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Guerre ou Paix ?

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 21 févr. 2022
  • 7 min de lecture


On peine à comprendre par quelle aberration on se trouve aujourd’hui hésiter en guerre et paix dans le cœur de l’Europe et aux portes d’une Union que l’on croyait constituer une garantie définitive de paix sur le vieux continent.


Sans doute manque-t-on de perspective. En Europe, il y a aussi la Russie éternelle. On l'avait oubliée.

Le cinématographe a fait du roman de Léon Tolstoï Guerre et Paix une histoire d‘amour, de la même catégorie qu’Autant en emporte le vent. Cette reductio ad Holywoodum a porté préjudice à une œuvre qui, plus encore qu’une épopée historique, constituait un trait d’union culturel entre la Russie et la France, et plus largement l’Europe.


Certes, la parenthèse soviétique a contribué à séparer la Russie de l’Occident, mais à la fin du siècle précédent les Russes se sont libérés du joug marxiste qui, succédant à celui des Tzars, remplaçait une bureaucratie par une autre encore plus inhumaine. On aurait pu croire que le moment serait venu des retrouvailles entre les nations d’Europe, de l’Atlantique à l’Oural, car, bien entendu, le cœur de la Russie est en Europe, et si l’on lit bien Tolstoï sa culture y est aussi.


Il est regrettable que ce rapprochement n’ait pas eu lieu à la fin de la guerre froide. Mais c’est justement la manière dont la paix a succédé à cette simili-guerre qui en est responsable. Comme en 1919, la paix injuste imposée à l’Allemagne a porté en germe la Seconde guerre mondiale, dans les années 90, l’effondrement excessif de l’empire russe a empêché une vraie réconciliation européenne et créé les conditions de conflits futurs.


Plusieurs satellites de l’ex-Union soviétique ont rejoint l’Union européenne, et par voie de conséquence l’OTAN, machine militaire pour assurer la Pax Americana dans l’Atlantique Nord, c’est-à-dire face à l’Union soviétique. Ces ralliements d'anciens pays sous tutelle ont parus naturels, et l’on n’a pas vu qu'au delà de cette libération de certains pays, c’était par ailleurs un empire millénaire que l’on dépeçait. Il était sans doute excessif que la Russie éternelle soit séparée de l’Ukraine, berceau de sa civilisation slave. Cette partition portait en elle, du point de vue russe, la même injustice punitive que la division en deux de l’Allemagne en 1945, aux yeux des Allemands.


Il était désormais inévitable que l’empire russe contre-attaque. Il l’a fait avec la modération à laquelle la possession d’armes nucléaire oblige. En effet, un Etat qui possède de telles armes ne peut se comporter ouvertement en conquérant, sans risquer, par l’addition de toutes le peurs, un conflit atomique généralisé et donc suicidaire. C’est cette retenue qui a contraint la Russie à se contenter d’encourager les mouvements sécessionnistes en Géorgie (2008), et dans le Donbass (2014), puis à intervenir pour les protéger. L’annexion de la Crimée par un référendum, certes contesté mais sans effusion de sang (2014), est à cet égard l’illustration d’une reconquête pacifique. La tension qui s'exprime ces jours derniers tient pour partie à la non-application par l'Ukraine des accords de Minsk (2015) par lesquels Kiev promettait une réelle autonomie au Donbass, cet ancien oblast soviétique peuplé d'une majorité russophone.


Il faut toute la naïveté des européens pour ne pas comprendre que le paradis capitaliste que leur Union offre aux pays de l’Est ne soit pas préféré à un retour dans l’empire russe. En effet, les inquiétudes identitaires sont plus importantes à l’Est que l’on veut bien le croire en Europe de l’Ouest. A cet égard l’UE est considérée comme un ventre mou, un grand marché certes, mais incapable de protéger sa culture des invasions islamiques, et qui court le risque d’un grand remplacement. Il est évident que les dérives woke, et les complaisances vis à vis des islamiques ont tout d’un repoussoir. Réels ou fantasmés ces dangers rappellent aux russophones qui ne font pas que parler russe, mais qui aussi pensent en russes, qu’ils ont une appartenance historique, de sorte que les mouvements sécessionnistes n’ont rien d’artificiel.

Sans nier le droit des Ukrainiens à leur indépendance, leur adhésion à l'OTAN et leur refus de l'autonomie du Donbass, est une autre affaire. Dans ce contexte, il est singulier d’entendre condamner la Russie, au nom du principe d’intangibilité de frontières issues de la chute de l'URSS ; on pourrait aussi bien invoquer et dans l'autre sens le droit à l'autodétermination ; et dès lors qu'une communauté fait nation, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. De fait, c’est surtout le régime autoritaire russe qui déplaît et fait considérer tout ce que fait ou dit Poutine comme illégitime.


Il est piquant de voir les mêmes zélateurs des règles de l’Etat de droit en appeler à l’intervention américaine, et déplorer ce qu’ils appellent le retour de l’isolationnisme américain. Ils font penser à ces bonnes âmes qui critiquent vertement la police et se demandent ce qu'elle fait à la moindre infraction au pas de leur porte.


Il est indéniable que la période où les USA déversaient leurs dollars dans le monde pour aider à le reconstruire est terminée. On en est revenu au Woodrow Wilson première manière de 1916 : « America First ». Donald Trump n'a été qu'une pâle copie de ce Wilson là, par exemple quant à la politique anti-immigration. Mais ce recentrage sur elle-même n’est en réalité que le nouveau visage d’une politique jadis qualifiée d’impérialisme US. C'est à un néo-impérialisme américain que l'on assiste.

A l’épreuve des réalités, les principes de champion de la démocratie et du développement conjoint, l’un aidant l’autre qui ont persisté jusqu’à la fin du 20ème siècle, ont été abandonnés.


Contre ceux qui voyant le système démocratique triompher partout, prédisaient la fin de l’histoire (1992) tel Francis Fukuyama, un autre Américain Samuel Huntington annonçait le choc des civilisations (1996). La désillusion chinoise a montré que le développement économique et le commerce mondial n’entraînaient pas forcément l’infléchissement vers des régimes démocratiques. Le capitalisme échevelé a aussi montré ses limites en Russie, dont l’équilibre n’a pu être restauré que par un régime autoritaire. L’échec des printemps arabes a aussi fait la preuve que la démocratie n’est pas à la portée de tous et en tout cas n'est pas une fatalité universelle.


Dans un monde récalcitrant, où même l’effondrement de l’idéologie communiste ne lui a pas ouvert la voie, et face à ses propres difficultés économiques, l’ambition américaine de messianisme démocratique mondial a été remplacée par des objectifs de suprématie plus terre-à-terre.

Guerre commerciale avec la Chine, le mot "guerre" a son importance, et aussi traité d’alliance militaire AUKUS pour conserver leur mainmise sur le Pacifique qui est menacée, les Américains ont adopté une doctrine politique où la force est non seulement une option, mais encore la solution ultime de toute confrontation.


Au Moyen Orient, le retrait d’Afghanistan n’avait rien d’une conversion au pacifisme, il signifiait simplement que cette région n’est plus stratégique, dès lors que les Etats-Unis sont devenus grâce au gaz de schiste, non seulement indépendants, mais exportateurs nets. Quant au pétrole de roche-mère, il leur permettra de le devenir dans la présente décennie. La défense des intérêts US dans les pays de l’or noir ne vaut pas désormais une seule vie de GI. Les Américains préfèrent y mener la guerre des drones. Le principe en est simple, détruire l'ennemi, sans se compromettre avec les populations locales, dont ils ne se soucient guère du sort. Le martyr des femmes afghanes et la famine qui règne dans ce pays est le dernier des soucis de grandes âmes de Washington qui donnent au monde des leçons de morale wokiste.

Se désengager de la défense de l’Europe n’a jamais été une idée Américaine, il s’agissait seulement de faire cotiser plus pour l’OTAN par les pays composant l’Union européenne, en particulier l’Allemagne, tout en en conservant le contrôle total. Cette politique, qui veut que ce soit le propriétaire du parapluie (atomique) qui en tienne le manche, s’est heurtée à l’incohérence d’une Alliance dont les membres ont des intérêts divergents. La Turquie se rapprochant de la Russie, et s’en prenant à la Grèce. Ce qui permettait à Emmanuel Macron de parler de mort cérébrale de l’OTAN, et de marquer un point en intervenant efficacement pour que la Turquie respecte la Grèce.


En Europe, les USA n’ont plus d’amis. Ils n’en cherchent pas. Ils ne considèrent plus l’Union européenne comme une initiative à promouvoir, c’est désormais au mieux un concurrent, le dollar étant gêné par l’euro dans sa suprématie, et plus couramment une colonie pour le développement de leurs GAFAM, dont les consommateurs-moutons peuvent être tondus à loisir.


S’ils étaient devenus vraiment isolationnistes les Américains ne verraient aucun inconvénient à concéder à la Fédération de Russie la promesse de ne pas accepter l’Ukraine dans l’OTAN, mais le fait est qu’ils préfèrent laisser planner la menace d’installation de bases militaires aux portes de la Russie. On assiste à une sorte de crise des missiles de Cuba (1962), à rebours.


Depuis la guerre des étoiles, par laquelle Reagan a réussi le coup de bluff qui a précipité la chute de l’URSS, la question de la rapidité de la réplique et/ou de l’attaque nucléaires a été au centre des préoccupations russes. Par la maitrise de l’espace, les USA prenaient un avantage décisif sur les Russes, incapables de suivre cette gigantesque compétition.

Significativement, Poutine a annoncé, il y a quelques mois, posséder des missiles ultra-rapides, si véloces qu’ils ne seraient pas arrêtés même par un bouclier spatial. Peu surprenant, alors, que dans le même temps, il se soucie de ne pas voir installés des missiles US à sa frontière. Et encore moins étonnant encore de constater la réticence américaine à renoncer à "annexer" l’Ukraine, en l'invitant dans l'OTAN.


Cette politique US est toutefois pernicieuse, car elle contribue à diviser le monde en blocs antagonistes. Elle est aussi cynique, car elle est et sera surtout à la charge des Européens, principales victimes de la guerre des sanctions économiques. Nous n’allons pas mourir pour Kiev, mais sans doute payerons-nous très cher le prix de son indépendance.

Loin d’être un retrait des USA de la scène mondiale, c’est à un changement de stratégie de domination que les Américains ont recours. Il s’agit désormais non plus de soft power, ni de light foot-print, ou d’influence juridique ou financière, mais de prises de positions militaires. Les Etats-Unis étant toujours, et de loin, la première puissance armée du Monde, ce choix était inévitable.

Cependant, montrer ses muscles est un exercice qui est peu compatible avec l’interdépendance économique qui existe aujourd’hui. La deuxième guerre mondiale a été précédée de l’instauration d’une autarcie généralisée. On en est encore loin, mais les sanctions et ruptures économiques, que les Américains nous promettent, et qui ne sont pas la guerre, peuvent fort bien en être le prélude.


Pour sortir de ce piège, il faudrait mieux que de bons offices du Président Macron ou des menaces économiques du Chancelier Scholz, mais une reconnaissance du bien fondé des préoccupations et revendications russes. Car enfin, l'affaire est européenne et il suffirait que la France et l'Allemagne s'engagent unilatéralement à ne jamais accepter l'entrée de l'Ukraine dans l'OTAN, ce que ces deux pays ont déjà fait en bloquent le dossier par le passé, pour que la crise soit dénouée. Peut-être suffirait-il que la France soit dirigée par un Président courageux, capable de désobéir aux Etats-Unis Dans cette mesure, l'élection présidentielle française n'est pas sans incidence sur la crise ukrainienne... et réciproquement.



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