L'antiphrase
- André Touboul
- 25 juin 2022
- 5 min de lecture

Nous vivons une époque formidable. Au sens premier de ce terme avant qu'il ne s'affadisse, c’est à dire qu’elle nous fait peur. Les crises, instants décisifs, se succèdent et se superposent. Le climat qui se déglingue à toute vitesse, la pandémie qui ne cesse de rôder, l’insécurité au dedans et au dehors la guerre, l’inflation, cette mégère que l’on croyait bannie revient nous tyranniser, et pour couronner le tout la France serait désormais ingouvernable… Tout s’accélère, il semble que la fin du monde soit en passe de rejoindre la fin du mois. Stop ! Arrêt sur image. Il est temps de reprendre ses esprits.
A chaque calamité il existe une solution. On sait comment adoucir le réchauffement de la planète, il ne reste plus qu’à le faire. On a trouvé un vaccin contre le satané virus covid. On a pris conscience aussi des causes de l’insécurité qui résident plus dans le déni de réalité que dans une réelle impuissance publique. La guerre en Ukraine va y rester un bout de temps. L’économie en a vu d’autres, et c’est d’ailleurs la vertu du capitalisme libéral que de savoir s’adapter.
Reste le spectacle de charivari que nous offre le monde politique français. Etre ou ne pas être gouvernable ? La France hésite, les médias s’emballent. Ils virevoltent. Qui est encensé le matin est vilipendé le midi, puis remis en grâce le soir. Cette fébrilité n’est qu’un effet de la nécessité des organes de presse de brasser du sensationnel, de l’inédit, de l’historique… ce petit monde bat le pavé pour ne pas dire fait le trottoir pour quelques minutes de temps de cerveau des auditeurs, des lecteurs, et des téléspectateurs.
Cependant, il n’y a rien de boulversifiant dans la situation présente de la France. Le rééquilibrage du pouvoir au profit du Parlement était prévisible, et se trouvait la conséquence de l’excès de concentration atteint par le régime hyper-présidentiel qu’était devenu la Vème République. Ce n’est pas avec des présidents charismatiques que cette dérive s’est produite. On peut dire même que c’est le défaut de popularité des chefs de l’Etat successifs qui a entraîné cette dérive peu démocratique, pour ne pas dire autoritaire. Les dirigeants en mal d’adhésion ont bidouillé le calendrier passant du septennat au quinquennat, et subordonnant les législatives à la présidentielle. Les électeurs ont mis du temps à comprendre, mais ont enfin déjoué ce piège.
Certes, le retour du pouvoir à l’Assemblée s’est fait au prix d’une montée des extrêmes, mais cela ne veut pas dire que la France soit désormais livrée aux fous furieux. En regardant à gauche on pourrait le croire, mais à droite, on ne devrait pas s’alarmer de la volonté touchante du Rassemblement National de devenir un parti respectable. Bien au contraire. Quand le RN se normalise, c’est lui qui change et pas la France. Nous verrons jusqu’où il ira, au delà de la cravate et du costume bleus. Les pessimistes diront qu’il s’agit d’une stratégie du Diable, les autres attendront pour juger sur pièces.
La vraie question qui se pose pour l’avenir politique de la France est de savoir où se situe la limite des eaux macroniennes entre les « et de gauche » et les « et de droite ». Emmanuel Macron a brouillé les cartes, mais, lui disparu, l’huile se séparera de l’eau, car il n’a pas créé de parti, ni construit une idéologie.
Le gaullisme a survécu à De Gaulle, car il était synthétisable en quelques principes simples. Indépendance de la France, fierté nationale, notamment…En revanche le macronisme n’est rien de précis. Européen, il l’est, mais l’Europe, si elle est une nécessité, n’est pas une politique en soi. La grandeur de la France y est présente mais moins que la sensibilité aux sirènes du pseudo-modernisme venu d’outre-Atlantique. A force d’être tout et son contraire la pensée de Macon n’est rien. En tout cas, rien que l’on puisse conjuguer sur les marchés les jours de campagne, ce qui explique le désarroi de ses partisans. Et ce qui est plus terrible, il n'est rien que l’on puisse transmettre à une génération future. Dans l'histoire des idées politiques de la France Emmanuel Macron restera une parenthèse, que certains diront désenchantée.
Le mouvement d'appui au pouvoir présidentiel se nomme (ironiquement ?) Ensemble, et le parti du Président (non moins ironiquement) Renaissance. De fait, pour « Ensemble » ce qui pose problème est justement que ce qui les réunit est seulement la personne de Macron. Et pour « Renaissance », la perspective est simplement la disparition inéluctable dans les cinq ans, autant dire mort dès sa naissance. On jurerait ces dénominations choisies par un humoriste pratiquant l’antiphrase et qui dira « c’est du propre !» pour signifier au contraire que c’est sale. A supposer qu’Emmanuel Macron disparaisse lundi matin, le soir même il n’y aura plus un seul macroniste. Le « en même temps de Macron » est aussi une antiphrase car il signifie évidemment successivement et non simultanément. Quand il affirme vouloir « se réinventer » ou « gouverner autrement », le Président affirme surtout sa volonté de se maintenir, de persévérer dans son être comme disait Spinoza qui définissait ainsi le conatus. Encore une sorte d’antiphrase, car si une chose est impossible à tout être, c’est bien de se contredire dans son essence. Evoluer sans doute, s’améliorer peut-être, mais se réinventer, c’est prétendre renaître ainsi que le comprend le parti Renaissance. La renaissance implique la mort, cela rappelle le passage par les temps obscurs du Moyen Age. Cette autocritique est tellement violente qu’elle ne peut être sincère.
Pour savoir dans quel sens les Français veulent être gouvernés, il est indispensable de savoir qui ira à gauche et qui retournera à droite après Macron. Si l’on peut se faire une idée assez claire de la destination des amis d’Edouard Philippe, pour ceux de François Bayrou on suppose qu’ils resteront au centre tant que leur leader sera présent.
Quant aux Marcheurs de Macron, il est difficile de dire quel camp ils rallieront. Le paysage étant ce qu’il est du fait de la disparition de la gauche modérée, dévorée par sa gauche extrême, il ne reste plus rien de sa maison d’origine. En ce sens, Mélenchon est le meilleur « ami » (ceci n’est pas une antiphrase) de la droite, car il rabattra sur elle tous ceux que le parti Socialiste comptait de gens raisonnables. La physique politique est toujours un jeu de bascule où les équilibres se créent par et contre des déséquilibres.
S’il est une attitude sage pour la droite de gouvernement, c’est celle d’attendre que Emmanuel Macron finisse son mandat, d’une manière ou d’une autre, sans se compromettre dans une politique qui face à l’accumulation des crises économique, sanitaire, sécuritaire ne peut qu’échouer et ne satisfera pas. Toutefois, il n’est pas certain que le peuple de France pardonne à ceux qui par calcul politique n’auront pas voulu plonger les mains dans le cambouis. Le corps électoral, n'est pas qu'un corps, il a un cerveau, et une mémoire, il n’est jamais dupe de ceux qui finassent et ne songent qu'à se protéger alors qu'ils ne devraient être là que pour le servir.
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