Grands corps malades
- André Touboul
- 26 nov. 2022
- 7 min de lecture

Cette semaine de novembre la suppression des Grands Corps de l’Etat est passée devant le Conseil des Ministres. Un petit pas en apparence, un changement majeur pour l’avenir de la France. Il s’agissait, après la suppression de l’ENA et son remplacement par une formation générale commune à tous les hauts fonctionnaires, magistrats et autres serviteurs de l’Etat, de mettre fin aux carrières protégées de ceux qui n’ayant jamais rien à prouver, ni à craindre sont devenus de moins en moins compétitifs dans un monde concurrentiel où les situations acquises sont des privilèges de moins en moins justifiables,
Inaperçue dans l’opinion, cette réforme a beaucoup ému dans le Landerneau de la haute Administration.
L’autorité de l’Etat serait selon certains hauts fonctionnaires, préfets, diplomates et autres, amoindrie par la suppression de ces parcours SUP protégés. Cette défense corporatiste montre à quel point la réforme était nécessaire.
En effet, l’argument est particulièrement controuvé. Les privilégiés de la Fonction publique sont en discordance avec la population qui, elle, sans cesse, doit chaque jour se remettre en question. C’est cette rupture de charge avec les simples gens qui disqualifie ces excellenti pour tenir au vulgum pecus quelque langage crédible que ce soit. Ces gens-là ne sont pas comme nous. Ils sont l’Etat qui devrait vouloir notre bien, mais ils ne vivent pas dans le même monde. C’est ce privilège exorbitant qui provoque la défiance et même l’hostilité envers tout ce qui personnifie la puissance publique.
On suspecte la police de violence, cela n’est pas nouveau, ce sont bien les policiers que l’on nomme les cognes. Mais on caillasse les pompiers que l’on attire parfois dans des traquenards à cette fin. On s’en prend aussi dans certains quartiers aux cabinets médicaux comme à tout ce qui représente l’autorité... de près ou de loin. Cela n’est pas réservé aux quartiers dits difficiles. Un peu partout les élus locaux, les Maires, pourtant les plus appréciés d’entre les représentants de l’Etat sont pris à partie, et l’objet de menaces ou de violences. Les magistrats sont mis en doute, qu’on les taxe de laxisme ou d’excès de sévérité. En fait, c’est l’autorité elle-même qui est rejetée.
La conception selon laquelle l’autorité repose sur la distance entre le dirigeant et les gouvernés est celle qui prévalait sous l’Ancien Régime. Dans la République, en démocratie, tous les citoyens sont égaux. Ceux qui sont exempts des aléas auxquels sont soumis tous les autres, ne sont pas considérés comme habilités à parler pour les autres et même à parler pour eux. De même, plus tard, ceux de « la Haute » étaient les bourgeois, ils étaient haïs parce que perçus comme exempts de toutes les misères du populaire. Dans la France d’après la Seconde Guerre mondiale, ce sont les hauts fonctionnaires qui, empruntant la voie royale du service de l’Etat, ont progressivement monopolisé ce rôle d’intouchables. Aujourd’hui, les patrons et même les grands, s’ils ne sont pas issus des rangs de la haute Fonction publique, sont soumis aux incertitudes professionnelles.
Il est temps que les brillants sujets du gratin de l’Etat comprennent que ce sont les protections de leur statut qui les rendent inaudible.
Bien entendu, toute société sécrète une élite. L’égalité n’est pas l’uniformité. Le mérite permet à certains de se distinguer. Mais encore faut-il que ce mérite soit réel et éprouvé. Quand la supposée compétence résulte d’un concours passé à 25 ans, et d’un classement jamais remis en cause par la suite, elle n’est qu’un leurre. L’erreur de Sarkozy qui a voulu introduire le rendement dans la Fonction publique fut de s’y prendre par le bas, en instituant par exemple la politique du chiffre dans les commissariats, si décriée aujourd’hui. Le mérite de Macron aura été d‘attaquer le problème par le haut.
Confondre carrière et professionnalisme comme le font nos hauts fonctionnaires explique la médiocrité de l’Administration dont les chefs n’ont jamais de comptes à rendre. Ils sont, en réalité, responsables de tous les dysfonctionnements, car leurs pouvoirs sont immenses. Mais jamais mis en cause, ils ne sont coupables de rien. L’esprit de corps est l’ennemi de l’efficacité. Il conduit à fermer les yeux sur les fautes.
En vérité, la seule réforme importante, car structurelle, qu’aura réalisé Emmanuel Macron, est celle de la suppression des donjons fortifiés de la haute fonction publique. On a reproché au Président d’avoir eu recours à des cabinets conseils pendant la pandémie Covid. Il y était contraint par la faiblesse de l’Administration qui se prétendant la meilleure du monde, était d’une incompétence crasse, songeant plus à se protéger qu’à protéger les Français.
Ceux-ci ne sont pas dupes, néanmoins, de la portée d’une réforme que les petits marquis de la République sauront, n’en doutons pas, réduire dans ses effets. Mais, en désignant les responsables des maux de la France, Emmanuel Macron aura brisé un tabou.
Les Français parlaient des énarques qui n’avaient jamais tort sur un mode ironique, et de fait résigné ; ils s’autorisent désormais à le faire sur un ton excédé. La France est malade de son Etat. Mais d’une faiblesse de l’Etat qui vient de son obésité. Ce sont les profiteurs du Service public, qui se servent au lieu de servir qui ont fait grossir démesurément la chose administrative, sans pour autant la muscler.
L’exemple du haut fait qu’à tous les niveaux on est allergique au risque et à la performance. Il n’y a pas un manque d’Etat, mais un trop et aux mauvais endroits. Les énarques et les Grands Corps sont l’épine dorsale de l’Etat, mais toute cette ossature est totalement sclérosée.
L’urgence des temps qui viennent est que l’élite de pouvoir, qui loin d’être celle des politiques, réside dans sa haute Administration, se rende compte que non seulement son renouvellement est une nécessité pour le pays, mais qu’il est une condition de sa propre survie. Elle en a les moyens, car pour le moment elle maitrise tous les leviers du pouvoir et les grands médias dont les ténors vont à la soupe dans les lieux comme Le Siècle où s’exerce le pouvoir réel.
Il est temps que la France retrouve un cortex, car on ne peut compter sur les politiques qui, oublieux de leurs devoirs, se vautrent dans la diversion.
Qui peut croire que l’inscription dans la Constitution de l’IVG que nul ne conteste parmi les partis politiques est une urgence, ou même une bonne idée ? En effet, si aucun parlementaire de quelque bord qu’il soit ne s’opposera à cette initiative, il faudra procéder ensuite à un référendum. Et là, on entrera en terre inconnue. On le sait, dans une telle consultation, le peuple répond plus à celui qui pose la question qu’à celle-ci. Le risque est aussi de réveiller les forces rétrogrades qui n’osent pas se manifester ou qui le font timidement comme pour le rétablissement de la peine de mort. Des scrutins gagnés d’avance ont été perdus, tel celui de 2005 sur la Constitution européenne concoctée par Giscard d’Estaing. Il y a en outre quelque forfanterie à réagir ainsi à la scandaleuse décision de la Cour suprême américaine, comme si, Outre-Atlantique, l’on se souciait de notre Constitution. Le plus choquant de cette affaire est que le seul point sur lequel il se sera dégagé une majorité à l’Assemblée est l’enfoncement d’une porte ouverte.
Que dire encore de l’agitation de nos députés autour de l’interdiction de la corrida (une prohibition de plus) ou des démêlés conjugaux du sieur Quatennens : main courante contre main leste : passionnant, n’est-ce pas ?
La démocratie représentative française est malade, mais sa pathologie loin de résider dans une désaffection du peuple pour ce régime est le fait des élus qui confondent la gestion des affaires publiques avec la politique du spectacle, l’exploitation des émotions et la gestion de l’inutile.
On souhaiterait qu’ils se saisissent des questions essentielles et vitales pour les Français, celles qui déterminent leur futur. Ainsi, il a fallu attendre le choc énergétique pour que l’on découvre dans quel état se trouve Électricité De France. Nos parlementaires ne s’en souciaient que pour savoir, non pas si mais quand on allait fermer des centrales atomiques. Contre cette politique imbécile, aucun n’a protesté. Le Parlement n’a diligenté aucune enquête. De même, s’agissant du prix actuel de l’électricité, nul ne réclame, au Palais Bourbon, des explications au Gouvernement, qui n’en donne aucune aux Français. On ne peut hurler aux méfaits du complotisme, quand les gouvernants laissent les citoyens dans le brouillard et les élus ne réagissent pas pour les éclairer.
Du fait de l’absence de majorité absolue, l’Assemblée Nationale promettait d’être d’un lieu d’exercice de la démocratie ouverte. Il apparait que ce n’est pour les représentants de la Nation que l’occasion de démontrer qu’ils ne sont pas dignes de la confiance de ceux qui les ont désignés pour les représenter.
Non, décidément, il n’y a rien à attendre de ces élus, si ce n’est le pire. Une dernière chance est ainsi offerte à l’élite administrative de revenir dans le jeu, à la condition qu’elle accepte de se réformer, d’être plus ouverte, plus performante, moins carriériste, qu’elle accepte la critique et renonce à être intouchable. C’est à ce prix qu’elle sortira de la médiocrité à laquelle son autisme la condamne, qu’elle se sauvera et servira enfin la France.
La fine fleur de plusieurs générations a été polarisée par la haute fonction publique. Les talents existent, ils sont seulement stérilisés par des privilèges délétères. Il est urgent que dans une nouvelle « nuit du 4 août », cette élite renonce à son entre-soi, à son carriérisme et à tout ce qui la rend inefficiente. Qu’elle s’ouvre enfin au monde d’aujourd’hui qui est celui de la concurrence pour tous, et l’opposé de celui de la paresse. Pour mémoire, Le droit à la paresse est un ouvrage de Paul Lafargue, gendre de Karl Marx, publié en 1880, c’est dire s’il est aujourd’hui temps de passer à l’obligation de l’effort. Son premier travail devrait être de défendre la culture française universaliste dont elle est l’héritière, et qu’elle trahit en s’abandonnant abandonnant aux modes wokistes venues d’ailleurs. Conseillers d'Etat quittez votre posture immigrationiste, magistrats cessez de prétendre réformer la société à votre idée, enseignants abandonnez votre "pas de vagues" qui prépare un raz-de-marée. Ce n'est pas la morale que vous défendez, c'est la pleutrerie qui vous paralyse.
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