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Le serment des juges, une question qui fâche

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 26 juil. 2020
  • 3 min de lecture

Le serment est un engagement solennel. Il marque pour nombre de professions l'entrée dans une carrière où la confiance du public sera un élément déterminant, où leur seront accordées des prérogatives particulières. Ainsi les médecins, prêtent le serment d'Hippocrate ; les architectes, les experts comptables, les notaires, douaniers, les postiers, les gardiens de prison, et même les gardes-champêtres s'engagent aussi sur des valeurs essentielles de leurs activités.



Les formules sont assez variables et leurs différences ne sont pas toujours justifiées par des conditions d'exercice. Ainsi les greffiers des tribunaux de commerce sont dispensés de l'engagement particulier de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à leur connaissance, alors que celui-ci est prononcé par les greffiers de l'ordre judiciaire.


Sous l'ancien régime le Roi s'engageait par serment à : protéger l'Église et défendre la Sainte Foi catholique, faire régner la paix et la justice, défendre le royaume et faire preuve de miséricorde. Sans doute par réaction, le monarque républicain qu'est le Président de la France ne prête pas serment, contrairement à beaucoup d'autres présidents de par le monde. Certains imaginent de lui imposer de prêter serment de protéger la Constitution, comme aux Etats-Unis, mais, cela serait singulier, car tous nos présidents n'ont eu de cesse de promettre de modifier ou d'amender la Constitution qui selon la tradition française n'est pas un texte sacré, mais un outil de gouvernement.


La question du serment des magistrats est de celles que l’on dit sensibles. Elle rappelle les heures sombres où toute la magistrature française, sauf un juge, Paul Didier, aussitôt révoqué, a prêté serment au Maréchal Pétain. "Des promotions de l'ENM se décideront-elles un jour à prendre les noms de Maurice Rolland et de René Parodi, les seuls magistrats ayant le titre de compagnons de la Liberté ?", s’interrogent encore de nos jours certains auteurs, pourtant prompts à relativiser la gravité du serment de la honte.


Il faut néanmoins ouvrir le débat. Car la confiance en la Justice est, en France, au plus bas.


Avant 1981, le serment des avocats était : "Je jure de ne rien dire ou publier comme défendeur ou conseil de contraire aux lois, aux règlements et aux bonne mœurs, à la sûreté de l'état et à la paix publique et de ne jamais m'écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques". Cette soumission à l'autorité héritée de Napoléon I, qui détestait les avocats, n'était plus guère respectée. Depuis la réforme Badinter, ces derniers jurent "d'exercer leurs fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité". Redonner son sens et sa dimension au serment de l'avocat fut l'autre apport majeur de celui qui mit fin à la peine de mort en France.


On ne peut se dispenser de comparer l'engagement pris par les magistrats avec celui des avocats.


Lors de son serment, le magistrat déclare : "Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat". En 2016, la formule qui mentionnait « garder religieusement le secret des délibérations » a été, au motif de laïcité, allégé du terme « religieusement ». Prétexte spécieux s’il en fut, car la religion n’avait en l’espèce rien à voir avec la confession religieuse, elle ne faisait qu'affirmer l'importance de l'engagement pris. Au demeurant les juges consulaires ont conservé ce terme sans en être offusqués dans leurs convictions laïques.


Il serait urgent de rénover le serment des magistrats qui en l’état n’a pas grand sens et frise la tautologie quand le magistrat s’engage à se conduire comme magistrat.


Le terme "loyal" signifie "conforme à la loi", ce qui est pour un juge, la moindre des choses ; mais il veut dire aussi "qui obéit aux lois de l’honneur, la probité et la droiture". Cependant l’exemple le plus courant est celui d’un "ami loyal", alors, on ne peut que s’interroger : loyal à qui, le magistrat doit-il être ? De qui, le juge doit-il être l'ami ? Pour les policiers, la chose est précisée. Ils doivent être loyaux envers les institutions républicaines (art 7, code de déontologie de la police nationale). S’agissant des magistrats, c’est le flou.


La dignité est peut-être le seul élément clair et utile du serment. Avec fruit, le serment des juges pourrait intégrer : l’impartialité, l’indépendance, l’humanité et se montrer plus explicite sur la conscience et la probité. Ainsi, serait effacé définitivement la honte du triste serment de fidélité au Maréchal Pétain. Mais surtout, cela serait une occasion de rappeler à ceux qui doivent servir la Justice que celle-ci ne leur appartient pas.


On peut aussi regretter que les hauts fonctionnaires ne prêtent aucun serment, sauf cas particuliers. S'ils le faisaient, leurs devoirs leur apparaîtraient enfin, alors qu'ils ne sont le plus souvent attachés qu'à leurs prérogatives.





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