Comme Dieu quand il habite en France
- André Touboul
- 13 févr. 2022
- 4 min de lecture

Qu’on le nomme déclin ou déclassement, que l’on attribue ses causes à la fatalité, au désamour des Français pour leur nation, pour leur religion, pour leurs institutions, au mouvement interne de toute civilisation qui serait mortelle, ou à la poussée des barbaresques qui profiteraient du vide dont la nature a horreur,
Que l’on parle de suicide français, que l’on soit déclinologue ou collapsophile,
Que l’on constate que la cinquième puissance mondiale soit désormais une impuissance,
Que l’on s’épouvante à l’évocation des catastrophes qui menacent le monde,
Que l’on redoute le dérèglement climatique, le sixième continent de détritus plastiques qui menace toute vie marine, la démographie galopante, la faim dans le monde, les pandémies,
Que l’on envisage la fin des temps par la collision avec une météore géante,
Que l’on pronostique l’effondrement l’Occident ,
Que l’on se lamente sur la crise de la démocratie, les violations des droits de l’homme, ou celles de la femme,
Que l'on s'alarme du racisme et de sa forme moderne qu'est le racialisme,
Que l’on s'inquiète des progrès des régimes autoritaires et des populismes,
Que l’on craigne la maladie, le chômage, les impôts, l’inflation ou les trois à la fois,
Que l’on déplore l’abandon du latin et du grec ancien, puis celui des mathématiques, après la perte de toute chronologie historique, la naufrage de l’orthographe dans les textos ou le sabir inclusif,
Que l’on ait les genoux en sang à force de se repentir des fautes réelles ou supposées fautes de nos aïeux,
Que l’on soit las de déboulonner les statues de grands hommes qui ont fait beaucoup, pour les remplacer par celles de gens qui ne nous ont rien appris ni apporté,
Que l’on soit stupéfié par l’annonce de 330000 crimes pédophiles dans l’Église de France,
Que l’on ait quelque raison de croître que l’insécurité n’est pas qu’un sentiment,
Que l’on soit atterré par la maltraitance dont les vieilles personnes sont victimes,
Que l’on soit écœuré par l’indigence du personnel politique auquel on rêve de donner ses huit jours,
Que l’on soit excédé de recevoir des leçons de morale par des gens qui oublient de se les appliquer à eux-mêmes,
Que l’on ne sache plus où est le bien et le mal,
il est certain que les sujets de pessimisme sont légion et que la lucidité de notre époque sur ce qui va de travers est exceptionnelle.
Pour autant, le bon peuple de France, fait preuve d'une singulière placidité proche de l'indifférence. Tout se passe comme si cette Apocalypse que l'on comprend pour maintenant ne le concernait pas pour de vrai.
Certes les Français sont imbattables pour la consommation de neuroleptiques, narcotiques et autres stupéfiants. Mais leur fréquentation des hôpitaux psychiatriques reste modérée, et tous ces constats tragiques ne donnent lieu qu’à de simples états d’âmes qu’il serait excessif de prendre au sérieux. Ce sont des sujets de conversation, mais pas de mobilisation. Au fond, ils sont bien les héritiers des Gaulois qui craignaient que le ciel leur tombe sur la tête, mais n’en faisaient pas tout un plat. Le pire est inéluctable, nul ne le conteste, mais personne ne le ressent comme certain.
Il existe dans les tréfonds de l’âme de nos compatriotes un optimisme indéracinable, une sorte d'exception qui les place hors des contingences et du temps. Impossible n’est pas français. Pour le dire, ils préfèrent utiliser le terme « compliqué », qui laisse la porte ouverte à un issue heureuse qui surviendrait, par le miracle de leur génie national, ou pourquoi pas sur un malentendu.
Ce caractère des Français est proprement ahurissant. Ils sont les derniers en Europe, et sans doute au monde, à croire que l’allongement de l’espérance de vie n’aura aucun effet sur la durée du travail et la mise à la retraite. Ils continuent à penser que l’Etat qu’il savent impécunieux, incapable et obèse réglera in fine tous leurs problèmes, quels qu'ils soient et quoi qu'il en coûte. Ils voient la dette publique se creuser et imaginent qu’ils n’auront pas à la rembourser. Ils croient qu’ils vivront encore longtemps des commerces de luxe dont ils ne cessent de professer le mépris. Ils savent que leurs politiques promettent la lune, mais continuent à espérer qu’ils ne les décevront pas. Ils persistent à penser qu’il suffit d’imposer les riches pour qu’eux-mêmes soient moins taxés, oubliant qu’ils font aussi partie de la volaille fiscale à plumer. Ils ont une piètre opinion des médias, mais continuent à y puiser leurs convictions. Ils vilipendent les réseaux sociaux, mais y restent imperturbablement attachés. L'incohérence de tout cela, ils la savent aussi, mais rien ne vient modifier leur comportement, comme si rien ne pouvait les atteindre dans leur vie réelle où la logique n'a pas cours. Au niveau où on l'observe en France cette conduite relève plus de l'inconséquence que de l'optimisme.
Ces étrangetés tiennent beaucoup au fait que les Français séparent leurs jugements collectifs qui sont d’une grande clairvoyance, des implications personnelles que ceux-ci pourraient avoir. Interrogez un quidam pris au hasard, il sera invariablement et absolument pessimiste pour l’avenir de la France, mais pas vraiment pour le sien. Pour lui, jusque-là ça va.
Certes, on observe quelques poussées de fièvre collectives, mais dans leur immense majorité les Français pris individuellement ne sont pas mécontents de leur sort actuel ni futur. Au fond, tant que leur quotidien n’est pas gravement touché, ils trouveraient plutôt dans les malheurs du monde dont ils ne disconviennent pas une raison de se satisfaire de leur condition présente.
Pour l’avenir, le Français croit au système D, l’exception personnelle qui lui permettra d’échapper à la fatalité collective. Il est homme à sortir tête nue un jour de pluie, persuadé qu’il saura passer entre les gouttes.
Un esprit cartésien pourrait déceler dans ces discordances un défaut de rationalité, et les moralistes trouver matière à y dénoncer un certain égoïsme. Ce seraient là de mauvais procès, le Français est simplement le produit d’une terre généreuse et d’un climat favorable, celui de la douce France. Heureux comme Dieu quand il habite en France, disent les Allemands, il aurait très mauvaise grâce à ne pas être optimiste. Au surplus, le Français dispose d’un privilège inouï surpassant même l'Eden dans lequel il vit, qui est celui de se plaindre. Nos sages gouvernants, qui ont accordé cette faculté au peuple et l'encouragent, ont compris que tant que le peuple récrimine sur tout, il est pour eux inoffensif, car rien ne le dérange vraiment.
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