Apocalypse now ?
- André Touboul
- 8 nov. 2020
- 4 min de lecture

On attendait encore les résultats définitifs, mais déjà les déclarations de Donald Trump résonnaient comme le bourdonnement sourd des hélicoptères d’Apocalypse now. Dès avant le jour de l’élection, il faisait entendre la petite musique du chaos. « Restez en arrière, mais tenez-vous prêts », avait-il lancé à des groupes de suprémacistes blancs armés jusqu’aux dents.
Pendant le dépouillement, qui n’a jamais mieux mérité son nom, car il se voyait, peu à peu, vrai supplice chinois, dépouillé de sa victoire trop tôt trompétée, les déclarations de l’agent orange, surnom de Trump en référence à sa coiffure, promettaient des fleuves de napalm, si l’on n’arrêtait pas de compter les votes par correspondance. Ce défoliant à bulletins de vote était une cohorte d’avocats, porteurs de requêtes pour arrêter le décompte.
Peine perdue. Le niveau de Biden continuait à monter en marée inexorable.
Soudain, Trump apprenait, en jouant au golf, peut-être dans un bunker qu’il avait cette fois raté son coup. Douleur suprême, c’était la Presse honnie qui annonçait la nouvelle. Coup fatal, même Fox News, refusait de le suivre dans ses contestations puériles du scrutin. Comme si cela pouvait suffire à changer les faits, l’enfant capricieux virait son équipe de juristes, en promettant toujours plus de procédures.
La messe est dite, l’écart de voix de grands électeurs est devenu impossible à remonter, même en cas d’inversion dans un Etat ou deux. Les Chefs d’Etat étrangers félicitaient son rival, et coup de grâce, même Nethaniaou se réjouissait de l’arrivée au pouvoir de Biden, qualifié de « grand ami d’Israël », ce qu’il est certainement, comme beaucoup d’Américains.
La seule question qui se pose à ce pauvre Donald est de savoir quelle attitude adopter pendant le temps de cohabitation avec son successeur.
Il n’est pas dans sa nature de se faire discret. Il continuera à contester. Mais nul ne l’écoute plus. Pas même les Républicains qui ont performé mieux que lui et pensent déjà à l’après Trump. Ils s ‘en étaient accommodés, faute de pouvoir s’en débarrasser, ils deviendra vite un gêneur. S’il défraye la chronique judiciaire, il sera bien plus encombrant qu’utile.
L’élection de Biden est la défaite personnelle de Trump. Le fait qu’il ait mieux résisté que ne le prédisaient les sondeurs, n’est pas à imputer à son crédit. Au contraire, les Républicains ne perdront peut-être pas le Sénat et le terrain perdu par les Démocrates à la chambre des Représentants montre que ce n’était pas la politique de Trump qui a été rejetée mais sa personne.
C’est pour lui le pire des échecs, car il a toujours cru qu’il ne faisait qu’un avec sa politique. L’élection de « Sleepy Joe » a prouvé le contraire. La participation record montre, non pas que 70 millions d’Américains qui ont voté pour lui l’appréciaient, mais qu’ils plébiscitaient sa politique.
Malgré la crise sanitaire, et malgré l’absence de programme de Biden, et les inquiétudes soulevées par l’aile gauche du parti de l’éléphant, 74 millions d’électeurs ont voté contre le milliardaire mal élevé.
Si l’on doit tirer une leçon plus générale de cette élection, c’est, qu’une fois de plus, les sondeurs se sont « trompés », prenant, sans doute, leurs désirs pour la réalité. Mais au-delà du wishful thinking, selon la formule consacrée, il faut y voir la limite du pouvoir des manipulateurs d’opinion qui pensent trop et mal ; ils sont en particulier convaincus que l’électeur vole au secours de la victoire, et qu’il voudra être du côté du gagnant. Pour eux, le citoyen se satisfait d’illusion, il est incapable de peser ce qui lui est favorable. L’élection de novembre 2020 montre que le peuple, dans un pays où l’information circule librement, sait faire la part des choses et que son intelligence collective le conduit à faire les bons choix.
Ce qui est bon pour les Etasuniens, ce qu’ils croient être leur intérêt, n’est pas celui du reste du monde et en particulier de l’Europe. Les divergences ne s’envoleront pas avec Trump, mais si l’on revient à une certaine civilité dans les relations internationales, c’est après tout pour cela que l’on a inventé la diplomatie, les dégâts seront moindres pour tous. Peut-être quelques imitateurs de Trump, tel Erdogan, en seront-ils conscients. Et, sans doute, l’échange d’arguments remplacera avantageusement l’invective.
Pour expliquer l’avènement de Trump, on a beaucoup souligné que les jeunes générations attachaient de moins en moins d’importance à la démocratie, et, donc, ne seraient pas gênées par le populisme. Un simple coup d’œil à la carte des Etats rouges et bleus montre que la séparation est plutôt territoriale que générationnelle. Les centres urbains et l’Amérique moderne ont rejeté Trump, pas la Middle America. Anti-élite, anti-pensée correcte Trump, bien que milliardaire, aurait pu porter un gilet jaune.
L’élection de Biden est un retour, non pas à la soumission à l’élite, le score de Trump, montre que « son » Amérique, celle qu'il a tenté de s'approprier, est toujours là ; elle marque la renaissance d'une conception plus consensuelle de la politique. Biden ne peut se targuer d'un blanc seing pour les positions les plus radicales. Cela convient à un homme de compromis tel que lui.
Car, ne nous y trompons pas, la brutalité est tout aussi présente à gauche qu’à droite. Les uns et les autres ressentent comme une aggression une volonté politique de les contraindre dans leur mode de vie. A gauche les activistes de tout poil veulent changer la société par la force, à droite les conservateurs défendent une Amérique du siècle passé. Il n'y a de fait qu'un seul vaincu, la méthode Trump.
Au bout du compte, loin d’être un moment de crise où s’approfondissent les divisions, l’élection américaine est une nouvelle occasion de constater que la démocratie, dès lors qu'elle bénéficie de contre-pouvoirs effectifs, et d'une information libre, peut se libérer du populisme, et de la dictature des réseaux sociaux ainsi que de leurs manipulateurs.
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