L’antimonde et le juste milieu
- André Touboul
- 20 nov. 2022
- 6 min de lecture

Pour décrire le siècle que nous vivions, on est le plus souvent tenté de parler de monde à l’envers.
Sur le plan sociétal, les différents partis semblent jouer à fronts renversés. En France, par exemple, la droite et la gauche paraissent avoir échangé leurs idéologies. Alors que la droite, traditionnellement catholique, brandit désormais la laïcité, grande conquête socialiste du siècle passé, la gauche, naguère chantre de l’athéisme, se porte avec véhémence en défense de la pratique du culte musulman le plus rigoriste et de ses signes ostentatoires.
Quand jadis, l’Eglise était la directrice des consciences de la population, c’est désormais la société civile qui exige des prêtres qu’ils fassent leur examen de conscience et confessent leurs lourds péchés.
Naguère, l’école était un sanctuaire où l’on dispensait les savoirs, c’est aujourd’hui le champ ouvert d‘affrontements politico-religieux dans lequel l’on se dispense d’apprendre pour mieux manifester l’intransigeance de ses convictions.
Depuis des lustres, le sort des épouses les plaçait sous la tutelle de leurs maris et les femmes étaient des proies gémissantes sous la férule de mâles prédateurs, mais, de nos jours, ce sont les hommes dont les carcasses tremblent de peur d’être accusés d’abus sexuels sans toujours pouvoir ni savoir s’en défendre. On peut résumer ceci par la formule : la peur a changé de camp. Certaines la revendiquent.
Au siècle dernier, le racisme était un mépris du dominant occidental envers le dominé du tiers monde ; c’est maintenant une revendication assumée de minorités ethniques contre le mâle blanc, mis en accusation même et surtout là où est majoritaire.
Pour nos devanciers, la belle et claire langue française était la fierté et le ciment de la nation des Lumières, la voici devenue inclusive, illisible, défigurée à qui mieux-mieux, réalisant la prouesse de s’enlaidir en se féminisant.
De la maxime « aux grands hommes, la patrie reconnaissante », l’on est passé au déboulonnage systématique des statues, comme si les hauts faits et services rendus devaient être annulés par le fait que leurs auteurs n’étaient pas, par ailleurs, irréprochables.
Dans le temps, l’on disait : c’est vrai, c’est écrit dans le journal. On se défie aujourd’hui par dessus tout des journalistes et l’on fait plutôt confiance aux rumeurs incontrôlées et de préférence les plus folles du web. Les vérités étaient vraies, elles sont alternatives.
Tout allant très vite, l’internet, voulu comme un espace gratuit de liberté d’expression et un trésor de culture donnant accès à la bibliothèque universelle, est devenu un lieu de métadonnées lucratives, de violence ordurière et de désinformation.
Les renversements idéologiques ne sont pas choses nouvelles. Ce sont les Républicains du Nord qui aux Etats-Unis ont été jusqu’à la guerre civile pour imposer la libération de l’esclavage à un Sud Démocrate. Les Suprématistes blancs sont désormais Républicains. Les racialistes noirs sont des Démocrates.
L’idéologie communiste, bien différente de la pratique, mais affichée, faisait de la Russie la patrie de l’homme nouveau, espoir de progrès de l’humanité. Sous Poutine, le même pays se dit défenseur brutal des traditions ancestrales, de la religion, et des valeurs rétrogrades de jadis.
Depuis des millénaires, les hommes ont tenté de s’approprier la nature, la domestiquer, la civiliser pour rendre la planète habitable. Cette notion de gestion de l’environnement a fait place à une religion de la décadence où l’homme est un intrus.
L’énergie était la clé de la prospérité des nations, elle est devenue leur fatalité. Celles qui en disposent sont sous le coup de la malédiction de la rente, celles qui la consomment détruisent le climat.
A bien des égards le monde d’aujourd’hui parait être le négatif de la photographie de l’ancien qui par comparaison fait figure de belle époque.
Il ne s’agit pas des corsi y recorsi de Gianbatista Vico, qui sont une préfiguration d’un éternel retour avec des cycles, mais bien d’une sorte d’antimonde dont le contact avec l’ancien aurait les mêmes effets que celui de la matière avec l’antimatière. Des effets destructeurs. Une dissipation d’énergie en pure perte, avec pour toile de fond une inéluctable apocalypse semblable à celle annoncée par les terreurs de l'An mil.
Devons-nous résigner à cette disparition programmée du genre humain ? Certes non ! De tous temps, l’humanité a été menacée par des mœurs barbares, des erreurs fatales et des pratiques délétères. Elle s’en est toujours tirée, par le haut dans ce que l’on nomme civilisation. Ce mélange subtil entre tradition et modernité qui assure le succès des uns s'il est fécond, et la destruction des autres quand il n’est pas réussi. Les civilisations sont mortelles, mais, si elles survivent, elles n’en sont que plus fortes.
Quelques amers que puissent être les anciens, gardiens des traditions, ils ne doivent jamais renoncer à leur devoir de les transmettre. Quant à eux, les modernes, ou ceux qui se prétendent tels, ont le devoir de modérer leurs élans, qui ne sont pas tous nécessairement de la meilleure venue du seul fait qu’ils prennent le contrepied des usages. Le juste milieu est l’alternative à l’antimonde.
Depuis Aristote, on parle de juste milieu à propos, non nécessairement d'une position située à égale distance ou au milieu de deux extrêmes, mais d’un équilibre entre deux extrêmes fâcheux, d’une position intermédiaire optimale qui évite aussi bien l’excès que le défaut, et qui définit, non une position médiocre, moyenne, mais une position excellente, parfaite, optimale.
Le juste milieu n’est pas le « en même temps », ni le un peu des deux, c’est le choix qui évite les excès. Le principe de Boucles d'or est ainsi nommé en référence à l'histoire de Boucles d'or et les Trois Ours, dans laquelle une petite fille du nom de Boucles d'or goûte trois différents bols de porridge préparés par la famille Ours, et elle découvre qu'elle préfère la bouillie qui n'est ni trop chaude, ni trop froide, mais juste à la bonne température.
Contrairement aux cris d’orfraies des déclinistes, collapsologues et autres catastrophistes la civilisation occidentale a de l’avenir devant elle. Elle a pensé et mis en œuvre l’humanisme qui est la source des plus grands progrès éthiques qu’ait jamais connus l’humanité, depuis le message de solidarité christique. Il a conduit à l’abolition de l’esclavage et à l’égalité entre les sexes, ainsi qu’à un idéal d’équilibre entre l’individu et la collectivité. Le fait que ces conquêtes soient outrepassées et dénaturées par certains qu’il faut rappeler à la pureté de ses principes, ne peut justifier que l’on jette le bébé avec l’eau du bain.
Quel que soit le bien fondé des causes (féminisme, exclusions, inégalités…) il ne peut justifier que l’on sacrifie les fondements de la démocratie. Les mouvements qui appellent au lynchage médiatique des dénoncés de #metoo, ou les racialistes qui font du racisme au nom de l’anti racisme, et colonisent au nom de la décolonisation, tous ceux qui veulent déconstruire tout ce qui les a construits, doivent être rappelés à l’ordre. Ce sont des égarés qu’il faut sans relâche ramener dans le chemin droit et juste.
Le juste milieu n’est pas donner raison un peu à deux erreurs opposées pour en faire une vérité, mais de se garder des excès qui peuvent faire dégénérer toute vertu en vice. En cuisine, les épices et le sel sont une bénédiction pour le goût, leur abus rend le plat immangeable.
Aux mauvais cuisiniers, il convient de répondre que l’on n’achète pas leur discours en leur lançant des wokie-talkie, eux qui ont su avec si peu d’égards interpeller leurs anciens par un insolent okay boomer, ce qui dans deux cas pourrait se traduire par « cause toujours ! ».
Ce combat peut paraître fastidieux, mais il est nécessaire, car nous n’avons pas de civilisation de rechange.
Le Wokie-talkies, c’est le bla-bla qui retourne les valeurs contre ceux qui les ont instituées, n’est pas sans remède. Les gens sensés ne peuvent se contenter de lever les yeux au ciel. Ils ont le devoir de dénoncer les dérives, car elles sont destructrices.
Quelques exemples :
- Dérivant dans l’abus, la liberté d’expression devient créatrice de chaos et sape la démocratie dont elle est l’un des piliers nécessaires. Mais elle exige de ne pas tomber dans la police de la pensée correcte.
- La laïcité garantit l’exercice des cultes, mais n’autorise pas l’utilisation politique de la religion, c’est au contraire pour y mettre fin que la loi de 1905 a été instituée.
- La liberté de se vêtir à son gré ne va pas jusqu’à arborer un vêtement signe de soumission de la femme et censé protéger les mâles de son impureté.
- Nous ne voulons faire la guerre à personne, néanmoins les Russes l’ont décidée, et elle est là.
- A l’intérieur, nous aspirons à une société apaisée, les radicalisés et autres violents sont d’un autre avis. Il ne suffit pas d’être pacifique pour mérite la paix. Il faut aussi savoir décourager les nuisibles.
- Nous aimons la France, mais certains lui sont hostiles parmis ceux qu’elle nourrit dans son sein. Le patriotisme ne va pas de soit, il s’inculque.
Le juste milieu consiste à tolérer les manifestations de liberté, mais sans naïveté. Ce qui exige que l’on rappelle sans cesse qu’aucune liberté n’est absolue et que sa limite est qu’en aucun cas elle ne doit nuire GRAVEMENT et VOLONTAIREMENT à autrui.
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