Gribouyeski 1er, Tsar de toutes les Russies
- André Touboul
- 1 oct. 2022
- 4 min de lecture

Dans la galerie des personnages fictifs populaires ridicules, Gribouille est un prototype de benêt qui craignant de se faire mouiller par la pluie se réfugie dans la mer. Une autre version de cette démarche estampillée "stupide" consiste à doubler sans cesse la mise d’une martingale toujours perdante, en espérant que la taille de l’enjeu fera plier le réel selon ses volontés.
Ainsi Vladimir Poutine parait avoir choisi de régner sous le nom de Gribouyeski 1er, Tsar de toutes les Russies, tant il empile les surenchères contre-productives comme des assiettes tout en menaçant de casser toute la vaisselle, s’il ne gagne pas.
L’invasion de l’Ukraine en février 2022 pour y chasser d’hypothétiques nazis prêts à intégrer l’OTAN, était une rupture de la paix en Europe impliquant un pseudo-droit d’ingérence décidé, sous son bonnet, hors de toute instance internationale.
Lors de ses interventions armées antérieures, en Syrie et au Mali, il avait été appelé à l’aide par le régime en place. Là, c’était l’inverse. Il espérait, dit-on, que ses chars y seraient accueillis par de la liesse populaire. Mais même du temps de l'URSS l'intervention des troupes russes était toujours sollicitée par le gouvernement en place. Le premier mouvement de Gribouille comme de son cousin Gribouyeski est de se tromper sur la menace, de l'exagérer, et ensuite de choisir un remède disproportionné. Le résultat de ce coup de force aura été de ranimer l’OTAN, qui était en état de mort cérébrale et bien peu menaçante, et, fait plus stupide, d’y précipiter deux de ses voisins neutres jusque-là : la Suède et la Finlande.
Face à la résistance ukrainienne et à l’échec de l’offensive sur Kiev, le Tsar Gribouyeski a choisi de poursuivre une guerre sale. Toutes les guerres sont écœurantes, on le sait, même quand l’on prétend qu’elles sont menée par des frappes chirurgicales. Mais il est insupportable que les atrocités, crimes de guerre, massacres de civils, et tortures se dévoilent en direct devant les médias du monde entier. L’idée de manœuvre de Poutine consistait à miser sur la terreur pour faire plier l'Ukraine. Méthode stalinienne et peut-être celle qui a toujours eu la faveur des tsars. Là aussi, un échec, car cette barbarie n’a fait que souder le peuple ukrainien contre l’envahisseur.
En passe de se faire battre sur le champ de bataille, Gribouyeki 1er, version slave du roi Ubu, augmente la mise. Il décrète une mobilisation partielle. Nouvelle erreur, les Russes approuvaient une opération spéciale, menée par des volontaires et des mercenaires, mais désormais ils constatent qu’il leur faut aller mourir pour une cause qui, soudain, leur apparait soudain bien fumeuse.
L’annexion des quatre oblasts où il a organisé des référendums frauduleux, (des occupandums pourrait-on dire) est une autre erreur de Poutine. Staline disait, « vous votez, moi je compte ». Il était ainsi certain du résultat d'une démocratie de façade. Là aussi, l'ubuesque Gribouyeski était à la manœuvre. Avec les résultats que l'on constate. En effet, si ces territoires ukrainiens font désormais partie de la Russie, il lui faudra les défendre avec les armes les plus terribles, donc nucléaires. Poutine, l’a lui-même précisé : « je ne bluffe pas ! ». Mais qui peut croire que les Ukrainiens vont, au moment où le sort des armes leur est favorable, cesser de se battre pour récupérer leurs terres ? Poutine, lui-même, ne croit pas que ce jeu du chat perché, intouchable car juché sur un tabouret nucléaire, le mettrait à l’abri des attaques ; il ne croit pas non plus dans son appel cynique à un cessez-le-feu, puisqu’en même temps il mobilise des troupes, qui, au demeurant mal formées et réticentes, risquent d’être un handicap plus qu’un atout.
La dissuasion nucléaire est, comme son nom l’indique une arme conçue pour ne pas être utilisée. Son emploi, même à petite échelle en Ukraine, est loin d’être évident et ne pourrait être décisif. Quant à s’attaquer à l’OTAN, ce serait une démarche relevant du suicide collectif. Gribouyeski pourrait être tenté de l'utiliser, mais comme le Roi Ubu, il n'a que le courage des embusqués qui envoient les autres à la mort sans la risquer eux-mêmes.
Gribouyeski a encore frappé dans le sabotage des gazoducs Nord-stream 1 et 2. Ce faisant, il se prive définitivement d’une monnaie d’échange pour décourager l’Allemagne de livrer des chars à l’Ukraine. Comme pour les crimes de guerre, il nie en être à l’origine, mais c’est tellement dans sa logique maximaliste usuelle que le méfait est signé.
Le dernier pas dans l’escalade, qui est de fait une dégringolade, est de désigner l’Occident comme l’ennemi agresseur de la Russie. Cet accusation délirante, qui enjambe l’Ukraine, parait surtout destinée à expliquer au peuple russe que son armée n'a pas les succès qu'elle mérite. Il montre aussi qu'il ne peut aller plus avant sans déclencher une troisième guerre mondiale, que dans sa grande sagesse, il fera tout pour éviter.
Le spectacle des festivités à Moscou où, en grande tenue d’apparat, l’on chante victoire, quand sur le terrain c’est la débâcle, était surréaliste. Mais Ubu-Gribouyeski n’a que faire de la réalité, il est au dessus d‘elle. Oui, il est surréaliste.
Sur la Place Rouge on entendait les chœurs s’écrier « Hourra, cornes-au-cul, vive le Père Ubu ! », la Chanson du décervelage, qui , comme l’on s’en souvient met un point final à la célèbre pièce d’Alfred Jarry qui aurait observé devant ce spectacle que cela nous écarquilla les yeux et les oreilles, sans pour autant nous dégoupiller de la frousse dans les fonds de pantalons.
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