Il faut commémorer la mort de Napoléon
- André Touboul
- 12 mars 2021
- 4 min de lecture

L'année 2021 marque le bicentenaire de la mort de Napoléon. La République songe à lui rendre hommage. S’insurgeant contre cet exercice de mémoire, des voix se sont élevées. Napoléon ne peut être célébré, car il a rétabli l’esclavage disent les uns et d’autres ajoutent qu’il serait responsable de millions de morts.
Les premiers demandent aussi que l’on abatte la statue de Colbert, rédacteur du Code Noir sous Louis XIV. Les seconds font mine d’oublier que lors de la Révolution française, tout l’Europe monarchique a déclaré la guerre à la France, et que malgré la tentative de Napoléon de rentrer dans le rang en créant un régime impérial, les adversaires de la France ne l’ont jamais accepté, principalement parce qu’il était l’héritier de la Révolution honnie.
Commémorer, pour le pouvoir c’est communiquer. Commémorer n’est pas béatifier, ni sanctifier. Il s’agit de puiser dans les exemples passés des forces pour le présent.
Il faut néanmoins admettre que dans toute commémoration il existe un hommage à la personnalité de la figure historique ou artistique concernée.
Les fautes, voire les crimes, que les grands dirigeants ont commis ne sont pas une raison pour les effacer, ni annuler les hauts faits, les grandes réalisations.
Napoléon Bonaparte n'a pas été seulement un militaire de talent, la liste de ce que la France d’aujourd’hui lui doit est impressionnante.
Il a fait entrer dans l’histoire positive les lumières que les excès des révolutionnaires avaient compromis. On lui doit le Code civil, dit code Napoléon, adopté dans de nombreux pas d’Europe. Il a créé le Conseil d’Etat. Signé le Concordat qui rend leur religion aux Français, il a intégré les Juifs à la France. Il est à l'origine de la construction de la Bourse de Paris et de ses principales réglementations. En 1800, le Premier consul Bonaparte crée deux institutions importantes, existant toujours : la Banque de France, et les préfectures avec à leur tête un corps préfectoral. Pour l'éducation, il a lancé une grande réforme qui a aboutit à la création des lycées et de l'École militaire Saint-Cyr. Pour l’économie, il a instauré les vingt-deux chambres de commerce et institué une nouvelle monnaie, le franc germinal. Il a métamorphosé le système judiciaire français, instauré les Cours d'appel et transformé le Tribunal de cassation en Cour de cassation. On lui doit la Cour des Comptes, le baccalauréat. Il a fait entreprendre le cadastre, et promulgué le code pénal. Il a enfin créé la Légion d’honneur. Nous vivons encore de nos jours dans une France napoléonienne.
Certes Napoléon n’a pas été exempt d’erreurs. On peut lui reprocher d’avoir vendu pour une bouchée de pain la Louisiane qui à l’époque représentait 22% de la superficie actuelle des Etats-Unis. Mais Napoléon n’était pas un bon commerçant.
S’agissant de l’esclavage l’affaire est complexe. Aboli en 1794, cela est maintenu jusqu’en 1802, mais avec la signature de la paix d'Amiens le 25 mars 1802, le Royaume-Uni doit rendre à la France les colonies occupées. Parmi celles-ci, se trouvent notamment Sainte-Lucie et la Martinique qui n’ont pas bénéficié de l'application de la loi d'abolition de l’esclavage. C’est ce triste « cadeau » britannique qui entraîna le rétablissement des lois antérieures à 1789 dans les autres colonies. Lors des Cent jours, en 1815, Napoléon décrète l'abolition de la « Traite des Noirs », notamment et curieusement, en vue de complaire à l'opinion publique britannique, entre temps devenue abolitionniste. La Restauration ne tint aucun compte de cette abolition.
On a reproché à Napoléon d’avoir fait exécuter le Duc d’Engin, « ce n’est pas une erreur, c’est une faute » en a dit Talleyrand. Mais De Gaulle n'a-t-il pas laissé mettre à mort Bastien Thiry.
On veut aujourd’hui appliquer aux dirigeants la morale des individus qui n’ont pas leurs responsabilités, et ne courent pas leurs risques. Pourquoi pas. Peut-être est-ce là la raison qui fait que nos gouvernants sont devenus si médiocres.
Pour endosser la raison d’Etat, il faut pouvoir transcender la morale individuelle et parfois son étique personnelle. François Hollande dans « Un Président ne devrait pas dire cela », confessé par deux journalistes de Monde, confie les difficultés qu’il eut à ordonner des opérations Homo. On appelle ainsi les actions destinées à assassiner un ennemi de la France. Il se voulait Président normal, il n’était qu’un homme normal au poste de Président, un costume qui lui allait si mal.
Responsable du destin de tout un peuple, Napoléon ne peut être jugé à l’aune d’un sous-préfet de Corrèze. Ce n’est pas une raison pour excuser ses carences d’humanité, mais celle-ci ne peuvent annuler son héritage.
Dans le domaine de l’art, la personnalité de l’auteur et son œuvre sont plus ou moins détachables.
La vie privée des peintres et sculpteurs est de peu d’importance quant à l’appréciation de leur art. Et c’est heureux car bien peu ont été exemplaires, et plusieurs des sales types.
Chez les écrivains, le talent n’est pas plus une garantie de bonne vie et mœurs. Il est plus difficile de les séparer, et carrément impossible quand, comme pour Ferdinand Destouches, dit Céline, les immondices contaminent le contenu de l’œuvre. Il faut néanmoins accepter de trouver des diamants dans le purin. S’y refuser serait se punir inutilement. La reconnaissance d’un génie littéraire n’est pas faire plaisir ni se soumettre à un auteur, c’est un enrichissement personnel.
Pour Napoléon, le souvenir de son œuvre et l'hommage rendu, ne sont pas une souscription à tous ses actes, c’est faire son miel de ceux qui ont construit la France.
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