La méritocratie, une démocratie en trompe l’œil qui pense mal - Remèdes
- André Touboul
- 6 août 2020
- 4 min de lecture

La coupure avec le reste de la population. Une élite qui s’auto-réplique. Les codes culturels qui sont transmis de père en fils. Un héritage immatériel, mais bien réel. Tels sont les traits d’une élite qui au prétexte de méritocratie, contredit de plus en plus les principes de la démocratie qui se doit de ne pas couper les dirigeants de l’ensemble de la population, sous peine de voir exploser tôt ou tard un populisme échevelé.
Le constat est développé dans une étude des Allemands, Mark Bovens et Anchrit Wille dans Diploma : Democracy : The Rise of Political Meritocracy , où ils examinent le fait que les démocraties occidentales sont modelées par des inégalités profondes entre les personnes instruites et celles qui le sont moins.
Le concept n’est pas nouveau, dans The rise of Meritocracy, Mickaël Young qui en 1958 écrivait déjà : « It is good sense to appoint individual people to jobs on their merit. It is the opposite when those who are judged to have merit of a particular kind harden into a new social class without room in it for others ».
Pierre Bourdieu avait dans les années 80 dénoncé la « noblesse du diplôme », une aristocratie illégitime. Pour lui, le responsable était le libéralisme, et non l'Etat. Son diagnostic était faussé par un parti pris idéologique ; en effet, le libéralisme était en France une bête du Gévaudan, effrayant, mais inexistant ; alors que l'Etat et son Administration prenait de plus en plus la place d'une religion conquérante et absolutiste.
En France, ce phénomène est aggravé par deux éléments : l’Etat éléphantesque, et l’idéologie cryptomarxiste.
L’un et l’autre conditionne le contenu des enseignements. Sous le couvert de la religion du « Service public », l’Etat protège son clergé. L’idéal social devient celui d’une bureaucratie triomphante.
Ces « vérités » ne sont jamais remises en cause. Il faut saluer des esprits comme Emmanuel Todd qui ouvertement se réclament de la "lutte des classes", alors que la plupart des intellectuels français qui en sont imprégnés ne se l'avouent pas. C'est ainsi avec des instruments de pensée du 19ème siècle que les enseignants français construisent le 21ème. Nos stratèges nous avaient accoutumés à être en retard d'une guerre, les penseurs ont deux cents ans de retard. Avec une très grande franchise Emmanuel Todd reconnaît que c'est le marxisme appris au Parti Communiste qui a structuré sa pensée. Le mur de Berlin est toujours debout dans les têtes.
Pourtant auteur, en 1976, de La Chute finale : Essai sur la décomposition de la sphère soviétique, Todd exhume le concept éculé de la lutte des classes, il publie, en 2020, Les Luttes de classes en France au XXIe siècle.Semblable aux émigrés d’Ancien Régime, il semble n’avoir rien appris ni rien oublié.Rien appris de la faillite du marxisme réel, et rien oublié de le lutte des classes, ferment destructeur de toute concorde sociale. La chose serait simplement plaisante, si ce surgeon de mauvaise herbe était isolé. Elle est pathétique, car accompagnée de plusieurs revanchards du stalinisme. Pis, elle est tragique du fait qu’elle ne fait que révéler une idéologie dormante, enfouie dans les subconscients, enracinée par des décennies d’endoctrinement..
Les meilleurs de chaque génération sont ceux qui réussissent aux examens ; ce sont les bons élèves. Ceux qui apprennent bien les leçons. Il en résulte une élite conformiste caractérisée par l’absence de créativité et la protection des situations acquises.
Ainsi la gauche française est devenue conservatrice. Par exemple : les droits acquis sont agités par François Mitterrand, un homme du 19ème siècle sur le plan intellectuel, dans un monde où les changements s’accélèrent, et où le retard d’adaptation conduit à la précarité.
Mais la droite s’est aussi conformée à ce dogme de l’Etat fort et de l’opposition riches/pauvres. Elle aussi était dominée par les mêmes élites du mérite.
Il était inévitable que cette élite ambidextre accouche d’un « et de droite, et de gauche », tout bonnement parce qu’il n’existait pas à ses yeux de réelle différences.
Si l’élite méritocratique française avait rencontré le succès, il n’y aurait eu que peu de commentaires à faire. Hélas, depuis 50 ans, on a vu le pays plonger dans l’échec. Et ceci dans tous les domaines. Chômage de masse ; redistribution record, mais inefficace pour enrayer la pauvreté ; éducation en perdition.
N’a-t-on pas vu un Président normal se ridiculiser en prétendant « inverser la courbe du chômage » à l’aide de sa « boîte à outil » ?
« Un pognon de dingue », voilà ce que coûte la politique sociale, et le constate Emmanuel Macron, « il y a toujours autant de pauvres ».
Dans l’enseignement, le niveau s’effondre, et l’égalité sans cesse affirmée, qui conduit à dévaloriser les diplômes, est contredite au sommet par une sélection délirante.
Les voies et moyens pour sortir de piège évoquées par l’étude allemande sont peu convaincants : quotas, vote obligatoire, référendums, éducation civique obligatoire.
Il en existe, pour la France, de plus radicaux et efficaces, citons en deux.
Le premier est de faire perdre son intérêt à la voie royale que constitue le service de l’Etat. Exclure des protections du statut de la fonction publique les hauts fonctionnaires, serait un premier pas. Déjà nos Présidents de la République ont tenté de timides actions en ce sens. François Hollande a voulu réformer le système de la pantoufle. Emmanuel Macron, voulait supprimer l’ENA.
Si la fine fleur de chaque génération se détourne de cette sinécure que représente le service de l’Etat. Elle emploiera ses talents ailleurs.
Si les codes des bureaucrates ne sont plus les clés uniques de la réussite sociale, on verra plus de français innover dans leur garage comme le firent les Américains de la révolution informatique.
Le second moyen d’en finir avec notre élite de nuisibles est de redonner au Parlement, où ils sont très minoritaires (moins de 5%), ses pouvoirs de législateur. C’est à dire découpler l’élection présidentielle de celle des députés, par une dose de proportionnelle.
Cette mesure permettrait d’en finir avec les majorités godillots, de rapprocher la représentation nationale du peuple réel, et de mettre en place un système où la cohabitation serait possible. Oui, souvenons-nous, la cohabitation, cette « plaie » qui selon nos technocrates les empêchait de faire passer de si bonnes réformes, et dont ils ont voulu s’affranchir par le quinquennat.
*
Comments