2020, une année sans fin
- André Touboul
- 22 déc. 2020
- 5 min de lecture

Répondant à Stephane Berling et à travers lui à de multiples artistes et auteurs qui s’indignent du sort réservé aux activités culturelles, Michel Richard se fend d’un article dans Le Point dont il est Directeur adjoint de la rédaction. Reconnaissant que les motifs de cette discrimination parmi les différentes activités ne sont pas clairement énoncés par les pouvoirs publics, il tance l'infortuné Berling, et se contente d’un seul argument : quel intérêt le Gouvernement aurait à se mettre à dos le monde de la culture et ajoute-t-il celui des sports ?
Soit Monsieur Richard est un spécialiste du second degré, soit c’est un odieux personnage qui se permet de faire la leçon à ceux qui sont privés de moyen, sinon de raison de vivre, alors qu’il peut, lui, exercer son métier. Mais au fond ce qu’il est importe peu. La catégorie à laquelle il appartient mérite néanmoins que l’on s’y attarde. C’est celle des hiérodules. Pour le hiérodules, tout ce qui ,est décidé par l’Etat est sacré, bon pour le peuple par nature, et ceux qui s’y opposent sont de mauvais citoyens. Le hiérodule n’est pas toujours un quidam soumis par tempérament, il a souvent quand on y regarde de près un intérêt dans le système en place.
Attardons-nous sur l’argument de ce Richard. Et répondons à sa question. Quel intérêt auraient les gens qui nous dirigent ? Mais aucun, bien au contraire. Est-ce une raison pour disqualifier leurs décisions ? Certainement pas. Que la légitimité d’une loi dépende de sa régularité formelle est une théorie, celle de Carl Schmitt, (1888-1985) philosophe allemand, père du décisionisme, dont les nazis firent leur crédo. Il ne s’agit pas de qualifier ici Monsieur Richard de nazi, ce serait atteindre le fameux point Godwin, qui veut que tout débat qui tourne en rond finit toujours par un non-argument se référant au nazisme. Utilisé comme fin de non recevoir la parole de l’autre. En effet, les hitlériens ne sont pas les seuls à pratiquer ce type de justification du droit, et la théorie de Godwin ne peut interdire d’y faire référence. Pour Monsieur Richard le seul fait qu'une décision soit prise régulièrement la justifie. On peut en douter.
Il faut donc aller au fond de l’argument. Qui est le Gouvernement qui « sacrifie » la culture comme non essentielle ? En France, ce sont les mêmes qui ont fermé les librairies, avant de faire marche arrière. On invoquera en vain les prétentions philosophiques d’Emmanuel Macron pour faire du gouvernement Castex un cénacle de lettrés. Ce sont, en leur immense majorité, des fonctionnaires, même Olivier Véran qui est médecin, mais qui exerçait dans le public en qualité de fonctionnaire. Or les bureaucrates n'ont pas, par nature, le costume d'amis des arts. On leur demande de la géométrie et non de la finesse.
La première réponse que l’on peut faire à Michel Richard est que la culture n’est pas, substantiellement, une priorité pour les bureaucrates dont l’univers est fait de chiffres et de lois.
La deuxième raison du choix gouvernemental est que l’Etat, joue parfois les mécènes, mais se méfie toujours des artistes. Il subventionne surtout ceux qu’il pense qu’ils pourraient lui nuire, et qui se disent d’avant-garde, au demeurant peu suivis par le gros de la troupe. Une manière administrative de gérer la contestation par l’allocation.
La promiscuité est plus forte quand on se rend au spectacle que quand on reste chez soi, invoquera-t-on. Vraiment ? Pour peu que, dans la famille, il y ait un ou plusieurs ados, le virus n’a pas besoin de sonner à la porte, il en possède la clé, il ne porte pas de masque, et mange à la même table, il embrasse, quand il est de bonne humeur, papa et maman. La seconde vague est consécutive non aux vacances d’été, mais au retour à l’école Où les gestes barrières sont une vue de l’esprit. Non pas des moins de 10 ans qui sont ni malades ni contagieux, mais de leurs ainés, ceux qui auraient pu se garder seuls à la maison. Ceux que la mesure avait pour but de ménager était en réalité le personnel de l’Education Nationale, mécontent de devoir travailler en distanciel. Un effort supplémentaire, non compensé par une prime.
A aucun moment, on n'a donné aux artistes, ou aux restaurateurs, la chance de négocier des mesures prudentielles.
Priver les Français de spectacle, les priver de réveillon du nouvel an, comme pour faire durer cette horrible année 2020, en en célébrant pas la fin, les priver de se rendre au restaurant, mégoter la capacité des lieux de culte, tout ceci ne résulte pas d’une sage prudence, mais d’une volonté de mortification, et aussi d’un choix de société.
La mortification est une vieille méthode inscrite dans l’histoire des épidémies que pour conjurer, on faisait des sacrifices et des processions de flagellation. Il faut que le peuple souffre pour que le mal s’en aille.
Les technocrates au pouvoir font un choix de société. La société future, sauf si le peuple se rebiffe, sera un État sanitaire. La santé est au dessus de tout. Les ordres sont clairs, les médias les ont reçus. Sans désemparer, ils affichent des professeurs, des experts, des infectiologues, et des pharmaciens qui prêchent la bonne parole. La loi médicale. Qui n’est pas un bon croyant en la ligne, décidée en conclave par d’énigmatiques sommités, est qualifié d’irresponsable et devrait être brûlé. Dans ce régime totalitaire, tout ce qui est frappé du sceau sanitaire, est indiscutable. Et dans la religion sanitaire les hérétiques qui s'écartent du dogme sont honnis.
Ce n'est pas qu'un mauvais moment à passer. Il n’est pas certain que les prescriptions liberticides de l’état d’urgence sanitaire, disparaissent avec lui. Le Ministre des transports J.B. Djebbari promet déjà ce 20 décembre « un protocole sanitaire robuste et à long terme ». On trouvera toujours des prétextes, et des dangers viraux pour en justifier. L’idée d’isoler au maximum l’individu et d’en faire un consommateur soumis à qui l’on livre sa pitance à domicile, comme du bétail dans les mangeoires, est trop tentante pour qu’elle soit abandonnée. Et comment le peuple pourrait s’en rendre compte, si les artistes et les auteurs n’étaient pas là pour s’en insurger ? En effet, l’on sait que les oppositions politiques sont : soit complices, soit inaudibles.
Il existe, enfin, une raison substantielle aux errements du Gouvernement de la France, elle tient à la conformation du régime bureaucratique. Loin du peuple, il s’en fait une image fabriquée. Ses préférences vont aux mesures indifférenciées, à celles qui contraignent et que la police peut sanctionner. Jamais dans l’histoire de notre pays le Gouvernement n’a fait un appel aussi massif et constant à ce que l’on nomme les forces de l’ordre. Depuis les interminables samedis des Gilets jaunes, jusqu’aux contraventions à 135 euros, le bâton a sévi avec fort peu de carotte, sauf par des distributions d’allocations ; ces anesthésiants qui s’apparentent aux soins palliatifs et ne laissent aucun espoir dans la guérison.
Au fond, poser en principe que les gouvernements prennent toujours des décisions conformes à leurs intérêts est aussi faux que naïf. S’il en était ainsi les gouvernants ne seraient jamais désavoués. Or, en France, le désaveux est une constante. L’équipe au pouvoir, perd les élections. On promet toujours le changement ; pour être élu, on vante la fracture, on se présente comme antisystème, ou dissident. C’est bien là la preuve que les gouvernants se trompent souvent sur leurs propres intérêts.
On pose parfois dans les hautes écoles de la République une autre question : Quelle est la différence entre un énarque et une locomotive ? Quand elle déraille, la locomotive s’arrête, l’énarque accélère.
On ne dira pas que Monsieur Richard est un idiot utile, selon la formule à la mode, car idiot est une insulte, mais, il se veut sans conteste utile aux intérêts de la technocratie qui oppresse les Français désormais à visage découvert. Pour ceux qui voient clair dans son jeu et gardent les yeux ouverts, en fait, il la dessert.
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