L’alternative du chaos
- André Touboul
- 9 oct. 2021
- 3 min de lecture

Les grands mouvements de l’histoire passent très généralement par l’affranchissement du peuple à l’égard d’une élite qui s’oppose aux réformes pour conserver ses positions. En France, on compte plusieurs de ces moments cruciaux.
Ainsi furent fondés la Nation et l’Etat.
Selon les préférences politiques l’on fait remonter la naissance de la France à Clovis (466/511) ou à la Fête de la Fédération (14 juillet 1790). Mais si nos ancêtres sont les Gaulois, il faut appeler à la rescousse les mânes de Vercingétorix (- 82/-46).
Dans le cas de la France, la Nation a été précédée et en quelque sorte crée par l’Etat. A cet égard, la France a commencé à exister sous Philippe IV, le Bel (1268/1314). Avant lui, l'administration du Royaume était limitée à la cour du roi, avec ce Roi de fer, elle se spécialise en trois sections :
le Grand Conseil qui traite les dossiers politiques ;
le Parlement, responsable de la justice ;
la Chambre des comptes, spécialisée dans les affaires financières.
Pour fonder une Nation qui ne soit plus seulement un Royaume, Philippe le Bel, se libérera du partage du pouvoir avec le Pape, il procéda à l’expulsion de près de 100.000 Juifs, et anéantit l’Ordre des Templiers.
On connaît les motivations financières d’une telle politique, mais elles n’étaient pas les seules. Il y avait aussi le souci de réunir les pouvoirs temporel et spirituel. C’est dans cet esprit d'empiéter sur le spirituel que Philippe le Bel qui s’employa à faire canoniser Saint Louis.
L’affaire des Templiers est l’histoire de l’élimination d’une élite. On en a, depuis Maurice Druon, une image romantique, mais les Templiers constituaient un Etat transnational dans le Royaume de France, et donc un obstacle à la cohérence de celui-ci.
Les Templiers possédaient d'immenses richesses, certains vivant dans un luxe ostentatoire, alors qu'ils avaient fait vœu de pauvreté. Leur fortune était augmentée par les redevances (droits d'octroi, de péage, de douane, banalités, etc.) et les bénéfices issus du travail de leurs commanderies (bétail, agriculture…). Ils possédaient également une puissance militaire équivalente à quinze mille hommes, dont mille cinq cents chevaliers entraînés au combat, et cette force était entièrement dévouée au Pape. La présence du Temple en tant que juridiction pontificale limitait grandement le pouvoir du Roi sur son propre territoire, et constituaient une négation de la souveraineté.
En éliminant cette élite transnationale, Philippe le Bel a affirmé la France comme nation souveraine. Le vide a vite été comblé par les grands féodaux sous son successeur Louis X, le Hutin, qui rappela également les Juifs. Les ordonnances de Louis X redonnèrent du pouvoir aux nobles et à l'aristocratie ainsi que les droits et prérogatives qu'ils avaient perdus sous Philippe le Bel. Ainsi se constitua une nouvelle élite totalement indépendante de l’Eglise.
Cette élite a prospéré au cours des siècles, jusqu’à mettre en tutelle le pouvoir royal, et au cours de la Fronde, entrer en concurrence avec lui.
L’Etat a pris, dans notre pays, toute sa majesté sous Louis XIV, il s’est affirmé contre une noblesse frondeuse qui a dû courber l’échine et se plier à la volonté royale. Versailles en fut le symbole et l’instrument.
Dans le vide relatif créé par une noblesse d’épée, matée par le Roi, s’est engouffrée une nouvelle élite, la noblesse de robe. Pour la maitriser, les réformes Maupoux sous Louis XV mirent fin à la vénalité des offices, et instituèrent la gratuité de la Justice. Ce fut l'occasion d’affrontements sans précédents entre le Roi et les Parlements où ces derniers ont dû capituler. La faute politique de Louis XVI, sous l’influence de Choiseul, fut de revenir sur les réformes du Chancelier Maupoux, remettant en selle l’élite réactionnaire. Il crût pouvoir faire appel au peuple contre elle, mais s’y brûla les doigts et y perdit le col. La Révolution fut un grand mouvement de purge de l’élite des anciens privilégiés ; non seulement de la noblesse, mais des corporations et de tout ce qui constituait l’ossature du pays.
A chaque moment historique, une nouvelle élite a profité de l’élimination de la précédente pour s’imposer. Toujours, la destruction a précédé le renouvellement.
On s’interroge aujourd’hui sur l’élite qui pourrait remplacer celle, en place, que l’on peut qualifier d’élite d’Etat. Le discours de ses représentants rappelle la fameuse formule : c’est nous, ou le chaos. A considérer les résultats de leur gestion, il sont plutôt en faveur du désordre.
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