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Il a osé !

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 10 avr. 2021
  • 6 min de lecture

Il y avait eu des signes avant-coureurs. La nomenklatura de l’élite d’Etat avait tremblé sur ses bases. Sciences Po, premier pas vers la promotion magique de la haute fonction publique, voie royale de la réussite, avait tremblé sur ses bases. Le scandale Olivier Duhamel était tombé à pic pour désacraliser une institution dont le magistère moral n’était pas la moindre des prétentions. De même, les dérapages entre ses enseignants sur l’islamophobie, montraient que la pépinière de talents des futurs maîtres de l’Etat était gangrenée.


Quand une espèce devient envahissante et nuisible, les amis de la nature suppriment les œufs et les nids. La question de la suppression de l'Ecole Nationale d'Administration, n'est pas une nouveauté, mais ce ne furent jusqu'ici que des paroles en l'air, car les Français s'accommodaient de vivre dans une servitude volontaire dont ils ne percevaient pas les conséquences délétères, qui leur étaient cachées par un déni de réalité. Ceux qui en avaient conscience n'en n'attribuaient pas la responsabilité aux vrais responsables.

Il faut dire qu'avec obstination, les énarques s’évertuent depuis des décennies à nier les échecs de la maison France, ou en rejeter la culpabilité sur les politiques. On sait que la plus grande malice du Diable est de faire croire qu’il n’existe pas. Mais cette fiction est devenue difficile à soutenir à partir de 2017. L'entreprise de démolition du système démocratique ayant abouti, les partis politiques ont été pulvérisés, et les énarques se sont installés directement au pouvoir, en s’assurant qu’à l’Assemblée des élus néophytes ne leur causeraient aucun embarras. De Gaulle avait ses godillots, ils ont voulu leurs novices.

La suppression de l’ENA est un aveu terrible ; celui d’une grosse fatigue démocratique. Plus que la séquence Gilets Jaunes, celle du Grand Débat qui a suivi a montré là où le bât blessait. La gestion calamiteuse de la pandémie n’a fait que confirmer qu’il fallait d’urgence au pays un traitement de choc.


Les Français ont assisté éberlués à la dictature des médecins/fonctionnaires. Ils ont pris acte de ce que cette dérive démocratique pouvait comporter de renoncements à leurs libertés fondamentales, sans être convaincus de leur efficacité. Certes l’opinion réclamait plus de mesures restrictives, mais de la même manière qu’elle demande toujours plus d’impôts car les restrictions et les taxes sont pour les autres et jamais pour soi.



Recoudre la France et son élite ne peut consister en un placébo. C’est d’une réanimation dont la République a besoin. A cet effet, l’idée de séparer les hauts fonctionnaires de leur statut est radicale. Leur offrir une porte de sortie est d’une violence inouïe. Reste à savoir quelle en sera la conséquence. Abolition des privilèges, ou encore plus de technocratie ?

Sous l’ancien Régime, la vénalité des offices minait la société. La Révolution a mis fin à cette pratique. La dernière manœuvre d’Emmanuel Macron est-elle cette révolution nécessaire ou un simulacre ?

Bien entendu on peut craindre que l’ENA supprimée soit ressuscitée, en pire. Le rapport Thiriez, commandé sur ce sujet par le Président, le laisse craindre. Sa recommandation d’établir un tronc commun entre tous les agents de la haute fonction publique (Administration, Magistrature, Armée, Santé...) pendant six mois, ne fera que renforcer l’esprit de caste et ne pourra qu’uniformiser les mentalités. Singulière façon de concevoir la diversité en la limitant à l’origine sociale, mais en faisant passer au conformateur tous ceux qui sont destinés à constituer l’élite d'Etat. On répondra que le cœur du système consistera à remplacer la carrière par des missions. En quelque sorte une suppression de la propriété des offices publics.

Quoi qu’il en soit, le Président parait avoir compris que son avenir passe par le « choix entre l’élite d’Etat et le peuple de France », ainsi qu’un ouvrage paru en août 2020 le sous-titrait.

Le chœur des commentateurs qui découvrent aujourd’hui des vérités sur la haute administration dont il ne voulaient pas entendre parler, hier encore, laisse rêveur.


Mais déjà la contre-offensive de la féodalité s’organise, car des intérêts financiers considérables et de carrière non moins importants sont en jeu.

Évidemment la rengaine de « l’école que le monde entier nous envie » resurgit. Mais cela ne fait que confirmer l’aveuglement des défenseurs d’une « machine à décerveler », sur laquelle le jugement d‘anciens élèves tels, entre autres, Laurent Fabius, Jacques Attali, ou Lionel Jospin, n’est pas tendre, et dont la primauté de la sélection sur la formation n’a cessé d’être critiquée.


Hiérodules. Du Figaro au Point, le chœur des vierges entonne la plainte des « Boucs émissaires ». L’expression avait été déjà utilisée par Le Nouvel Obs/ rue 89, pour titrer sur le livre de 2014 de Simplicius Aiguillon "Les Cinq Mille". Pauvres énarques. Il faudra trouver un nom pour désigner les promus de l’Institut du Service Public.


Quelques uns continuent à plaider pour la compétence des promus si méritants, mais ils ont du mal à se faire entendre, car la coupure avec le peuple est trop flagrante, et la protection « la vie durant » du fait d’un concours passé à 25 ans indigne les Français qui vivent dans un univers précaire, malgré les allocations dont ils sentent bien qu'elles promettent un avenir bien sombre.


De toute part, sur les ondes, on entend que l’ENA est une création du Général de Gaulle. Cela n’est pas totalement faux, mais pas complètement vrai. De fait, l’idée d’une centralisation du recrutement des Grands Corps, vient de Pétain qui imputait aux normaliens la défaite de 40, et ne cachait pas son admiration pour les administrateurs allemands.

Ce mimétisme n’était qu’une réédition de la réaction à la déculottée de 1870 attribuée à la supériorité de l’instituteur prussien. Cette prise de conscience ouvrit alors la voie à l’avènement en France des hussards noirs de la République dont l’école Normale était la matrice. La période qui a suivi fut celle de la priorité donnée à l’enseignement des humanités. Assurément, les humanistes de Normale Sup, tels que Blum ou Bergson, n’ont pas fait le poids dans un monde dominé par Hitler et Staline, le constat factuel de leur impuissance face aux totalitarismes s’imposait.

A Vichy, le vieux Maréchal créait l’école des Cadres d’Uriage pour former les futurs hauts fonctionnaires, et constituer une élite nouvelle. À la Libération, c’est le communiste Maurice Thorez qui est chargé par le Gouvernement de Gaulle de diriger une commission pour créer l’Ecole Nationale d’Administration. Michel Debré ne fera que signer le décret.

En réalité, cette école faisait partie de la socialisation de la société française, qu’avec une immense habileté les Communistes ont laissé attribuer au Conseil National de la Résistance. C’est cette collectivisation à outrance, qui est le fond du mal français, et mère nourricière de la bureaucratie, qui inévitablement a dégénéré en bureaucrature. En effet, si les Français sont très attachés à leur sécurité sociale, ils n’en mesureront les conséquences que par la situation délabrée du système hospitalier.

Attribuer à De Gaulle le projet de créer une élite d’Etat n’est pas inexact, cela est corroboré par plusieurs déclarations du Général qui s’y déclare favorable. Mais, toujours, il insista sur le devoir d’obéissance des administratifs au pouvoir politique. L’idée de l’Administration était pour lui assez proche de ce que devait être l’armée transposé sur le plan civil. La prise de pouvoir par les énarques aurait, sans doute, été qualifiée par lui de pronunciamiento, le coup d'Etat des illettrés.

De l’origine pétainiste, puis communiste, c’est à dire totalitaire du projet, les thuriféraires de l’ENA se sont employés à effacer toute trace dans la légende de sa filiation gaulliste.

Le miracle économique allemand comparé au déclin français constitue, pour la France, une troisième défaite majeure, après Sedan, et la Collaboration. Cette fois, les responsables sont les administrateurs français, battus à plate couture par les entrepreneurs germains. Derrière la suppression de l’ENA, et peut-être d’autres écoles fondées sur le même principe d’une méritocratie du diplôme mal comprise et verrouillée par une selection absurde, se profile la nécessaire adaptation à un monde qui change plus vite que son ombre.


Comme beaucoup de réformes d’Emmanuel Macron cette suppression ne sera peut-être, qu’un simulacre. Mais, un totem est mis à bas, un tabou transgressé. C’est toujours mieux que rien. Et même Hercule qui a terrassé l’Hydre de Lerne et nettoyé le écuries du roi Augias aurait refusé le travail. Lui a osé.

Même de l'ordre du cosmétique, c’est déjà trop pour ceux qui vivent de l’Etat et entendent continuer à le faire. Cet affront à la maison mère est inacceptable. Certains pourraient penser que la sortie du bois du « loyal » Edouard Philippe, remplaçant de Macron « au cas où », avait pour objet de décourager le monarque. La menace était claire, un destin à la Hollande ou un accident de la vie justifiaient cette prise d’assurance.

Malgré ce message, Emmanuel Macron a osé, comme il avait défié le corps médical en janvier dernier. Peut-être n’est-il pas aussi seul qu’on le dit. Il existe en France d’autres forces que l’élite d’Etat. Ce sont les grands capitaines d’industrie. Les Pinault, Arnaud et Bolloré sont les plus en vue. Certains d’entre eux semblent avoir misé sur la réélection de Macron, et avoir compris que cela passait par une bataille contre le système étatiste. La suppression de l’ENA, tout un symbole, n’en est pas un épisode mineur.


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