A propos d’un « mot personnel » de J.Julliard
- André Touboul
- 20 déc. 2021
- 3 min de lecture

Jacques Julliard : « Le Monde, par la plume d’Ariane Chemin et Ivanne Trippenbach, vient de me sélectionner parmi les intellectuels exprimant une « étrange bienveillance » à l’égard d’Éric Zemmour. Je fais partie d’une charrette des plus honorables, comprenant notamment Marcel Gauchet, Michel Onfray, Alain Finkielkraut, Luc Ferry, Alexis Brézet, Vincent Trémolet de Villers, pour leur opposer le contre-modèle de… Rama Yade. Mon crime ? Un éditorial de Marianne, daté du 8 octobre 2021, où, après avoir remarqué que l’irruption d’Éric Zemmour avait remis au centre du débat présidentiel des questions escamotées par les autres candidats, de la souveraineté nationale à l’immigration, je soulignais qu’il n’avait pas de solution aux problèmes qu’il soulevait, au risque d’allumer une guerre civile. Je terminais par un appel à la social-démocratie, afin qu’elle se reprenne. Telle est mon « étrange bienveillance ». Il s’agit, de la part des deux journalistes, ou bien d’une « étrange » inintelligence du texte, ou d’une malveillance délibérée. J’ai une pensée pour Le Monde d’Hubert Beuve-Méry : c’était un homme bourru, qui pensait que notre métier de journaliste repose d’abord sur l’honnêteté intellectuelle. ».
En terminant ainsi un article publié le 6 décembre 2021, Jacques Julliard démontre à l’évidence que le quotidien qui fut le livre de messe des intellectuels des années 50 à 80 verse dans la chasse aux sorcières. Luc Ferry, lui aussi visé par l'anathème, reprenait le 9 décembre dans sa chronique une protestation similaire, d’une plume trempée dans de l’indignation, mais agrémentée d’un éclat de rire.
On se félicite que ces échanges de "points de vue" aient eu lieu. Le débat public en est enrichi, et surtout éclairci.
Du magistère moral de la gauche française, qu'exerçait Le Monde, il ne reste rien que des condamnations dérisoires d’un tribunal de précieuses ridicules. On s'attend d'un jour à l'autre à voir paraitre dans les kiosques une édition de ce quotidien en langue inclusive. Il serait bien surprenant qu'il reste des lecteurs pour ingurgiter cette potion amère. Ce qui arrive au journal, dont la coquetterie est d'être daté du lendemain, n'est en réalité qu'une conséquence de la tragédie qui frappe la gauche française.
Le grand cadavre à la renverse, qu’était le Parti socialiste, est porté en terre par une vacuité intellectuelle qui peine à se reconstruire autour des slogans woke, produit d’importation sans consistance s’agissant de la société française. Le permis d’inhumer vient d’être signé par Anne Hidalgo qui, prise d’un accès soudain de lucidité, appelle à une primaire où elle serait éliminée à coup sûr.
Le constat de décès est unanime. La question sérieuse est désormais de savoir pourquoi la gauche est morte. De quelle maladie ?
Son encéphalogramme plat n'est pas la conséquence de la disparition de ses intellectuels. Ils continuent de ratiociner, mais sont inaudibles.
On dit beaucoup que la gauche ne sait plus parler à sa clientèle naturelle, celle des classes défavorisées. Son discours de lutte des classes tourne à vide. Non seulement la révolution industrielle façon Dickens et Zola est une vieille affaire, mais l'industrie elle-même a déserté la France.
Le prolétariat de substitution constitué de minorités aussi disparates qu'incertaines qu'elle se cherche ne lui fait qu'une confiance très relative.
La gauche n'a pourtant pas perdu sa vocation à secourir, son problème est qu'elle n'a plus de mode de pensée. Alors que la droite peut se contenter d'être pragmatique, la gauche se nourrit de système. Or, de corpus idéologique cohérent il n'y en a plus guère.
Cette carence en instrument de pensée la conduit à refuser le réel. Catégoriquement. Le procès en "bienveillance" contre lequel s'insurgent à raison Julliard et Ferry n’est que la conséquence de cet aveuglement délibéré. En se comportant ainsi une partie de la gauche se conduit comme ces naufrageurs qui allument des feux sur les terres pour d’attirer les navires et les couler.
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