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Au bout de la crise de nerfs, la gueule de bois

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 4 févr. 2023
  • 8 min de lecture


Le faute majeure que commettent les brillants sujets qui nous gouvernent est d’avoir une sainte frousse de la rue. Leur nervosité est communicative, et le peuple français, qui n’aime pas décevoir, fait ce qu’on attend de lui. Il manifeste à la moindre occasion. A qui mieux mieux, les médias rivalisent pour s’extasier sur ce phénomène en l‘amplifiant, par ses annonces auto réalisatrices, et par ses estimations des plus fantaisistes. Les journalistes dont la mission est de rendre compte des événements, y participent et ne s’acquittent pas de leur mission, dès lors qu’ils énoncent des chiffres sans aucune fiabilité.


On avait coutume de l’estimation variant du simple au double entre les organisateurs des cortèges et celle de la police ; on assiste désormais à une différence de un à dix. Et curieusement la presse titre sur les chiffres les plus importants, même s’ils sont démentis par des instituts indépendants aux méthodes scientifiques, comme Occurrence filiale de l’IFOP. Entre 500.000 à Paris le 30 janvier, selon la CGT à 87.000 pour la préfecture, et 55.000 pour Occurrence, la presse annonce le demi million.


Avec une certaine gourmandise, les commentateurs insistent sur la mobilisation des manifestants. Il faut dire que l’émeute est une fondation profonde de la culture républicaine qui est d’essence révolutionnaire,


La fête nationale française n’est pas celle de l’unité du pays, c’est la commémoration de la prise de la Bastille par une foule déchainée, enhardie par l’odeur de la peur des gardes de la prison la moins garnie du royaume. Car la peur a une odeur, qui n’est pas celle de la sainteté.


Notre élite d’Etat est aussi déconnectée de la population que l’étaient les nobles sous l’Ancien Régime, auxquels on les compare souvent. Elle nourrit à son égard les mêmes préventions et un mépris tout aussi complet. Cela conduit notre classe dirigeante à produire un discours infantilisant qui irrite au plus haut point le simple citoyen qui déteste qu’on le prenne pour un simplet.


Dès qu’il est question d’une réforme, on entend les genoux s’entrechoquer dans les cabinets ministériels. C’est la danse des chocottes. Alors, illico, les conseillers en communication montent au créneau pour désamorcer les mécontentements. Ils suggèrent d’insister sur tout ce que la mesure envisagée n’est pas pour faire oublier ce qu’elle est.


A l’homme de la rue, l’on expose que la réforme des retraites, qui est d’évidence une augmentation des efforts au travail, va enfin prendre en compte les métiers pénibles (quel métier ne l’est pas ?), que les carrières « hachées » seraient enfin recousues, que les jeunes seraient mieux lotis et les anciens itou. Ce brave quidam ne peut que s’interroger avec défiance.


D’abord, il se demande pourquoi l’on ne s’en souciait pas avant de toutes ces injustices auxquelles il faudrait soudain mettre fin. Ensuite, il est trop familier de l’expression « noyer le poisson » pour se laisser prendre à de tels artifices.


Son sentiment est que le pouvoir lui dore la pilule, lui fait passer des vessies pour des lanternes, le prend pour un benêt, et que cela dissimule une vérité : la réforme a d’autres raisons que son apparence. Pour sûr, il ne s’agit pas seulement de prolonger la vie active pour que le rapport entre cotisants et bénéficiaires des pensions soit moins déséquilibré. Cela, il le comprend. Mais il suspecte que dans le brouillard des sucreries que l’on promet, se cache une potion amère dont personne ne parle.


Même s’il ne croit pas dans les billevesées des Syndicats et des Partis d’opposition, qui les uns ont pour habitude de crier au loup et les autres pour profession de hurler au charron, et d’inventer les arguties les plus diverses, il redoute un coup fourré.


Habitant dans le pays de la douceur de vivre, le Français est un consommateur compulsif de tranquillisants. C’est que la crise de nerf est un mode de régulation sociale, pratiquement exclusif. Avant toute discussion, l’on fait grève. Comme les guerriers antiques tapaient sur leur boucliers pour se donner du courage. Immédiatement la moindre discussion prend un tour idéologique, les interlocuteurs grimpent aux rideaux comme des chats féroces.

Chacun s’estimerait déshonoré, si l’on n’en passait pas par une lutte sans merci. Ce psychodrame traverse la société française. Des relations dans les entreprises jusqu’aux débats politiques en passant par les réunions de copropriétés.


On disait jadis qu’en France tout finit toujours par des chansons, ce temps est bien lointain. Les cortèges sont plus des lieux d’injures et d’invectives que des chorales. Chacun y déverse sa rancoeur et sa bille noire. La rue est une sorte de réseau social où, enhardi par le nombre, protégé par la foule, l’individu se défoule,


On dit et l’on répète que le « quoiqu’il en coûte » de la pandémie aurait fait perdre définitivement aux Français le sens des réalités. C’est encore les prendre pour des imbéciles. Bien entendu certains, sur un bord de trottoir ou au comptoir du café du commerce, seront tentés par cette répartie facile, mais chacun sait bien que la fête est finie. Et, bien pis, que le moment est venu d’en payer les conséquences.


Dans une crise de nerfs comme dans une scène de ménage, les arguments de mauvaise foi sont monnaie courante. On peut même dire que ce sont eux qui prévalent comme aliments de la bataille.


Le baroud d’honneur est un must de la politique. La garde meurt, mais ne se rend pas. L’opposition fait tout pour se faire passer sur le corps, mais tant qu’à se faire violer, elle devrait tenter d’y prendre du plaisir. Que nenni ! Pas question de pactiser avec un pouvoir tyrannique.


Les Français se piquent d’être démocrates, mais ils trouvent toujours de multiples arguties pour dénier la légitimité des élus. En particulier, on dit que les Présidents sont mal élus, puisqu’ils l’ont été « contre », « par défaut », « par surprise », ou encore sur de fausses promesse..


Ces banalités de l’élection sont montées en épingle pour délégitimer le pouvoir.


Eh, oui, l’élection est une affaire humaine donc imparfaite. En vérité, malgré l’Etat laïc, les Français rêvent d’un Président monarque désigné par Dieu. En fait, ils n’ont jamais rompu avec la monarchie de droit divin. Les Gaulois veulent bien faire des efforts, mais à condition qu’ils leur soient imposés. Alésia, la bataille fondatrice, est une défaite. Il en résulte un certain fatalisme face à l’autorité. De leur propre volonté, plutôt que d’y adhérer, ils tenteront plutôt de biaiser avec les obligations qui feraient d’eux des citoyens modèles de type scandinave.


On dira ce que l’on voudra sur Emmanuel Macron, et les sujets tant de critique que de moquerie ne manquent pas, mais, depuis Pompidou, il est le seul Président qui ait réussi à faire significativement baisser le chômage. Les autres, tous les autres, s’y sont évertués, et n’ont fait que l’accroitre. Le plus pitoyable aura été François Hollande qui, en bricoleur du dimanche, prétendait en inverser la courbe avec sa boite à outils.


Cette performance macronienne d’importance majeure ne relevait pas d’une profonde analyse de prix Nobel d’économie. Il suffisait de constater que parmi les pays qui entourent la France, il existait un point commun, aucun ne taxait le capital. Soit, ils ne l’avaient jamais fait, soit ils y avaient renoncé, et tous réalisaient, quand à l’emploi, de meilleures performances que la France.


Cette seule observation suffisait à convaincre qu’il y avait là quelque bon sens à ne pas persister dans une imposition toxique. L’opinion française restait néanmoins hostile à la suppression de l’ISF, pour des motifs symboliques de « justice sociale », car le supprimer aurait été un cadeau aux riches, donc une insulte aux pauvres. C’était un raisonnement de myopes, car les plus défavorisés le sont encore plus quand l’économie, privée de ses moteurs les plus actifs et créatifs est dévitalisée. La richesse ne ruisselle sans doute pas, comme le prétendent certains économistes anglo-saxons, mais le chômage est la conséquence d’un déficit d’initiative. Or, celle-ci est clairement découragée par une taxation considérée comme confiscatoire.


Les pseudo-experts, plus idéologues que compétents, ont longtemps entretenu le mythe d’une absence d’effet négatif d’un impôt sur la fortune.

Bravant l’impopularité d’une mesure « antisociale », Emmanuel Macron a, dans les premiers jours de son premier mandat, contredisant Edouard Philippe qui voulait tergiverser, supprimé l’ISF pour le remplacer par l’IFI. Par cette demi-mesure, il espérait réconcilier les capitaux avec la France, retenir les entrepreneurs les plus audacieux et remotiver une classe d’entrepreneurs lasse de se faire plumer.

Il y a gagné le surnom de Président des riches, alors qu’il était le Président de l’emploi.

La preuve est faite désormais que cette stratégie qui n’était qu’une mise à niveau de ce qui se faisait alentour, a fonctionné. Le chômage a reflué. On ne peut pas dire que cela soit dû à une autre réforme, pratiquement toutes les autres ont été de portée minuscule, sur ce point les critiques n’ont d’ailleurs pas manqué. Macron parle beaucoup, mais fait peu, dit-on de toutes parts.


On peut penser que c’est le souci de convergence intraeuropéenne qui a déterminé Macron, qui ne jure que par le niveau pertinent de l’action, celui de l’Union. Quoiqu’il en soit, il a osé, et il a eu raison.


La situation présente au regard de la question des retraites se pose dans des termes similaires. Comme pour l’ISF les arguments idéologiques, ceux du registre des symboles, des fausses données statistiques ne manquent pas. La singularité par rapport à nos voisins est toute aussi flagrante. Les Français partent à la retraite plus tôt que tous les autres. Et, parmi eux, les agents publics sont ceux qui en profitent le plus longtemps.


Cette situation n’appellerait peut-être pas une action urgente si du fait de la crise covid et du confortable « quoi qu’il en coûte » la dette publique française n’avait bondi au-delà de ce que les financiers considèrent comme raisonnable. Or, si la politique de la France ne se faisait pas à la Corbeille du temps du Général De Gaulle, elle en dépend désormais de manière vitale. La première Ministre éphémère britannique Liz Truss est là pour en témoigner : on ne joue pas avec les marchés financiers. Ceux-ci n’ont pas de sentiments, on peut même dire qu’ils sont d’une froideur terrifiante, et qu’il ne font aucun cadeau aux faibles. Hélas, ils sont les juges suprêmes de la crédibilité d’une politique.


Sans doute, bon nombre d’opposants à Emmanuel Macron ne verraient pas d’un mauvais œil la survenance d’une crise financière majeure qui, dans la catastrophe et la panique, leur donnerait de nouvelles opportunités. Ils ne le clament toutefois pas ouvertement, car jouer contre la solvabilité de l’Etat, c’est trop ouvertement nuire aux Français.


Après une forte colère, parce qu’en France on adore les mélodrames, il faudra bien se résoudre à faire comme les autres, et non seulement travailler plus longtemps, mais encore le dire en mettant fin à une singularité gauloise qui ne se justifie par aucune raison sensée.


Allonger la durée de travail jusqu’à 64 ans est la moindre des choses que les Français doivent faire pour rejoindre les autres Etats qui nous entourent et avec qui nous partageons tant de choses, à commencer par notre monnaie. Cette considération devrait suffire à clore le débat. En effet, nul ne peut prétendre que nos voisins se soient collectivement fourvoyés en retardant l’âge de départ à la retraite.


Emmanuel Macron ne peut reculer. Ni devant l’impopularité, largement attisée par des médias qui surestiment les mobilisations , ni face à guérilla parlementaire qui relève plus du psychodrame que d’un travail sérieux d’élaboration de la loi. La grève paralysante fusse-t-elle générale n’aura pas plus d’effet, car la grève ne peut rien contre la réalité.


Au bout de la crise de nerfs, les Français se réveilleront avec une gueule de bois. Ils regretteront les efforts faits pour éviter l’inévitable. Les joueurs de flûtiau qui les auront conduits sur les chemins du refus des évidences ne capitaliseront rien.


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