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Balade des soldats perdus

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 29 avr. 2021
  • 4 min de lecture


En signant leur lettre ouverte aux politiques, une petite centaine de militaires a voulu pousser un cri d’alarme. Pour peu que l’on se donne la peine de lire leur texte, il est difficile d’y trouver quelque qu’exagération que ce soit dans le constat, ou volonté séditieuse dans les intentions. Loin d’émaner de soldats perdus de la République, prêt à retourner leurs armes contre l’Etat, les signataires sont en majorité des retraités qui ont estimé ne plus pouvoir se taire.

La réaction gouvernementale, épidermique et trop rapide, relève de l’autisme ; elle est exagérée et déconnectée des réalités évoquées par le texte.


Chaque ministre, comme en service commandé, y est allé de sa petite phrase indignée. L’inventaire en est consternant, il est à la mesure de la médiocrité du personnel exécutif. Le comble du risible aura été d’agiter le spectre de la tentative de putsch de 1962 que pour la plupart, sinon en totalité, ils n’ont pas connu. En 1962, des hauts gradés ont déclaré prendre le pouvoir ; la lettre de 2021 ne fait qu’appeler les autorité légales à réagir.

Dans le chœur des indignés, Dupond-Moretti s’égare dans l’insulte à l’encontre de Marine Le Pen, la mettant sottement en valeur. L’ancien avocat, récidiviste à cet égard, devrait savoir que devant un tribunal, fût-il médiatique, l’agresseur a toujours tort. Ces excès étaient inutiles car la tentative de récupération des signataires du libelle par la patronne du RN était peu digne et du niveau de la petite cuisine politicienne ; comme pour les Gilets jaunes, le racolage a échoué, les auteurs de la déclaration ont poliment décliné l’offre de celle qui leur tendaient les bras.


La menace de sanctions brandie par la Ministre des armées, le Premier Ministre, et le Chef des armées, non motivée par le contenu de la lettre, mais un principe d'obligation de réserve par ailleurs si peu respecté, est une maladresse. Elle pourrait, si elle ne met pas le feu aux poudres, déconsidérer le macronisme, pour longtemps et en profondeur, aux yeux d’une droite modérée indispensable au candidat Macron. En effet, par une indignation surjouée de ses ministres, le Président se retrouve dans le même camp qu’un Mélenchon qui la bave aux lèvre réclame que l’on condamne les traitres. On pense à la chanson de Béart :« celui qui dit la vérité, il doit être exécuté ».


Malgré les hochements de menton, plus de dix mille militaires ont souscrit au texte "scélérat". Ce fait devrait interpeller le gouvernement ; comme il devrait s’interroger sur la raison de la transgression que constitue la prise de parole de serviteurs de la Grande muette. Au lieu de crier au loup, il fallait soit ignorer le document, soit répondre sur le fond.

L’erreur fatale du gouvernement est que, de par son rejet en bloc des remontrances, il accrédite l’idée qu’il s’oppose à tout sursaut national, et se fait complice du déclin civilisationnel de la France. Emmanuel Macron aura beau se rendre, une fois encore, une fois de plus, aux obsèques d’une victime du terrorisme, cela ne fera que donner l’image d’un Président qui inaugure les chrysanthèmes, quand il faudrait monter au front.


Certes, les pétitionnaires font, sans précaution, état de leurs grades militaires, à la retraite ou pas, et cette utilisation de leur qualité n’est pas neutre. Mais les Magistrats ne se privent pas de signer des pétitions es qualité, et personne ne s’en émeut, alors que la démocratie est clairement polluée par l’ingérence des juges dans les débats électoraux.


Les militaires doivent se taire, dit-on, pour protéger la République du risque de dictature. Mais le général de Villiers a publié deux livres critiques sur le gouvernement, sans que nul ne réagisse. Il faut dire que le haut gradé a été crédité de plus de 20% d’intentions de vote pour d’éventuelles présidentielles.


Il est exact que les auteurs à l’initiative du texte repris sous forme de tribune par Valeurs Actuelles sont d’extrême droite. Mais l’extrême gauche n’a pas le monopole du droit de s’exprimer et pétitionner.


Sur le fond, la lucidité est du côté des pétitionnaires dont le constat est malheureusement incontournable. L’affrontement civil qu’ils disent redouter, n’est plus totalement une vue de l'esprit. Personne ne le souhaite, l’immense majorité des Français n’aspire qu’à vivre en paix. Mais il est désormais envisageable qu’à force d’agressions, la civilisation paisible, dont nous jouissons depuis plus de 70 ans, puisse tourner à l’aigre.


« La menace de la guerre civile rôde. Elle est là, bien présente. Elle «enjambe» 1905 et la loi de séparation des Églises et de l’Etat. Elle touche au plus profond de ce qui fait le cœur de la concorde civile française »,constatait un article publié dans Slate.fr du 13 mars`2017. Un site fondé par Jean-Marie Colombani, ancien directeur du journal Le Monde, et pas vraiment suppôt de la droite.

Le spectre de la guerre civile paraît peu actuel, et c'est heureux. Mais l’histoire n’est pas écrite. Aux périodes de calme succèdent parfois brusquement, les pires violences. Les Français jusqu’ici sont apathiques, comme l’eau qui dort. La lettre des généraux est un signal pas si faible que cela que leur capacité d'endurer n’est qu’apparence.


Au delà du trouble profond d’une population majoritairement silencieuse, la lettre ouverte des militaires révèle qu’il existe une résistance à l’inéluctable dans le doux pays de France. En vérité, l‘aspect le plus gênant pour le pouvoir dans la pétition de ceux qui se veulent des gilets kakis, ce n’est pas le risque immédiat quasi nul d’embrasement social ou d’occupation des ronds-points, mais le fait qu’une partie de la population ne soit pas aussi résignée qu'on le dit au futur qui lui est préparé, et envisage d’avoir à défendre son mode de vie, les armes à la main.


Cela dérange les bonnes âmes qui se soumettent à la déconfiture de la culture française, car s'ils la considèrent comme fatale, c’est plus du fait que les Français ne paraissent résignés, que par conviction pour un multiculturalisme dont on voit bien ce qu’il détruit, mais très mal ce qu’il apporte. Le fait nouveau dans la balade des soldats perdus, est qu'elle pourrait bien annoncer celle des moutons enragés.



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