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Crédit est mort, les mauvais payeurs l’ont tué

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 27 févr. 2021
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 28 févr. 2021





Avec un certain goût de la provocation, Thomas Piketty, rejoint par une cohorte d’économistes militants, racolés dans les pays les plus endettés, somme l’Europe d’annuler la “dette covid”.


Partant du fait, assez évident, que les Etats de l’Union ne pourront pas de sitôt, sinon jamais, rembourser la dette qu’ils ont contractée vis à vis de la BCE à l’occasion de la pandémie, ils déclarent qu’il convient de l’annuler. Il s’agit pour eux de conjurer le spectre de politiques d’austérité, non pas pour le matraquage fiscal qui les accompagne et leur conviendrait bien, mais pour la nécessaire frugalité dans la dépense publique, qui est pour eux la panacée universelle pour lutter contre les inégalités.


Bien qu’en France, le poids redistributif de l’Etat soit un record mondial, ou peut-être à cause de ce fait, la controverse est ouverte. Elle est attisée par le fait que la droite dite libérale, saisie par le laxisme comptable de la période covidienne, semble s’être convertie à la mode des aides d’Etat. En effet, les leaders de Les Républicains, se découvrant une vocation de pères Noël, prônent un revenu universel et une hausse des salaires dans leur programme pour les prochaines présidentielles, où ils n’ont toujours pas de candidat.


Le Figaro, lui-même, se pose sérieusement la question de l’annulation de la dette, tombant dans le panneau des théoriciens pikettiens dont le crédo est “du capitalisme faisons table rase”. Ces derniers ont beau jeu de pointer les faiblesses et dangers du capitalisme financier, et, au vu de ses crises successives, l’on ne peut que les suivre sur ce plan. Ils ne disent cependant pas par quoi ni comment remplacer ce rouage essentiel de l’économie, qu’il est évidemment nécessaire de réguler, mais que l’on ne peut ignorer.

Tout ce que proposent les bons apôtres réunis autour de Thomas Piketty, auréolé de son best seller américain, fait abstraction de l’existence d’un marché financier mondial, car, pour eux, la notion même de marché est une incongruité. Selon eux, l’Etat doit et peut tout faire, tout fixer, tout décider. Ils omettent de prendre en compte qu’il n’y a pas d’Etat mondial, et que le monde étant ouvert, le marché est incontournable. On doit donc les qualifier d‘économistes utopiques, auxquels on pourrait objecter que quand l’Etat décide de tout, il s’agit d’un totalitarisme, et qu’il faut dire adieu à toutes les libertés.

Bien que complètement hors sol, la polémique s’est développée. Tant et si bien que la gardienne du Temple, Madame Lagarde, a dû monter au créneau. Sa réplique a été cinglante : la chose est “inenvisageable”. Elle la justifie par le fait que cette pratique serait contraire aux traités fondateurs de l’Union, donc illégale. Elle serait, ajoute-telle, sans effet, car les dettes contractées auprès de la BCE, sont des actifs pour les diverses banques centrales. Et cela constituerait, en outre et surtout, un très mauvais signal adressé aux marchés où la BCE s’approvisionne.


Les tenants de l’annulation répliquent que les règles sont faites pour avoir des exceptions, et ce qui est illégal pour Mme Lagarde serait possible politiquement. Ils n’ont pas complétement tort, car c’est bien ce qui a été fait pour les “subventions” du plan de relance.


Ne s’arrêtant pas en si bon chemin nos utopistes ajoutent que l’on pourrait utiliser les fonds pour investir dans la lutte pour le climat, sautant à pieds joint par dessus le paradoxe qu’il y a à vouloir d’utiliser un argent que justement l’on a pas.

Il est vrai que Mme Lagarde n’est pas convaincante quand elle expose que l’annulation serait sans effet, car elle raisonne globalement sans tenir compte de la répartition des dettes entre les Etats. Or c’est, très précisément, là où gît le lièvre : les membres de l’Union n’ont pas tous le même endettement "covid", et les Etats n’ont pas tous agi de la même façon face à la crise sanitaire. Annuler la dette serait favoriser certains et en léser d’autres.


Sans parler des établissements financiers privés refinancés auprès de la BCE, il existe plusieurs dettes des Etats entre les mains de la Banque Centrale. Parmi celles-ci, les concours relatifs à la relance et au coronavirus dont la mise en place est retardée par les mécanismes de ratification par les divers Parlements des Etats membres. Une partie, sera soumise à des conditions d’investissement, elle aura le caractère de subventions, donc non remboursables. Sa répartition entre les Etats a fait l’objet d’un accord unanime, marquant une solidarité européenne que tant le Brexit que la pandémie ont révélée plus forte qu’on ne le disait. Le financement de cette dette qui restera celle de l’Union, se fera sur les marchés financiers.


En ce qui concerne la partie théoriquement remboursable, également objet d'une accord politique unanime, on expose avec bon sens qu’elle va aussi “rouler”, c’est à dire sera renouvelée, sinon indéfiniment, en tout cas longtemps. Pour l’heure, elle ne coûte pratiquement rien. D’autant plus que c’est l’Europe qui emprunte et non chaque Etat, dont certains auraient à affronter des conditions bien plus sévères. Mais de là à annuler une dette souscrite en consortium, il y a un pas de géant que la BCE, ni même l’Union ne pourraient franchir sans graves dommages.


La sagesse populaire le dit : Crédit est mort les mauvais payeurs l’ont tué.

Mme Lagarde a exposé, en effet, que la BCE est de plus en plus financée par les pays émergeants, et doit donner des gages de sérieux. L’argument est d’importance. Il est la preuve que l’euro a rejoint le dollar dans le rôle de monnaie de réserve, et il est naturel que la BCE entende protéger ce statut.

Evidemment, le Trésor américain, sans le dire, ne se prive pas de financer son économie en battant monnaie par l’émission de bons que les investisseurs s’arrachent. Il n’est pas anormal que l’Europe fasse, en toute discrétion ou si l’on veut hypocrisie, de même, dès lors que le cours de sa devise reste élevé... trop élevé disent certains exportateurs.


Il est donc impératif que Mme Lagarde reste prudente dans son discours, tout en sachant que la vraie limite de sa liberté d’aider l’économie européenne par des injections de monnaie est inscrite, chaque matin, sur le marché des devises.


Les affaires financières sont fragiles, elles sont soumises à des éléments objectifs, mais aussi subjectifs. C’est la raison pour laquelle on parle de signaux positifs ou négatifs. Certes Mme Lagarde n’agite pas les bras pour faire des signaux, mais le moindre de ses mots est, comme ceux de son homologue américaine de la FED, pesé au milligramme et emporte des conséquences sur les marchés , non seulement pour la BCE, les Etats qui y ont recours directement, mais aussi toute l’économie. Et les effets s’amplifient au fur et à mesure que l’on descend dans l’échelle de solvabilité.


Les rumeurs d’annulation de dette, quelle qu’elle soit, sont à cet égard dévastatrices, car tel est le pire cauchemar des opérateurs sur les marchés qui ont des comportements tout aussi craintifs que des biches effarouchées. Par leur pétition, Piketty et consorts, ont certainement d’ores et déjà, porté un préjudice important à l’économie européenne. L’écho qu’ils ont reçu en France n’est pas surprenant, car rien n’y plait plus que les débats oiseux sans véritable objet.


Observons enfin, qu’il existe une raison de bon sens pour ne pas annuler cette dette « covid », et le fait que le mécanisme de la subvention n'ait pas été étendu à l'ensemble du plan européen. En effet, au cas où la mauvaise idée viendrait à un État de quitter l’Union, il serait injuste qu’il n’ait pas à la rembourser et bénéficie ainsi indûment de l'effort collectif. De même, cette dette, bien que suspendue, constitue un moyen de pression sur les Etats dont les pratiques deviendraient incompatibles avec les exigences d’affichage démocratique de l’Union, comme semble le faire, actuellement, la Hongrie. La dette est donc un puissant facteur de cohésion pour une Europe qui est un géant économique par son pouvoir d’achat, mais encore un nain politique.


Le plus inquiétant dans ce débat est qu’il émane d’économistes, ou supposés tels. On en vient à douter de leur compétence basique. En effet, seul le créancier peut annuler une dette, le débiteur peut simplement ne pas honorer ses échéances. Mais la dette n’en disparaît pas pour autant.


En cette période folle où les docteurs Miracle ne manquent pas, François Bayrou qui se veut le Jiminy Cricket de Macron, a sa solution. La conscience de l'enfant de bois lui suggère le cantonnement. En d'autres termes ; mettre la dette à part. Bruno Le Maire avait déjà envisagé de la placer sur une ligne comptable particulière que l'on traiterait spécialement. Mais c'est encore et toujours oublier que le sort de la dette dépend d'abord et surtout des créanciers.




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