rivière, et au milieu du gué la pique mortellement, parce que c’est plus fort que lui, il y a gros à parier que cet attelage contre nature ne survivra pas longtemps. On se souvient alors de la fable narrée par Bernard Weber dans Le rire du Cyclope. Le cerveau, les mains, les yeux, la bouche et chacun des organes au lieu de collaborer se disputent le titre de chef et finissent par accepter d’obéir au trou du cul, décisionnaire final et gestionnaire de tous les emmerdements.

Nous sommes encore en démocratie, mais dans une variante de plus en plus “illibérale“. Ce concept désigne un régime où les corps intermédiaires n’ont plus droit au chapitre, où le Parlement, la Justice et la Presse sont soumis à l’exécutif qui libéré des contraintes de la représentativité, tient directement son pouvoir absolu de l’élection majoritaire. Dans ce type de démocratie au rabais, le peuple est anesthésié par des simulacres de “consultations directes“, celles que les bureaucrates prennent en compte quand cela les arrange.
Emmanuel Macron a évoqué récemment le danger d’illibéralité à propos de l’information. Habileté ou ingénuité ? En effet, il est le bénéficiaire de cette démocratie plébiscitaire. Il en a été aussi l’artisan le plus efficace. Un à un les contre-pouvoirs (parlementaires, syndicalistes, élus locaux, journalistes, et juges qui penchent toujours dans le sens du vent) se sont effacés devant ses pas conquérants. Il ne cesse de le répéter, il tient sa légitimité du suffrage universel. Là où Macron a mis le pied la démocratie à l’ancienne ne repousse pas.
Certes Macron est un médicament nécessaire à la France intoxiquée par une idéologie héritée de la Libération qui a bâti un pays où l’Etat est omnipotent, omniprésent, étouffant et, comme toute bureaucratie, est sclérosant, donc voué à l’échec. Il est malséant de le dire, mais le Conseil National de la Résistance, tant par la présence des Communistes que par celle des Gaullistes, n’avait pas d’autre pensée structurée que le collectivisme, hostile à l’individualisme réputé américain. Mais ce travail de libération n’est pas achevé, et l’on peut craindre que Macron, à supposer qu’il le veuille, ne puisse le mener bien loin dépendant qu’il est de la machine administrative.
Il faudra pourtant que l’élite, réduite à la haute fonction publique choisisse entre le populisme et un renouveau des corps intermédiaires.
Si elle veut éviter un accident électoral majeur qui mettrait fin à ses privilèges, il lui faudra se résoudre à partager le pouvoir. C’est-à-dire réhabiliter ceux qu’elle a œuvré à déconsidérer.
Et pour cela, elle devra reconnaître les élus comme rouages indispensables de la démocratie représentative qui est la pire qui soit à l’exception de toutes les autres.
Elle devra encore, cesser d’ânonner qu’il faut lutter contre les inégalités sans admettre qu’eux-mêmes sont les premiers responsables de la plus grave, celle du chômage, et qu'il convient de libérer vraiment les forces vives du pays.
Les chemins de sa rédemption passent aussi par la protection des Juges en les tenant à distance des débats électoraux.
Enfin, mais c‘est là le plus difficile, il leur faudra délivrer la Presse de ses habitudes d’obédience et la convertir à une exigence qui ne marie pas l'information et le divertissement..
A ce prix, pourra naître une nouvelle élite, diverse et répartie dans les compartiments complémentaires dont la bonne entente fait la santé d’une nation.