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A rebours, la défiguration du monde

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 17 janv. 2021
  • 5 min de lecture



Quand on regarde vers l’avenir pour distinguer ce qui adviendra, on tente souvent d’isoler ce qui, dans le brouhaha des événements, constitue des faits de société et promet de devenir pensée dominante.

En 1884, Joris-Karl Huysmans publiait « A rebours », un roman panoramique de la culture de son époque, où le héros que l’on dirait aujourd’hui houellebecquien ne trouve grâce à rien, et ce n’est qu’à contresens qu’il tente de se satisfaire. Sans son élégance, notre époque semble saisie de cette monomanie mentale, elle croit laver ses chaussettes, quand elle les mets à l'envers. L'enseigne de sa boutique pourrait être : ici on déconstruit.


Les temps présents sont caractérisés par la culture du rebours. Est considéré comme significatif l’inverse de ce qui est ou à été. Mais ce que l’on nous propose n’est qu’un monde défiguré, l’hiver de la pensée, une Renaissance à l’envers qui suit son propre corbillard.


De quelque côté que l’on se tourne, le miroir antinomique est déformant. Radicalisme contre antiracisme, décolonialisme vs indépendance, matriarcat au lieu d'égalité des sexes, compétition victimaire à la place de fraternité des peuples, terrorisme écologiste quand il faudrait de la conscience planétaire, démondialisation alors que le monde rétrécit, décroissance enfin quand une part de l'humanité ne mange pas à sa faim. Tout est une reconstruction hideuse de la civilisation humaine, cul par dessus tête.


Le présent de nos sociétés occidentales est tout sauf raciste, soit dit en passant, à la différence de bien d’autres. Il est vrai que ces nations ont été racistes dans un passé qui s’éloigne de génération en génération. Néanmoins, les faits qui sont montés en épingle comme significatifs de la mentalité populaire, sont tels qu’ils prétendent étayer un racialisme, c’est à dire un antiracisme militant à ce point qu’il s’exprime par un néo-racisme. Ce débordement prend le citoyen de bonne foi à rebrousse poil. Il supporte mal d’être traité de raciste à tout propos, et hors de propos. Il s’interroge, ne le serait-il pas ? La réponse étant évidement négative, ces coups de boutoirs le saisissent de nausée. Le suprémacisme blanc ou noir, que l’on promet de part ou d’autre, lui paraissent délirants, et effrayants, si cela devait devenir sa prochaine culture.


De même, la colonisation, qui est loin maintenant, donne lieu à des fantasmes décolonistateurs, comme s’il existait encore des colonies. Et bien entendu, on entend les contre-prédications de ceux qui voient dans nos pays une colonisation par les anciens colonisés, telle une vengeance de l'histoire.


Aussi, les progrès légitimes du féminisme égalitaire sont ternis par les excès des anti-mâles qui font de tous les garçons des harceleurs, sinon des violeurs. Ainsi les excès du patriarcat ne pourraient être effacés que par ceux du matriarcat.


Encore, la compétition victimaire dépasse l’entendement, tout un chacun se déclare victime, se cherche des bourreaux, et dans cette bousculade pour un singulier podium, on en vient à des négationnismes de ce qui a vraiment été criminel contre l’humanité.


Et encore, la prudence écologique devient une religion avec ses prédicateurs fous, ses grands inquisiteurs, ses fatwas, ses chasses aux sorcières. On agite un dogme de précaution qui au lieu de garantir la sécurité, stérilise l'invention, car ne rien faire n'est pas toujours bien faire. Les prophètes de cette croyance en l'Apocalypse épuisent les efforts en vaines contraintes, alors qu'ils devraient inviter à les consacrer à la gestion des déchets qui submergeront le Monde avant qu'il ne se réchauffe.


De plus, ça et là, on bénit le virus malin qui a enrayé la mondialisation, en oubliant que si l’on ne retrouve pas très vite la vitalité des échanges internationaux, on retournera un siècle en arrière, et plus rien ne tiendra de nos modèles sociaux.


Enfin, on réactive la vieille lune du prolétaire, qui a disparu depuis la fin de l’ère industrielle, pour mettre en accusation les classes laborieuses qui ont le front de prétendre jouir des fruits de leur travail, et l’on cultive la civilisation du « rien foutre »comme gage de la décroissance.

La théorie du balancier qui ne s'arrête jamais au juste milieu, ne suffit pas à justifier ces égarements qui prétendent imposer une nouvelle culture, contre-culture qui ne serait nourrie que par la négation de l’ancienne. Détricoter n’a jamais fait bonne vêture.

Alors, qui sont les mauvais jardiniers ? Par quel chemins s’emparent-ils des esprits pour les pervertir ?


Ceux que l’on pourrait appeler les délirants ne sont, à regarder de près la manière dont ils raisonnent, que des rejetons du 19ème siècle. Leur pratique mentale, relève de la dialectique. Tout n’est qu’opposition. Le mouvement ne résulte que des conflits. Pour avancer, il faut être contre. On sait où mène ce mode de penser : directement, invariablement à la guerre. Ainsi le 20ème siècle fut le plus sanglant de l’histoire humaine. Si, en effet, l’on pense en termes d’antagonismes, la violence devient la seule voie de changement possible. Si l'Histoire est dialectique, elle est darwinienne, elle est marxiste, elle n'est que sauvagerie. La lutte pour la sélection, la lutte des classes, c'est toujours en éliminant l'autre que l'on progresse.


La réalité est, par bonheur, plus complexe. Elle obéit à d'autres lois, d'autres équations. Celles qui ont faits les hommes fraternels et meilleurs. Des lois supérieures à la bataille des espèces. Ces lois dont la dialectique ne peut rendre compte sont celles qui réunissent les homme entre eux. Celles qui les unissent dans des familles, dans des nations par un besoin gravitationnel de cohésion. Mais ces évidences qui contredisent les vieux préceptes peinent à s'imposer dans des esprits si bien formatés qu'ils sont cadenassés dans leurs réflexes de pensée.


L’audience des orphelins de cette pensée dialectique, simpliste et obsolète comme incapable de concevoir l’empathie à laquelle elle préfère le conflit, s’explique par le fait qu’un mode de pensée ne disparaît jamais totalement. Il est utilisé par défaut, même si les faits le contredisent. Tel un passant dans les ruines, il tente de reconstituer ce qui fut, sans pouvoir imaginer ce qui les remplacera.


L’honnête homme entend ces discours et s’en distancie en constatant leur discordance avec la réalité qu’il vit. Mais, pour qui ne se pose pas de question, et se contente d‘exister dans ses urgences quotidiennes, le poison fait son effet. La perméabilité aux médias, qui vont au plus facile, en est la cause. Croyant être à la pointe des nouveautés, ils versent dans les travers du rebours que l’on a évoqués plus haut. Le grand agacement, qu’ils provoquent chez certains, ne fait que les conforter dans l’idée qu’ils sont l’avant-garde d’une culture nouvelle, alors qu’il sont les retardataires d’une retraite sans flambeaux. Ils n'éclairent personne et ne conduisent nulle part.


Il faut décidément refuser de se laisser entraîner dans cette néo-réalité, qui par une défiguration du monde dénature les faits et les contourne.


La pensée future ne pourra se dispenser de regarder la vérité et le mouvement en termes de cohésion et de forces attractives. Dépasser la pensée dialectique pour s’ouvrir à une conception qui donne son avenir au monde par la cohérence et non le conflit, ne relève pas d’une utopie, mais d’une obligation. Car l’humanité ne résistera pas à une troisième guerre mondiale. Et c’est là où la conduit la pensée périmée du siècle passé. Y céder serait un suicide pareil à celui auquel s’est livrée l’Europe au 20ème siècle, mais en plus grandiose, pour parler comme le font les adulateurs de Nietzsche.


La gravitation étant la loi la plus puissante à l’œuvre dans l’univers, il est impossible que les affaires humaines ne se règlent pas tôt ou tard par la convergence, plutôt que par la bataille. Si cette espèce de primates que sont les humains continue à dissiper son énergie contre les lois cosmiques de la nature, elle se condamne à disparaître.



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