Avec des amis comme les Etats-Unis
- André Touboul
- 20 sept. 2021
- 5 min de lecture

Dans l’affaire du contrat de vente avortée des sous-marins français à l’Australie, il est clairement apparu que les Etats-Unis méprisent la France considérée par eux comme quantité négligeable. On se lamente de cette gifle, on devrait s’en féliciter, car elle est révélatrice d’une réalité politique qui restait jusque-là sous la surface.
Depuis la Libération, les Français vivaient dans la croyance que les Américains étaient venus pour les libérer du joug nazi, et on avait l'illusion qu’ils apportaient avec eux leur rêve d’une société démocratique, harmonieuse et conquérante du bien être de l’humanité.
Ils furent stupéfaits de constater que de Gaulle, revenu au pouvoir en 1958, n’avait pas cette vision. L'homme du 18 juin n’avait pas oublié que si les Américains étaient entrés dans la guerre, ce fut du fait de Pearl Harbour, et en ce qui concerne le théâtre européen parce qu’au lendemain de cette agression japonaise l’Allemagne leur avait déclaré la guerre. Certes, les Etats-Unis avaient aidé les Britanniques et même l’URSS, mais sans engager leur forces armées dans une guerre qui affaiblissait leurs concurrents.
Après le débarquement, les USA avaient commencé à mettre en place l’AMGOT, American Government of Territories, et battu une monnaie locale concurrente du Franc. Seule l’adhésion massive des Français à de Gaulle les a fait renoncer. Ces faits historiques relativisent les grandes déclarations selon lesquelles les GI étaient venus rendre le service que la France avait consenti pour l’indépendance de leur pays. « La Fayette nous voilà » de Juillet 1917, était déjà une illusion. Les Etats-Unis, résolument neutres à l’origine, n'étaient entrés dans la première guerre mondiale qu’en raison des torpillages de leurs navires civils par des sous-marins allemands.
La prédominance des intérêts économiques dans les choix US s’est encore manifestée dans l’entre-deux guerres par la collaboration des industriels américains avec les entreprises du régime nazi.
Durant la Guerre froide, les Américains ont brandi la bannière du Monde libre, et ont pu compter sur leurs alliés, y compris la France socialiste de François Mitterrand.
Ces temps sont révolus. Les Américains ne sont plus les gendarmes du monde, ils sont des partenaires économiques impérialistes, et des alliés non fiables.
Dans cette situation, on entend de toute part le chœur des pleureuses qui déplorent l'humiliation de la France en la considérant, au fond, comme dans l'ordre des choses, donc, en quelque sorte, méritée. Pourtant les atouts de la France sur la scène mondiale ne sont pas nuls. Dans le Pacifique, qui est essentiel pour les Américains, notre pays est présent en Polynésie notamment. Initier des discussions de coopération navale avec les Chinois est loin d’être une option saugrenue. Au demeurant, la France, dans ce domaine, n'a besoin d'aucune autorisation, car il ne dépend pas de l’Union européenne.
Certes, on objectera que la question des droits de l’homme rendrait la Chine infréquentable. Mais la politique étrangère ne peut se limiter à cet aspect. Côté positif, on doit considérer que la Chine est en passe de rattraper les Etats-Unis sur le plan économique, et peut-être les dépasser. On ne peut ignorer un tel partenaire.
De plus, le régime politique chinois, très étatiste, est loin d’être incompatible avec le nôtre. Car, à la différence de l’URSS, la Chine ne cherche pas à exporter son système ni son idéologie, elle veut seulement le conserver et faire du commerce.
Une erreur majeure serait de laisser les Etats-Unis faire leur affaire de la Chine. Ils ne manqueront pas de sacrifier leurs alliés d’hier à leurs intérêts immédiats ou futurs. L’affaire des sous-marins en est un exemple. Si un accord Pacifique est trouvé in fine entre USA et Chine, il se fera à notre détriment. Ni la France, ni l’Europe n’y auront quoi que ce soit à gagner.
Nous ne voulons pas une société à la chinoise, mais ne souhaitons pas plus du cauchemar qu’est devenu le rêve américain. Sur le plan culturel, les idées toxiques viennent aujourd’hui d’outre Atlantique, la woke politique fait planer un risque de déconstruction létal sur nos sociétés européennes, alors que dans leurs woks les asiatiques font de la bonne cuisine vapeur.
Entamer un dialogue gaullien avec les Chinois, en rappelant que le Général fut le premier occidental à reconnaître la Chine, donnerait plus qu'une bonne leçon aux stratèges de Washington. Cela constituerait un échec majeur dans leur politique qui consiste à isoler Pékin. Pour Paris, cela ne constituerait qu'un approfondissement de sa position développée en 2018 dans le Shangri-la Dialogue initié par Singapour. Cette marque d'indépendance n'est peut-être pas pour rien dans la mauvaise manière américaine de ces derniers jours. On en doute cependant, car il semble que les Américains avaient oublié la présence française au milieu du jeu Pacifique. Ils n’ont jamais été très calés en géographie, Georges Bush Jr., on s’en souvient, ignorait même où se trouvait la Grèce.
Si la France se rapproche de Pékin sur le plan diplomatique, cela serait tout sauf négligeable pour les USA. Un axe Franco-Chinois serait, en outre, opportun en prévision du prochain référendum en Nouvelle Calédonie qui intéresse au plus haut point la Chine laquelle, pour l'heure, y pousse à l'indépendance.
Reste la participation à l’OTAN, l'Organisation du Traité de l’Atlantique Nord. La politique d’indépendance du Général de Gaulle fut de se retirer un commandement intégré, sans dénoncer le traité. C’est aujourd’hui une évidence que de retrouver cette position.
Les Américains défendent leurs intérêts et eux seuls. C’est désormais patent, Trump ou Biden, cela ne change rien, il s'agit dune constante de la géopolitique d'outre-Atlantique. Si l'Europe est attaquée, en Estonie, ou Lituanie par exemple, ils ne bougeront pas. Disposer d’un parapluie, qui ne s’ouvre pas quand il pleut, est une garantie de se faire rincer à la première averse. Pour la Crimée, les Américains n’ont rien fait d’autre que prendre des sanctions économiques, et ont forcé les Européens à les suivre, à leurs frais. Mais cela n’a eu aucun effet positif sur les Russes, étant désormais prouvé que cette version moderne du blocus ne fait que renforcer la détermination de celui qui en est l'objet. La Crimée reste russe, et Poutine est toujours là. Avec une immense naïveté les Américains croient que l’économie est la clé de toutes les décisions. Ils se trompent, le patriotisme a toujours le dernier mot. Ainsi l’Iranien préférera mourir de faim que de se plier à la loi de l’étranger.
En Afghanistan, les Etats-Unis se sont retirés, comme ils l’ont fait du reste du Moyen Orient, après y avoir semé le chaos. De fait, leur politique n’a jamais été dictée par autre chose que leurs intérêts pétroliers. Sitôt leur indépendance recouvrée grâce au pétrole et au gaz de schistes, ils se sont désengagés.
Il est temps que la France se désengage des Etats-Unis, et joue sa carte indépendante dans le Pacifique. Elle a tout à y gagner, et rien à perdre, car avec des amis comme les Américains, on n’a pas besoin d’ennemis. Sur ce thème les candidats aux présidentielles de 2022 devront se positionner, et dans l'immédiat Macron sera jugé.
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