Dans le vent, une philosophie du courant d’air
- André Touboul
- 14 janv. 2023
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Les éoliennes dit-on à la cantonade enlaidissent le paysage. On n’a jamais fait ce genre de grief aux moulins à vent. Bien au contraire, le charme de ces bâtiments que Don Quichotte prenait pour des chevaliers ennemis, et d’où Alphonse Daudet expédiait ses Lettres de mon moulin, si savoureuses, n’a cessé d’être vanté. Les Hollandais ne reconnaitraient pas leur pays sans la silhouette d'un moulin se découpant sur l'horizon.
L’esthétique n’est pas la même, certes, mais de là à dire qu’ils défigurent la France, alors que l’on n’a jamais protesté au nom de l’harmonie de la vue contre les pylônes des lignes à haute tension, ni contre le squelette métallique de la Tour Eifel, relève d’un parti pris sur lequel il est permis de s’interroger.
Jean-Marie Rouart, qui n’est pas un imbécile, puisqu’il est Académicien, donne dans ce qui est devenu une idée reçue. Les éoliennes sont une offense à la vue.
Contre ces mécaniques, on pourrait invoquer d’autres arguments. Le premier est qu’ils ne sont pas aussi écologiques que prétendu, quand on fait le bilan depuis leur fabrication, jusqu’à leur démontage et mise en décharge. On pourrait aussi critiquer leur dépendance à l’intermittence du vent, et le fait qu’il faut qu’ils s’adossent à des sources de production d’énergie dont la flexibilité vient essentiellement du fait qu’elles procèdent du charbon ou autres fossiles maudits.
On pourrait aussi prétendre que leur radiations font tourner le lait des vaches, qu’en mer elles perturbent le sommeil des poisson, et que partout les oiseaux en sont victimes. Tout ceci comporte une part de vérité et une autre de fantasme.
"Meunier tu dors, ton moulin bat trop vite, ton moulin bat trop fort" dit la chanson de nos aïeux. De tout temps, le caprice du vent a été sur terre comme sur les mers un sujet de préoccupation, mais toujours on a considéré la force motrice de l’air comme un don des Dieux.
Notre civilisation matérialiste ne considère plus le vent comme une bénédiction, on ne veut plus voir que ses excès destructeurs. Ce sont ouragans, cyclones, tempêtes et typhons auxquels on donne des doux prénoms féminins pour les apprivoiser, mais, après leur passage, on compte les morts.
Pourtant le vent est notre ami, pourvu que l’on sache en user avec art. En se lançant dans les courses au large, les navigateurs rivalisent de talent pour l’utiliser à battre des records.
Gaston Bachelard a écrit La psychanalyse du feu, il faudrait écrire la philosophie du vent, car une psychanalyse serait trop restrictive, et le vent ne se prête pas à la discipline du divan. Pour un personnage aussi majestueux que le vent, il faut bâtir, ou découvrir une véritable philosophie.
L’homme aux semelles de vent, Rimbaud surnommé ainsi par Paul Verlaine, montre le chemin.
Le vent est notre part de liberté à tous. Le vent pousse les nuages sans lesquels nous serions dans un desert semblable à l’Atacama où jamais il ne pleut. Le vent est pareil à la pensée qui charrie les idées qui fécondent la vie. Certaines sont destructrices aussi, d’autres folles. Mais, sans le mouvement qui les anime, nous aurions le crâne vide de sens.
Le vent peut être mauvais. "Comme dit si bien Verlaine au vent mauvais/Je suis venu te dire que je m'en vais", chante Gainsbourg qui se souvient que Paul Verlaine écrit dans Chanson d'automne : "Et je m’en vais/Au vent mauvais/Qui m’emporte/Deçà, delà,/Pareil à la/Feuille morte." C'est le même vent, reflet de notre âme, qui donne sa couleur au temps.
Dans la mythologie mésopotamienne, les vents mauvais, aussi appelés imhullu, sont au nombre de sept. Il s'agit du vent mauvais, du tourbillon, de l'orage, du vent quadruple, du vent septuple, du cyclone et du vent incomparable. Ils sont assimilés aux sept esprits mauvais.
Le vent représente les forces qui nous dépassent, les étoiles contraires, l’inverse d’un alignement des planètes. Une façon de dire : on n’y peut rien. S’abandonner au vent est une forme de fatalisme. Ce n’est pas le destin qui était écrit, mais celui vers lequel nous sommes entraînés. Contre le vent mauvais, il est cependant possible de résister. La tentation de l’abandon est délétère, car il suffit de résister et d'attendre que le vent tourne.
Le sens du vent. Ce n’est pas la girouette qui tourne, c’est le vent, disait Edgar Faure. La versatilité est aussi dans le vent.
Il existe une dimension cosmique dans les courants d’airs. Mais aussi comique, quand une bourrasque fait s’envoler les chapeaux des notables. Social, le vent visse sur leurs têtes les casquettes des ouvriers, et coquin fait retrousser le jupon de Prudence sur le Pont des Arts.
Le vent porte en lui les odeurs. Il est le véhicule de la parole, mais il est peu propice à l’écrit.
Le vent est l’haleine de l’univers. Le vent cependant n’est rien, ce n'est que du vent.
Le vent est aussi présent quand il cesse. Un calme profond nous envahit, et l’éternité s’installe.
Quand je vois désormais une éolienne, c’est à tout cela que je préfère penser, plus qu’aux comptes de bas de bilan d’Iberdrola, leader dans la construction de ces monstres de fer, qu’un jour, j’en suis certain, on trouvera beaux, surtout si comme les moulins de jadis, ils ne servent plus à rien.
Être dans le vent, ce n’est pas seulement la mode éphémère, il y a aussi un mode de vie dans les courant d’air.
Ce que nous apprend le vent, c’est que nous ne pouvons pas dominer la nature, mais s’en servir, nous y adapter et pour cela savoir s’y soumettre.
On sait du vent qui s’insinue partout, mais aussi contourne les obstacles qu’il y a une solution différente à chaque configuration des difficultés du chemin.
Le vent, qui ne s’enferme pas dans une bouteille, est un exemple de liberté. Il meurt quand on l’enserre de murs, mais entre ceux d’un couloir il accélère.
Le vent, ce n’est pas que de l’air, c’est une dynamique. On cherche la forme du vent, car tout ce qui est en a une. Et l’on hésite, car le vent est invisible. Sauf par ce qu’il emporte avec lui dans sa bourrasque. Alors, on le voit tourbillonner. Malgré sa transparence, il prend une forme que nous avons peine à percevoir, mais qui est, et apparait quand il se charge de poussière.
S’il pousse les nuages, le vent nous parle. Il dit la vastitude du ciel et notre finitude.
Nul ne voit où nait le vent, ni quand il arrivera à destination. Il est douteux qu’il en ait une. Le sens du vent est une leçon pour le voyageur. Il n’est pas nécessaire d’aller quelque part pour prendre la route... alors les éoliennes, quel petit scandale, vraiment !
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