Quand les élites sont malades, la démocratie agonise
- André Touboul
- 7 avr. 2018
- 4 min de lecture

L’idéal de démocratie va mal. Trump, Poutine, XI Jinping, Erdogan, Al Sissi...partout des “hommes forts“ se sont emparés du pouvoir, le plus souvent par les voies démocratiques, au moins dans les formes.
Les gouvernés veulent des chefs qui cheffent, pour reprendre le mot consacré par Jacques Chirac. On demande aujourd’hui des décideurs qui décident, et ce d’autant plus que les solutions ne paraissent pas évidentes. Ce phénomène où l’on s’en remet les yeux fermés à l’homme providentiel, explique, toute proportion gardée, le surgissement d’un Macron en France.
Des candidats au pouvoir suprême, il y en a toujours, à tous moments, prêts à s’en emparer. Il ne leur est loisible de le faire que dans des périodes de désarroi où les peuples s’interrogent sur la légitimité de leurs élites.
Aux quatre coins du Monde, les origines de ce mal généralisé sont néanmoins diverses.
Cette méfiance à l’endroit des élites s’installe en Occident parce que les leaders sont en échec. Leurs recettes semblent usées, inefficaces pour répondre aux défis réels ou fantasmés d’un Monde où la donne change de plus en plus vite, et par voie de conséquence la précarité s’étend à toutes les couches sociales, y compris et surtout à celles qu’elle épargnait jusqu’ici. C'est à dire les classes moyennes.
Le rejet des aristocraties prend la forme d’une aspiration à l’égalité. Alexis de Tocqueville dans son examen de la démocratie décrit en ces termes comment l’égalitarisme conduit à la servitude volontaire : “Il se rencontre aussi dans le cœur humain un goût dépravé pour l’égalité, qui porte les faibles à vouloir attirer les forts à leur niveau, et qui réduit les hommes à préférer l’égalité dans la servitude à l’inégalité dans la liberté“.
L’élite n’existe que par ses signes de reconnaissance. Les formations qui permettent d'y accéder peuvent être diverses, cette sorte de biodiversité est d’ailleurs préférable, mais faute de se rejoindre sur des modes de pensée et des valeurs communes l’élite ne peut prendre corps, car ce sociomorphe se comporte comme un banc d’anchois. C’est-à-dire comme un organisme unique non hiérarchisé qui se meut néanmoins avec ensemble.
Dans le Monde occidental d’aujourd’hui, les décisionnaires n’ont pas de point de convergence autre que l’argent. Ils ne partagent aucune morale, aucune idéologie, aucun projet. Dans leur quête monétaire ils sont en concurrence avec le peuple, et usent de moyens de domination pour satisfaire leurs besoins. Ils ne constituent pas une véritable élite, et ne sont pas aptes à diriger ou entraîner la société derrière eux. Ainsi par une reaction naturelle le peuple privé d’élite identifiable a tendance à rechercher le secours d’un chef désigné par la Providence.
Aux antipodes, dans l’Empire du milieu, la grande crainte de l’appareil du Parti est un effondrement tel que celui que connut l’URSS. La perspective d’un "soviet-crunch" épouvante la classe dirigeante chinoise. Personne ne connaît la méthode pour passer sans douleur du communisme bureaucratique à la démocratie. En lâchant la bride aux entrepreneurs les bureaucrates chinois ont ouvert la boîte de Pandore de laquelle on dit qu’il peut sortir tout le bien, mais aussi tout le mal de la Terre.
Ainsi, pour contrôler la manœuvre, les héritiers des mandarins, plus vieille culture bureaucratique au Monde, se sont choisi un Empereur. XI Jinping n’est pas le charismatique Mao. Il semble plutôt servir de paravent à des dirigeants qui considèrent l'anonymat comme la première des sécurités. Dissimulés derrière lui, les apparatchiks espèrent continuer à maîtriser l’élite économique qu’elle terrorise par des purges pieusement baptisées “purges anti-corruption“. Le retour en force de la bureaucratie ne fera que ralentir l’économie chinoise à un moment où elle doit affronter les répliques protectionnistes des Etats-Unis dopés par une énergie redevenue abondante et bon marché grâce au gaz de schiste. On ne sait pas ce que les Chinois pensent de leur élite, et d’ailleurs ils ne sont pas autorisés à en penser quoi que ce soit. On prétendait, il y a peu, que la libéralisation économique, adoucissant les mœurs, elle était le prélude à la démocratie qui n’est que la partition musicale souvent hésitante de la liberté. On constate qu’en Chine on lui préfère la symphonie du silence. Le syndrome de Münchhausen est le fait ce ceux qui simulent une maladie pour attirer l’attention. On le dit "par procuration" quand c’est une personne dont on s’occupe qui est le faux malade dont les symptômes sont provoqués. Les dirigeants de ces autocraties ont le plus grand intérêt à cultiver, sinon simuler des pathologies sociales qui justifient leur mode d’exercice du pouvoir, et bien entendu leur maintien.
Poutine triomphe à l’Est, d’autant plus qu’il est seul à représenter la Russie. On cherche avec une lanterne l’intelligentsia russe. La nomenclatura est aux abonnés absents. Les Russes qui tirent leur épingle du jeu vont à Londres compter leurs dollars. Ils n’ont aucune influence sur le maître du Kremlin. Quelques dissidents isolés apparaissent comme des naufragés perdus en mer. Ce n’est pas tant Poutine qui s’agrippe au pouvoir que le vide élitique sidéral russe qui l’y maintient.
Erdogan et Al Sissi, les hommes forts de Turquie et d’Egypte tentent d’apprivoiser le fondamentalisme musulman. Si l’Egypte n’a jamais connu la démocratie, la Turquie a fait en une décennie un bond de géant... en arrière. Les élites turques européanisés sont décimées. Leur faute a été de ne pas savoir proposer au pays un projet alternatif au repli identitaire et moyenâgeux qui n’est rien d’autre que le refus des efforts exigés par le Monde moderne.
Personne sur notre planète ne regrette les élites déchues. Cependant, partout dans le Monde, on pressent un certain malaise dans la résignation. Les autocrates à qui l’on abandonne le pouvoir le rendront-ils un jour ? Pour ceux qui s’appuient sur la religion, il est clair qu’ils n’ont aucune intention de s’en dessaisir jamais. Ils ne rendent compte qu'à l'éternité des choses divines. Plus prosaïque, Poutine ne prépare pas sa succession, et Xi Jinping ne l’envisage même pas.
On a inventé pour ces régimes qui singent la démocratie le doux terme de démocrature. Dans ce type de gouvernement autoritaire les formes de la liberté ne sont que simulacres, car il supprime tous les contre-pouvoirs, il domestique la Presse, il instrumentalise la Justice, et déconsidère le vote des citoyens qui se réfugient dans l'abstention... On se rend bien compte qu'à certains égards cette description est applicable à la France. Emmanuel Macron n’est pas un dictateur, mais s’il n’y prend pas garde, il sera bientôt enfermé dans ce rôle de détenteur monopolistique du pouvoir. Bien entendu ce splendide isolement est assumé pour le bien des Français. Mais tous les autocrates dont nous avons parlé ont aussi le sentiment d'oeuvrer dans l'intérêt de leur peuple.