Les clés de la pensée complexe d’Emmanuel Macron sont des passe-partout.
- André Touboul
- 12 mars 2018
- 4 min de lecture

La vraie rupture de pensée macronienne est le rejet formel des dictats moralisateurs imposés par le surmoi marxiste qui imbibe depuis un siècle la culture et la politique française, incapables de penser hors de tout schéma de lutte des classes. Tout ce qui s'autorise à penser en France ne sait qu'opposer pauvres d’en bas (parfois nommés les plus démunis, ou les moins favorisés) aux riches d’en haut, quand ce n'est pas travailleurs salariés contre patrons exploiteurs. Etrangement, ce sont les socialistes au pouvoir qui ont touché du doigt les premiers l’obsolescence de cette idéologie dialectique, alors que les appels à une Droite décomplexée avaient fait chou blanc.
Les uns et les autres se heurtaient pourtant depuis des décennies aux réalités qui lasses d’être niées se vengeaient. Les courbes entrées en rébellion, allaient même jusqu’à refuser de s’inverser. Macron a fait table rase de l’idéologie ringarde, mais il y a dans la pensée “complexe“ de notre Président plus qu’un esprit de contradiction.
Selon la doctrine socialiste née en France au 19ème siècle, les instincts individuels sont égoïstes et par nature mauvais, l’harmonie sociale ne peut résulter que de la loi, laquelle a même le pouvoir de rendre les hommes bons. D’où l’inflation réglementaire, et la mise sous tutelle jusqu'aux aspects les plus banals de la vie quotidienne. Une des clés de la pensée de Macron est que les mécanismes naturels doivent jouer librement. Dégripper, est son maître mot.
Le mode de pensée de Macron est non-dialectique. Il ne voit pas les faits en termes de conflit mais de conjonction d’intérêts. Il parle de “ruissellement“, mot maladroit car vexant pour ceux qui n’ont que des gouttelettes. Il est mieux inspiré en évoquant les “premiers de cordée“, ce qui rappelle la solidarité exemplaire des montagnards, conquérants de l’inutile.
Commenter son action en termes de favoritisme des uns vis à vis des autres est un contre-sens. Il n’est pas Président des riches, mais entend se servir des riches pour vivifier l’économie, et pour cela il évite de les saigner à blanc. C’est ce qui s’appelle en agriculture, une bonne gestion du cheptel. Ménager ses poules aux œufs d’or.
On a aussi tort de lui reprocher de pénaliser les retraités. Jamais leurs retraites n’ont été aussi stables grâce à la force de l’euro, et longuement servies du fait de l’allongement de l’espérance de vie. Il ne les oppose pas à la génération Y, mais constate que c’est cette dernière qui, de fait, travaille pour les retraités, et aussi tous les autres inactifs…
Néanmoins, le paradigme macronien d’une économie cohésive et non plus conflictuelle se heurte à une réalité politique. Pour que les mécanismes de conjonction d’intérêts soient opératifs, il est nécessaire qu’ils soient compris et acceptés comme tels. Dans cette mission les corps intermédiaires, et en particulier ceux de la démocratie représentative ont un rôle essentiel.
Certes la France a, dans son histoire, franchi les grandes mutations sous des régimes autoritaires, parfois violents. Mais les temps ont changé. On ne dirige plus les peuples de ce siècle comme on le faisait jadis ou naguère. Les visées de Macron sont peu critiquables, c’est pourquoi la plupart des commentateurs et l’opinion “attendent de voir“. Cependant les moyens dont il dispose et que par conséquent il emploie pour libérer les forces vives qu'il invoque sont exclusivement administratifs. Entre bureaucratie et liberté, c’est le grand écart.
Les bureaucrates ne sont pas doués pour l’explication. Leur esprit est alambiqué, et ils préfèrent que le citoyen qu’ils regardent d’ailleurs toujours comme un sujet ne comprenne pas trop bien la loi qu’il est censé connaître. Il pourrait la détourner…
Emmanuel Macron dénonce les abus et faiblesses de l’Administration, mais il ajoute aussitôt “fonctionnaire, j’en suis un“.
Pour couper court à des débats qu’il ne sait pas argumenter, Macron tranche. Ce qui existait est critiquable, donc ce que l’on va faire est bien. Ce passe-partout interdit toute discussion sur la pertinence des modifications et sur leurs effets prévisibles…
Cela a été dit pendant la campagne Présidentielle et donc accepté par les Français, est une deuxième clé. Mais il a été dit beaucoup de choses pendant cette période électorale, et l’on ne peut affirmer que Macron ait recueilli l’adhésion d’une majorité absolue de Français. Il a obtenu 20 millions de voix sur 47 millions d’inscrits. De plus, l’idée que les citoyens doivent choisir un bouquet politique, puis n’ont plus droit au chapitre est une vision très réductrice de la démocratie.
Autre clé : telle ou telle pratique est celle du Monde d’avant, de la vielle politique. Ce mantra, en général non démontré, permet d’écarter d’un revers de la main tout fait, geste ou attitude qui ne conviennent pas au pouvoir présidentiel. Là aussi, il s’agit d’un pur verbiage, car nul ne sait ce qu’est le Monde macronien d’aujourd’hui.
La pensée de Macron apparaît complexe à ceux qui en sont restés à la logique de la lutte des classes. Elle est aussi mal défendue que possible par des diktats intellectuels qui sont la principale faiblesse de son action. Ce sont des pailles dans le métal qui lui seront fatales.
Si Macron ne restaure pas la démocratie représentative, et tout porte à croire que ce n’est pas sa priorité ni son projet, elle renaîtra contre lui… En effet, le populisme dont on fait grand cas n’a aucune chance de prospérer car il lui manque son catalyseur, un chef charismatique. Encore que Marion Maréchal-Le Pen soit à surveiller.