top of page

L’Etat peut-il mourir ?

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 27 sept. 2020
  • 5 min de lecture

Que des hurluberlus vêtus de gilets jaunes soient appréhendés pour avoir simulé la décapitation de Macron relève sans doute de l’anecdote psychiatrique, mais cela révèle aussi un phénomène d'une importance considérable, celui de la déconsidération de l’Etat dans sa représentation supérieure qui est celle du Président de la République.


Cette perte de légitimité de l’Etat est corroborée par d’autres signes émis par le corps social. L’obsession des Gilets jaunes de monter sur l’Elysée comme sur une Bastille à démolir, rejoint les agressions de représentants de l’Etat dans les quartiers que l'on enregistre depuis des années. Ce sont des populations très différentes qui sont à l’œuvre, elles ont en commun la haine de l’Etat.


L’une des manifestations de la déroute de l’Etat que l'on constate désormais est le succès politique des solutions dites "anti-système". N’est-ce pas ainsi que s’est présenté Emmanuel Macron, un candidat hors système au discours iconoclaste. La suite montra qu’il n’était que la quintessence d’une coterie bureaucratique qui monopolise l’Etat et le pervertit.


L’Etat a perdu sa légitimité auprès de parties de plus en plus nombreuses et diverses du peuple français.


La première cause est que l’Etat ne défend plus sa culture ni ses valeurs. C’est cette démission qui le rend un symbole à démolir dans les banlieues, et symétriquement lui a fait perdre le respect de la France profonde qui ressentent ce que l’on nomme par euphémisme l’insécurité culturelle. Ces groupes retrouvent dans la détestation de l’Etat les victimes des persécutions fiscales lassées d’être traitées de « salauds de riches » alors qu’ils ont la conviction de s’appauvrir sans bénéfice pour les plus pauvres.


Le deuxième motif de perte de crédit de l’Etat est le naufrage de la démocratie représentative. Ce fait, dont on ne mesure pas l’importance capitale, persuade les citoyens qu’ils sont impuissants face à une machine pour laquelle leur bulletin de vote est devenu inopérant. Il ne vaut pas le papier sur lequel on l'imprime. Dans un premier temps, c’est l’abstention, ensuite c’est la colère, ce sentiment de ceux qui, dans une impasse, ne voient pas d’autre issue que la violence incontrôlée.


La troisième raison est la banqueroute de l’Etat-providence à qui les citoyens désormais demandent des comptes. Ils s’en prennent donc à l’Etat qui n’est plus capable de les protéger. Aussi bureaucratisé que l’Union Soviétique, l’Etat français devient tout aussi inefficace et mal géré. Confusément, l’on sent, et l'on redoute car la prémonition est anxiogène, qu’il est proche de l’effondrement.


La dernière des causes principales du phénomène de la dégradation de l'image de l'Etat est la prise ostensible de pouvoir par les technocrates qui disaient détenir les solutions à tous les problèmes et prétendaient qu’il suffisait de les prendre "et à droite, et à gauche" pour que cela marche. Or, à l'usage, ces recettes apparaissent pour ce qu’elles sont et ont toujours été des mesures bureaucratiques, celles qui résolvent toutes les questions par l’impôt et la contrainte, les attributs essentiels de l’Etat. Une telle catastrophe n’aurait pu se produire sans le poids et l’encombrement éléphantesques de l’Etat dans l’économie française. L’Etat obèse est désormais dirigé par ceux qui ont intérêt à le gaver, sans voir qu'ils le conduisent à l'apoplexie.


Parmi les raisons parallèles du délitement de l’idée de l’Etat, il y a évidement, et c’est un corollaire des précédentes, la perte de crédibilité des médias traditionnels que certains nomment officiels. Le phénomène n’est pas spécifiquement français, mais il est chez nous aggravé par leur obédience à la religion de l’Etat dont l’une des manifestations est un anti-libéralisme viscéral.


Dans la situation quasi-létale où se trouve le système, il est inopérant, pour ne pas dire stupide, de dire comme le fait la Droite que l’on veut un État fort, et que l’on prétend en restaurer l’autorité... de cela les Français ne veulent plus... ils comprennent désormais que par là ce qui leur est promis, c’est encore plus de bureaucratie.


Certes la bureaucratie est une maladie ancienne. Mainte fois moquée, notamment par Courteline qui en fit un portrait ravageur ; elle est depuis longtemps, synonyme d’absurdité et d’incompétence, mais jamais jusqu'ici elle n’avait conquis le pouvoir absolu dans l’Etat. C’est ce pouvoir despotique qui est aujourd’hui en place et rejeté en tant que tel. Selon la formule utilisée par Max Weber, l’Etat est une institution qui sur un territoire donné, déteint le monopole de la violence physique légitime. Quand l’Etat perd sa légitimité, il ne reste que la violence.


On peut observer actuellement sur les routes de France où les radars sont neutralisés, à la façon du RAID ou du GIGN, que, néanmoins, les automobilistes respectent les limitations. Ce n’est donc pas pour rouler à leur guise et à toute vitesse qu’ils vandalisent les mouchards, mais pour signifier à l’Etat que l’on refuse son autorité. Une contrainte que tout automobiliste, qui chez chaque Français ne sommeille que d'un œil, estime abusive. Les meilleurs arguments de sécurité publique ou d'écologie n'y changent rien, car c'est un Etat inaudible qui les utilise.


Dans la crise que traverse la société française on pourrait voir un caprice d’enfants gâtés, ou un contestation d’adolescence jetant aux orties le modèle paternel. Il n’en est rien. A la différence de mai 68, les étudiants furent absents du mouvement Gilet jaune. Ils savent fort bien que l’Etat-nounou repose sur leurs épaules et qu’ils seront de moins en moins nombreux pour entretenir une classe d’âge de retraités vivant de plus en plus longtemps. De même, on a pas compté de fonctionnaires sur les ronds-points, mis à part celui qui était payé depuis dix ans à ne rien faire. Ceux-ci savent trop bien qu’ils sont les privilégiés de l’Etat et se serait mordre la main qui les protège.


En réalité, le mouvement de l’automne 2018 ne fut qu’une manifestation contre un Etat honni, spoliateur et défaillant.


Alors, l’Etat, attaqué de toutes parts, peut-il mourir ?


Machiavel définit l’Etat comme « l'unité politique d’un peuple qui le double et peut survivre aux allées et venues non seulement des gouvernements mais aussi des formes de gouvernement ». En ce sens, l’Etat ne peut disparaître qu’avec le peuple dont il est la manifestation organique. Mais un peuple qui n’est plus une nation n’est plus un peuple, il est au mieux une population sans liens ni dynamique, sans culture ni avenir. Un agrégat de communautés ne forme pas un peuple, à moins d’être transcendé par le sentiment d’appartenance à une même nation.


Dire comme Macron que « le nationalisme est l’exact opposé du patriotisme », est un paradoxe stupide, mais aussi c’est proposer un État vide de sens.


Un paradoxe, car la Patrie évoque la terre des ancêtres quand la Nation se réfère à la société humaine qui forme l’identité d’un peuple. Les opposer est vouloir déchirer un tout indissociable.


De plus, il est absurde d’abandonner la Nation, faite de chair et de sang, comme d’histoire et d’espérances aux extrémistes de droite, racistes et isolationnistes, c’est un cadeau qu’ils ne méritent pas.


La posture est enfin préjudiciable à l’Etat. Il était indispensable de renverser dans de nombreux domaines la table des idées reçues, oripeaux du 20ème siècle ; mais, en l’occurrence, Macron est en apesanteur. Si l’Etat n’est pas l'émanation de la Nation française, il n'est rien et se coupe des Français. Il devient un ectoplasme tyrannique menaçant leur liberté. De toutes les petites phrases que l’on a reprochées, souvent avec bien de la mauvaise foi, à Macron, celle sur la Nation est la plus malencontreuse, la plus irréfléchie, la plus mal inspirée et certainement la plus fausse.


Le rejet de l’Etat qui s’exprime par diverses catégories sociales, des plus marginales, pour ne pas dire exclues, en passant par les plus moyennes, jusqu’aux plus aisées, lassées d’être montrées du doigt comme profiteurs, ne signifie pas un éclatement de la Nation française. Il exprime une exigence de rénovation de l’Etat et demande la fin de la dictature de l’aristocratie du diplôme dont l'échec est patent. Macron en avait promis le renouvellement en instaurant un spoil system, force est de constater qu’il y a renoncé ; sans doute parce qu’il ne peut remplacer les bureaucrates en place que par leurs clones.


S’il veut survivre et relégitimer l’Etat, le Président Macron devra se dresser contre ceux qui l’on porté au pouvoir.



AT



 
 
 

Comments


bottom of page