American vertigo
- André Touboul
- 8 avr.
- 5 min de lecture

On ne comprend rien à la politique de Donald Trump. Les économistes la désossent en soulignant son archaïsme et son incohérence, les politologues s’offusquent de sa brutalité, d’autres le décrivent comme le roi du deal, chacun relève qu’elle tend à isoler les Etats-Unis de leurs amis bien plus qu’à les renforcer face à l’adressaire chinois.
Ces critiques sont fondées, mais elles tiennent essentiellement à la présentation provocante que fait le Président américain de ses décrets, et négligent la finalité cachée de ce traitement de cheval qu’il administre à l’économie mondiale.
La vérité apparait, non pas en écoutant le mirobolant Trump, mais en constatant ce qu’il fait au regard de la situation financière périlleuse dans laquelle se trouvent les USA. C’est là que prend naissance le vertige américain.
En 2024, le passif net US (dettes moins créances) a atteint 27.630 milliards de dollars. Fin avril 2024, la dette publique américaine totale s'élevait à 34 700 milliards de dollars, soit 125% du PIB. Les intérêts de celle-ci se montaient à USD 881 milliards en 2024, soit une charge de USD 100 millions par heure ! Alors que le gouvernement fédéral enregistrait un excédent budgétaire au cours de l'exercice 2001. Le déficit fédéral a brusquement plus que triplé, passant de 983,6 milliards de dollars en 2019 à 3,1 billions de dollars en 2020. Ces chiffres colossaux expliquent l’American vertigo qui n’est pas tant l’horreur du vide, mais la crainte de se trouver écrasé par la dette.
Depuis des décennies, profitant du statut du dollar, monnaie de réserve et de commerce international, ainsi que de leur position de gendarme du monde, les Etats-Unis ont émis de la dette. Aujourd’hui la Chine détient plus de 1 000 milliards de dollars. Jusqu’à Trump la doctrine était « Tant que nous n'aurons pas équilibré le budget américain et remboursé notre dette, la détention par la Chine de 7 % de la dette nationale continuera de lui donner un intérêt direct dans la prospérité de l'Amérique, et non un moyen de pression pour nous nuire. ».
Cette théorie a perdu évidement de sa pertinence quand les USA, inquiets de devenir dépendants de l’Empire du Milieu, en passe de devenir première économie mondiale, se sont avisés de rééquilibrer les échanges, de relocaliser leurs industries, ou simplement de changer de fournisseurs en Asie.
La question des créances détenues non plus par un partenaire mais par un adversaire est devenue cruciale. Dès lors, la maitrise des déficits commerciaux et publics est devenue prioritaire.
De fait, les déficits signifient que les Américains vivent, en partie à crédit, donc au dessus de leurs moyens, et/ou n’ont plus les moyens de leur politique impériale extérieure.
A la seule lumière de ces chiffres qui ont fait écrire à plus d’un financier que les Etats-Unis sont en faillite virtuelle et bientôt réelle, on comprend que ce que signifie MAGA. Il s’agit par cette « grandeur » affichée de se serrer la ceinture et de se retrousser les manches, afin de retrouver une santé financière perdue.
Sous un habillage cocardier qui parle aux tripes, l’Oncle Donald-Picsou tente de colmater les brèches.
D’abord il économise sur la défense en affichant un pacifisme qui ressemble plus à une retraite ou à une capitulation qu’à une paix arrachée par la négociation en position de force. Ainsi Trump décrète que Poutine est un « bon gars ». Et il somme les Européens de financer l’OTAN à sa place. Sur ce dernier point, le Président US n’a pas tort, l’Europe a touché les dividendes d’une paix qui était américaine. Mais la contrepartie, ne l’oublions pas, était que les Etats-Unis faisaient la loi soutenant ainsi leur commerce et leur monnaie.
Ensuite, il s’est attaqué au déficit commercial, arguant que l’Europe avait profité des USA et les avait même « entubés ». Sur ce point, l’argument est de mauvaise foi, car, qui profite de l’autre quand les Allemands fabriquent les automobiles et les Américains roulent dedans.
Ce n’est que par le détour monétaire que l’on considère les exportations comme bénéfiques. Elles sont bonnes pour les finances, mais c’est le travail des pays producteurs qui assure le niveau de vie des peuples consommateurs.
Dans le même sens, Trump s’emploie à dévaluer le dollar, ce qui facilitera les exportations US, mais renchérira les produits importés. Il s’agit de travailler plus et de consommer moins pour les Américains.
Voilà ce que signifie en vérité MAGA. Faire faire une cure d’austérité aux Américains. Sous les caprices apparents d’un tyran brouillon qui n’en fait qu’à sa tête, se mène une politique d’assainissement financier.
Les comités de la hache du DOGE, mis en oeuvre par Elon Musk ont certes pour objet de nettoyer l’Administration fédérale de fonctionnaires politisés à gauche, cela c’est le spoil system classique. Cependant, le but réel est de sabrer dans les dépenses.
Si Donald Trump avait fait campagne sur le thème de l’assainissement financier nécessaire pour éviter la banqueroute, ou d’être pris à la gorge par le créancier chinois, il aurait eu bien du mal à enthousiasmer les foules. Il a préféré, plus efficacement, mener une croisade anti-woke, cette idéologie toxique dont les Démocrates n’avaient pas su se démarquer, et il s’est investi d’un patriotisme économique aussi échevelé qu’illusoire.
En fait, promettant qu’il lutterait contre l’inflation, Trump mentait effrontément, car il ne pouvait ignorer que les taxes douanières, et la baisse du dollar ainsi que celle des taux d’intérêt qu’il réclame de la FED, auraient un effet inflationniste majeur. Mais, bien entendu, dans le cadre de son plan réel de mise au régime sec des Américains, l’inflation est un instrument idéal qui frappe les masses dont les dépenses contraintes sont proportionnellement les plus fortes. Pour l’heure, la dégringolade de Wall street porte atteinte surtout au pouvoir d’achat des retraités américains qui vivent sur leurs fonds de pension. S’ajoutant à la hausse des prix, cette catégorie sociale ne pardonnera pas cette trahison. « Nous n’avons pas voté pour cela ! », s’exclame un président de banque.
Au volant de la première économie du monde, le Président Américain donne de violents coups de frein, sachant que c’est d’abord l’Amérique qui va et doit ralentir. Il a beau faire la danse du ventre pour attirer les investisseurs industriels en leur promettant de devenir « riches comme jamais », il n’ignore pas que les délais de réalisation d’une usine sont bien supérieurs à l’effet de ses propres mesures.
De nombreux économistes s’étonnent de ce que les Etats-Unis aient déclenché ce tsunami mondial, alors que leur économie était plutôt en bonne santé, et qu’elle se portait en tout cas mieux que celles de l’Europe ou de la Chine. C’est oublier que cette prospérité est financée à crédit, et que lorsque les relations internationales se tendent le crédit en est la première victime.
On ne peut s’empêcher de constater que la situation financière de la France est, à proportion, similaire à celle des Etats-Unis, et que si elle a pu aussi facilement et autant déraper ces dix dernières années, c’est parce qu’elle a bénéficié de l’euro, comme les Américains du dollar.
Un recadrage du niveau de vie des Français devra intervenir. Bien entendu, nul n’aura l’inconscience de le leur dire, ni la témérité d’en faire un programme. Mais il est fatal que le prochain Président français aura à affronter le même problème d’austérité à mettre en œuvre que Trump. Il ne pourra compter sur la même puissance économique et politique pour en transférer une partie de la charge aux partenaires de la France. Il sera en tout cas difficile d’obtenir une mutualisation européenne des efforts, alors que les partis politiques français de tous bords en sont toujours à « gagner plus en travaillant moins ». Ni en France, ni outre Atlantique les cigales n’ont compris que la bise est venue.
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