Adieu énarques, bonjour les inspés !
- André Touboul
- 24 déc. 2021
- 4 min de lecture

La liquidatrice de la plus prestigieuse école de France avec Polytechnique, l'École Nationale d’Administration vient d’être désignée en la personne de Maryvonne Le Brignonen, énarque via une école supérieure de commerce à Toulouse. On pourrait croire qu’il s’agit de l’acte d’exécution de la promesse d’Emmanuel Macron formulée à l’issue du Grand débat qui suivit la crise des Gilets jaunes, mais n’était pas une revendication de ceux-ci comme on l’entend répéter souvent. De fait, la tête de Turc des ronds points et des "actes du samedi" à Paris, ce n’étaient pas les énarques, mais Emmanuel Macron, lui-même. La grogne contre l'élite d’Etat s’était en réalité exprimée dans la France des notables visitée par le Président en réponse à la jacquerie populaire qui l'avait brûlé en effigie et décrochait son portrait dans les Mairies.
La suppression de l’école figurait dans les intentions du candidat, Macron. Cela faisait écho à de critiques exprimées par plusieurs politiques tels que Lionel Jospin et Laurent Fabius, certains allant même parler de machine à décerveler. Les tentatives de rabattre le caquet des promus de cette fabrique à petits marquis avaient déjà conduit à transférer le siège de l’établissement à Strasbourg. Ce coup bas avait d’ailleurs provoqué un mouvement de contestation des étudiants de l’époque dont avait fait partie une militante : Valérie Pécresse née Roux.
Il faut dire que les énarques, dont les premiers critiques furent, dès 1967, Jean-Pierre Chevènement et Didier Motchane, avec leur ouvrage intitulé « L’énarchie, ou les mandarins de la société bourgeoise », formés pour être les serviteurs de l’Etat, sont devenus au cours des années un véritable Etat dans l’Etat. Ils ont constitué, en tout cas, une force administrante, contrôlant le politique, sans laquelle les élus ne pouvaient rien, et contre laquelle il était illusoire de faire aboutir quelque réforme que ce soit.
Pétrie de la conviction que son sacerdoce était le Service public, certaine de la protection tutélaire de Colbert, leur saint patron, dont la devise était « pro rege saepe, semper pro patria », pour le roi souvent, pour la patrie toujours. Cette ordre des loyautés qui place le pouvoir politique en second, sera la marque de leur originalité, et la source de leur morgue, pour ne pas dire leur mépris de tout ce qui n’est pas de leur rang.
Une légende tenace veut que l’école nationale ait été voulue par le Général De Gaulle qui l’aurait fondée à la Libération. Certes, c’est Michel Debré qui a signé le Décret de création de l’institution, mais c’est Maurice Thorez, grande figure du communisme, qui présida à l’établissement du rapport qui y a conduit. Le concept remontait à une tentative en 1936 du socialiste Jean Zay, reprise avec l'école des cadres d'Uriage, par Pétain qui était persuadé que la défaite française de 40 était due à la supériorité des administrateurs allemands sur les normaliens humanistes français. Notons qu'en 1870 la défaite de Sedan avait été mise sur le compte de la supériorité des instituteurs prussiens, et que cela conduisit, en 1879, à la création des écoles normales dans chaque département.
Le système des écoles nationales, jouissant d'une exclusivité d'accès aux postes, sur lequel est bâtie l'ENA, reproduit pour la magistrature avec l’ENM de Bordeaux, et ensuite pour la fonction publique territoriale, était de fait d’inspiration soviétique. L’idée qui était de contrôler l’Etat par une administration strictement formatée, et le peuple par l’Etat bureaucratisé, a largement réussi dans ces objectifs, mais échoué à assurer la prospérité du pays et la paix sociale.
On pourrait se féliciter de la fin de ce régime élitiste, méritocratique sans être démocratique, car il réserve le pouvoir à une caste qui jamais ne rend compte de sa gestion au peuple. Hélas, comme beaucoup des initiatives d’Emmanuel Macron, les bonnes intentions ne sont que des pavés sur la route de l’Enfer.
Les inspés nous apprend-on vont bénéficier d’une formation (formatage?) commune avec les autres serviteurs de l'Etat : administrateurs, magistrats, policiers seront réunis ainsi que l'expose le projet de la Ministre Amélie de Montchalin. « l’lNSP sera aussi une brique dans la formation des hauts fonctionnaires. Il proposera un tronc commun de formation à 14 écoles de la haute fonction publique - de la magistrature à la police, en passant par la santé -, afin de créer une culture partagée ». Le plan d’ensemble est celui proposé par le rapport Thiriez.
Ainsi, sera constituée une caste homogène, jamais responsable de rien, sans contrepouvoir, car solidaire dans tous les compartiments : Police, Justice, Administration. En promettant de réformer l’élite d’Etat, Emmanuel Macron s’apprête à créer une super-élite, faisant bloc. Intouchable et par le fait fatalement inefficace, car l'incompétence est la conséquence nécessaire de l'irresponsabilité. Au sommet de la chaine chaîne alimentaire, l‘inspé n’aura à craindre aucun prédateur.
Par cette simple mesure, inspirée des entreprises qui pratiquent les séminaires de cohésion, l’élite d’Etat pourra acquérir un esprit maison. Mais l'Etat n’est pas une entreprise comme une autre, il détient le privilège de la violence légitime, et assure la conduite de la nation. Si, comme l'on peut le prévoir cette nouvelle élite prend corps, cela sera au détriment du peuple de France, en tout cas la part de celui-ci qui n’a pas renoncé à la démocratie.
Dans la République selon Socrate, Platon décrit une caste de Gardiens, au-dessus des lois qu’ils sont chargés de faire appliquer, jouissant de privilèges par exemple celui du droit au mensonge, alors qu’il est sévèrement réprimé pour les autres citoyens. Socrate parle de la formation des Gardiens, mais il ne dit rien sur leur sélection, l’allégorie sur leur âme d’or ne nous apprenant rien d'autre qu'une image. Il n'éclaire pas plus sur le moyen de s’assurer de la permanence de leur vertu et de leur compétence. Mais Socrate vivait dans une démocratie, et il pouvait rêver de choses impossibles dans un monde utopique. Ce philosophe, que l’on encense, n’est d’ailleurs pas un exemple à suivre ; il fut, en effet, l’inventeur de la « cancel culture », en proposant de censurer les poètes jusqu’à vouloir interdire Homère, accusé par lui d’avoir raconté dans l'Illiade que les Dieux pouvaient s’adonner au rire. Décidément, la République selon Emmanuel Macron serait un enfer si elle ressemblait à celle de Socrate.
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