Il suffisait d'y penser
- André Touboul
- 24 sept. 2023
- 4 min de lecture

Afin de concilier l’humanité béate qui commande l’accueil avec le réalisme froid qui considère l’avantage économique, une cohorte de bons esprits ont co-signé une tribune pour exiger que touts les sans-papiers qui travaillent en soient désormais munis.
Il fallait y penser, régulariser les 400.000 travailleurs en situation irrégulière sur la territoire mettrait fin à l’irrégularité d’une immigration non maîtrisée. Cet œuf de Christophe Colomb n’est pourtant pas aussi évident que cela.
La première réflexion qui vient est qu’il est pour le moins stupéfiant que dans un pays aussi administré que la France où l’on croule sous les normes et une Administration omniprésente, il puisse y avoir autant de personnes qui travaillent hors de tout contrôle.
Ces travailleurs, hors champ des radars administratifs, ne supportent pas de cotisations sociales, ni fiscale, ils profitent néanmoins de certaines prestations. Il pourrait ainsi paraître intelligent de les faire rentrer dans le circuit des prélévements obligatoires, améliorant ainsi les comptes publics. Mais ce serait une illusion, car c’est faire abstraction des raisons pour lesquelles ces travailleurs sans papiers existent.
L’expression « métiers en tension » lève une partie du voile. Il n’y a pas en France de candidats pour remplir les tâches concernées. Ce n’est pas qu‘il n’y ait pas de chômeurs ou que celles-ci soient trop pénibles, la pénibilité n’interdit en rien une rémunération satisfaisante, bien au contraire. En fait, ce qui est en cause est que la rémunération de ces activités qui n’est pas suffisante. Dès lors, les entreprises ont recours à des expédients, dont le plus évident est d’employer des travailleurs mal payés et hors charges sociales. Bien entendu ces personnes, ne payant pas d’impôt sur le revenu (ce qui n’est pas un réel avantage vu le niveau de leurs salaires), ne bénéficieront pas de retraite. Le prolétariat a disparu, mais l’exploitation continue à la marge pour ces travailleurs. Outre cet avantage financier, l’emploi « au noir » permet de disposer d’une main-d’oeuvre plus docile car d’une précarité totale.
Régulariser ces personnes paraît une solution à la fois humaine, juste et économiquement fondée. C’est oublier la cause de leur présence qui est justement économique. Il y a, certes, la pression économique dans leur pays d’origine, mais l’essentiel est inhérent à la France dont le système social que l’on dit très généreux implique des charges non supportables par certaines activités. Généreux ? C’est-à-dire très lourd à financer.
Les grandes entreprises soumises à un contrôle administratif étroit détournent le problème en ayant recours à des sous-traitants qui remplissent des formulaires garantissant qu’ils n’emploient aucune main d’œuvre non déclarée. Mais ces structures éphémères ne sont que des paravents.
Les autres employeurs hors des clous misent sur la tolérance administrative du fait que leurs activités soient justement « en tension ». Ils emploient des immigrés « en attente de régularisation », une attente qui parfois dure longtemps… certains paient même des cotisations sociales, mais tous se rattrapent sur des bas salaires.
La régularisation massive entraînera une augmentation des coûts des services où ils travaillent, sauf à moduler les cotisations correspondantes, en créant un déséquilibre avec les autres salariés.
Tant que le système officiel et général restera aussi exigeant et lourd, il y aura des travailleurs irréguliers. Les régularisés pourront postuler à d’autres emplois, et, tôt ou tard, ils perdront le leur au « bénéfice » de nouveaux arrivants, car là est l’appel d’air irrépressible.
Contrairement à ce que prétendent les Lepénistes et autres extrémistes de droite ce ne sont pas les prestations sociales qui provoquent l’immigration, ce sont les boulots. En Grande Bretagne les largesses sociales sont minimales, et les immigrants sont prêts à mourrir pour franchir la Manche, car là-bas les junk-jobs sont ouverts à tous sans charges ni restrictions.
La solution qui parait évidente serait de dispenser de charges sociales les métiers en tension pourvu que leurs salariés soient déclarés. Ce qui s’oppose à cette formule est que l’Administration se désintéresse des contrôles qui ne sont pas fondés sur une taxe.
Le hiatus qu’il faudra bien un jour affronter est celui qui réside dans l’esprit des Français qui sont attachés à leur mode de douceur de vivre qui suppose une main-d’oeuvre abondante dans la restauration au coin de la rue, des travaux publics et un bâtiment pas cher, une santé gratuite, mais ne veulent pas considérer l’incidence de l’immigration irrégulière sur l’existence de ces métiers, et simultanément se plaignent de voir bousculer leurs traditions culturelles par des arrivants de plus en plus nombreux qui apportent leurs mœurs à la semelle de leurs souliers.
Quelque soit le niveau des rémunérations, il est illusoire de penser que les emplois rebutants seront pourvus par les Français de souche ou plus récemment bouturés, car le désamour pour le travail atteint un niveau inédit en France. Les ouvrages se multiplient sur ce thème. « Ne pas perdre sa vie pour la gagner », tel est le slogan qui est en passe de remplacer le « il est interdit d’interdire » de mai 68.
Cette belle jeunesse d’aujourd’hui croit égoïstement que le travail, c’est pour les autres. Cette « aliénation », très peu pour elle. Qui lui dira que « Tanguy, c’est fini ! ». Dans le monde d’aujourd’hui, les fainéants n’auront que le sort qu’ils méritent. L’Etat-nounou est sur la paille.
Cette culture de la paresse est le danger le plus grave que court la société française, elle élargit le périmètre des métiers « en tension ». Au bout de ce chemin, les privilégiés vivront aux crochets d’immigrants qui tôt ou tard leur signifieront que la fête est finie. Là est le risque de grand remplacement, dans la démission de notre société, plus que dans une colonisation à rebours.
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