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De la peur

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 17 avr. 2022
  • 7 min de lecture

Entre les deux tours de la présidentielle, les étudiants de Normale Sup à La Sorbonne et quelques Sciences Po manifestent contre les résultats des élections. Avec une future élite intellectuelle de cette trempe, la République n’a pas de souci à se faire pour son avenir, elle n’en a aucun. En 68 on criait, « élections piège à cons », mais nos ainés avaient la sagesse de ne pas nous prendre au sérieux. Cette attitude anarchisante est une sorte d’acné juvénile de l’esprit, elle se guérit avec l’âge de raison, mais, ces temps-ci, il tarde à venir. Mais comment en vouloir à cette jeunesse dé-démocratisée, quand on constate le flot de sottises qu'il faut ingurgiter, tant de la part des candidats que des médias. Les programmes frisent le délirium tremens, et les journalistes ne dépassent pas le niveau des commentateurs sportifs.

Le verdict des urnes est tombé. Il est provisoire, car le premier tour, n’a apporté aucune surprise, tant il était commandé par la conjoncture dramatique qui invitait à revenir aux fondamentaux. Ce fut le résultat de ce que les sondeurs se plaisent à appeler le "vote utile", à l'utilité duquel ils ont d'ailleurs eux-mêmes concouru par leurs prévisions, dont, au demeurant, l'on n’aura jamais fini de sonder les arrières pensées.

Ainsi, les Français, qui ne voulaient pas d’une réédition du duel "Macron vs Le Pen", s’y seront contraints par leurs propres votes. Sur le divan du Dr Freud, le corps électoral serait taxé de conduite d'échec. Dans les milieux des politologues ont parle de recomposition entre un "extrême centre" (?) et un populisme nationaliste extrême, clivage qui effacerait la partition droite/gauche du monde d'avant, devenue plus théorique que réelle. C'est oublier que dans les trois derniers mois les intentions de vote ont largement varié, à l'exception de celles pour le Président sortant. Ce serait-il passé un quelconque événement dans le mois précédant la consultation ?

Dans l’analyse des scrutins, on doit, certes, prendre en considération les pesanteurs sociologiques et culturelles, mais aussi les thèmes qui dominent le débat dans les esprits des électeurs.

Lors du premier tour de l’élection présidentielle de 2022, il s'est produit un coup de théâtre le 24 février. La guerre à nos portes, déclenchée par une puissance nucléaire, la Russie, une absurdité à laquelle nul ne s'attendait. Au delà de l'effet de sidération, il est apparu à l'évidence qu' à travers l'Ukraine en tant que territoire, c'était le modèle culturel Occidental, qui était en cause. On se demandait si la guerre froide n'allait pas revenir, c'est la guerre de destruction massive qui s'est invitée.


Si, dans un monde incertain, l'on ne peut qu'être inquiet pour l'avenir, tout en gardant son sang froid, quand la guerre, la vraie, menace, la peur domine toutes autres considérations.


On était pourtant habitués à craindre. La pandémie a été une période de peur et de gouvernement par la peur. Mais cette crainte était susceptible de se raisonner. Pour meurtrier qu'il soit le virus n'est pas le pire ennemi de l'homme. C'est, on le sait depuis toujours, l'homme, lui-même. Sa barbarie n'a pas de limite, pas plus que sa bêtise.


Il n'est donc pas surprenant que dans les dernières semaines de la campagne de premier tour, la présence d'un guerre dont les images envahissaient les médias, la perspective évoquée d'un conflagration nucléaire, les interrogations sur la santé mentale du maître du Kremlin, aient eu un impact significatif sur le comportement des électeurs, bien que les médias se soient abstenu de toute analyse à cet égard.

L’effet Poutine a été la prise en compte de la peur de la guerre et de la ruine qui en découlerait qu'aucun quoiqu'il en coûte ne saurait juguler.

Cette double interrogation existentielle a effacé toutes les autres, y compris celle de l’identité nationale (Zemmour) et celle de la santé financière de l’Etat (Pécresse). Il faut dire que le spectacle des villes rasées par des bombardements est terrorisant, et évoque l’éventualité d’un retour vers le monde de l’URSS de Vladivostok à Berlin-Est. La crainte de la ruine financière est aussi là. Diffuse au cours de la pandémie, mais écartée par la solidarité européenne, la possibilité d'une banqueroute générale resurgit avec la guerre aux frontières. On redoutait une hausse générale des prix, mais avec la guerre en Ukraine, c’est l’inflation liée aux pénuries alimentaires qui menace.


Dans la tourmente, la prudence conseille de se réunir autour du chef, c’est plus que l’effet drapeau, celui de l'instinct de conservation. On serre les rangs. Le moment n’est pas à l’aventure et encore moins aux expériences hasardeuses. Mais pour certains, c’est la peur dont on sait cependant qu’elle n’évite pas le danger, qui commande. Qui est le mieux placé pour protéger de Poutine ? Qui, sinon la candidate qui est financée par une banque russe ? Ou celui qui, tel Mélenchon, a été tant critiqué pour sa proximité avec Moscou ? Ils ont eu l’habileté de désapprouver la guerre en Ukraine, du bout des lèvres. Un service minimum qui ne trompe guère sur leurs sympathies et les protections qu'ils seraient susceptibles de procurer. N'a pas bénéficié pas de cet effet Poutine, Zemmour, qui, s'il s'est compromis dans une justification de son agression, n'est pas un de ses protégés.

On peut expliquer par ce mouvement de peur une part non négligeable des gains de voix de Le Pen et Mélenchon depuis le 24 février.


Ce réflexe que l'on pourrait qualifier de pétainiste devrait être modéré pour le second tour par le recul récent des troupes russes, sans doute moins invincibles qu'on le disait. En outre, la découverte des atrocités commises sur la population ukrainienne ne peut qu’indigner et disqualifier les amis de Poutine. L’indignation, on le sait, se ressent d’autant plus aisément que l’on n’est pas soi-même en risque.

Le choix devant lequel les Français sont placés n’a rien de très enthousiasmant. Ce n’est certes pas celui entre la peste et le choléra, ni l’un ou l’autre des prétendants ne peut se comparer à ces calamités. Ce serait plutôt le risque de tomber de Charybde de Scylla, c’est à dire de tomber dans un péril plus grand encore que celui que l’on veut éviter.


Les défauts majeur du Président actuel sont connus, on dit qu’ils suscitent de la haine. Il manque d’empathie, et son esprit trop brillant le dessert en l’éloignant des Français.

Cependant, ce que l’on demande à un chef est d’être efficace et pragmatique. Par le « quoi qu’il en coûte », Macron a montré qu’il savait jeter ses principes de gestion budgétaire aux orties quand la situation l’exigeait. Son argument sera qu’il cherche avant tout et en toute circonstances à protéger les Français. Cela est moins risqué que des promesses de pouvoir d’achat qui sont des miroirs aux alouettes sans tête, car l’inflation ne se maîtrise pas par décret, et ce sont toujours les plus faibles qui supportent, in fine, les conséquences des mesures autoritaires. Il n’est par ailleurs pas certain que les Français soient rebutés par l’intelligence, c’est même leur faire injure de le dire.


Le Président sortant a fait l’impasse sur le débat du premier tour, pour éviter d’avoir à répliquer sur tous les fronts. Il a désormais face à lui une adversaire de l’Union Européenne. Moins absolue que jadis, mais qui ne pourra pas nier que l’Union a été salutaire dans l’aspect sanitaire et financier de la pandémie. Elle aura aussi bien du mal a contester que pour la sécurité de la France, l’Union en tant qu’institution qu’elle rejette est d’une importance capitale. Certes Macron ne pourra vendre aux Français un monde d’avenir qui chante comme en 2017, mais il pourra être en concordance avec un monde d’aujourd’hui plus rassurant que celui de Marine Le Pen, qui serait une double aventure : sur l’Europe et sur l’économie.


On ne s'attardera pas au délai des déclarations, car l'entre deux tour est la quinzaine du grand n’importe quoi. Il faut s’y résoudre. Pour ratisser des voix, les candidats diront tout et son contraire. Il est dérisoire de tenter d’y déceler une cohérence.


L’essentiel du bilan de Macron est d’avoir brisé la malédiction du chômage de masse. Pour le reste, il n’a pas fait de miracles contre la pandémie, pas plus qu’ailleurs dans le monde, et il a tenu la boutique économique. Il a réussi à déplacer sur l’Union (c’est à dire sur l’Allemagne) une part non négligeable du poids de l’endettement de l’Etat ; certes, la BCE avait déjà secouru le système financier par le passé, mais pas les Etats, de manière directe. La mutualisation des commandes de vaccins, des emprunts, des aides financières à l’Ukraine, des achats d’hydrocarbures, tout cela a montré la place majeure prise par l’Union européenne.


Dans ce contexte, la critique de l'Europe de Marine Le Pen tombe mal, de même que son annonce de sortie du commandement intégré de l'OTAN, et sa volonté de renouer avec Poutine. Tout cela est à contre-temps, et donne le sentiment qu'elle est une fois de plus déconnectée du réel.


La partie du second tour des présidentielles semble jouée., car ce serait folie, dans les circonstances présentes de faire des expériences hasardeuses, et quels que singuliers que soient les chemins de pensée de chaque électeur, globalement les Français ne sont pas fous. Bien entendu, il appartient à chacun de s'en assurer en s'abstenant de s'abstenir.

Le 25 avril au matin une nouvelle page de l'histoire politique de la France sera ouverte.


Les médias se gargarisent de l’effondrement des grands partis de gouvernement de gauche et de droite. Mais l’incapacité à désigner un ou une candidate à l’élection présidentielle n’est pas la marque d’une disparition. Parfois c'est le signe d'un vide idéologique, parfois c'est celui d'un trop plein.


Les partis sont parmi les corps intermédiaires des organes nécessaires. Les cultures de droite ou de gauche pour être orphelines de têtes d’affiche n’ont pas pour autant disparu. Elles ont d’autant moins disparu qu’elles n’ont été remplacées par rien. Il serait aventureux de comparer le macronisme au gaullisme, nul ne pourrait aujourd’hui définir ce qu’est le premier, pas même lui. D'autre part, le populisme est un mensonge creux, dès lors qu’il s’aventure au-delà des inquiétudes identitaires. Ainsi, dès le 25 avril, chacun regagnera son camp. Mélenchon sera surpris de constater les limites du vote utile qui est un fusil à un coup. La Droite se cherchera un leader, et faute d’y parvenir, se divisera entre les pro-Wauquiez et les pour-Philippe. Marine Le Pen aura un coup de blues, et Zemmour se cherchera un camp en tentant un hold-up sur les restes fumants du RN.

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