L’Enfer est dans nos murs
- André Touboul
- 6 janv. 2021
- 4 min de lecture

Le Démon n’a pas toujours une mine monstrueuse. Il a parfois l’allure respectable d’un notable. Un profil de père noble. On se demande alors : quels chemins la perversion peut-elle suivre ? Mais, très vite, on constate que les détours du vice sont d’une effroyable banalité.
Dans l'affaire Duhamel, on voit se profiler le spectre d’un Outreau inversé au pays d'une gauche caviar donneuse de leçons. Les pulsions sordides des pères ignobles ne sont pas le fait de l’ignorance, ni de la misère sociale, mais, bel et bien, le signe d’une dérive morale, par de sinistres affranchis.
Beaucoup savaient, apprend-on. On parle d’omerta, mais il s’agit de plus que d’un silence prudent que certains cyniques vont jusqu’à motiver par l’intérêt des victimes. En vérité, si l’on ne s’est pas insurgé contre le crime, si l’on a continué à vénérer le criminel, en lui accordant tous les honneurs, c’est que dans le microcosme d’une élite dévoyée, il y avait un déni, non pas des faits, mais de leur caractère odieux. Sade avait, lui au moins, la lucidité de reconnaître sa fascination pour le mal.
Il serait facile de déclarer Olivier Duhamel malade, mais ce serait une grave erreur de diagnostic. C’est un potentat qui tombe et, avec lui, la quintessence de la caste des intouchables. On a énuméré les fonctions de cet agrégé, professeur de droit constitutionnel, notamment à la direction de Sciences Po, dispensateur médiatique de la bonne parole, mais il ne faut pas négliger sa qualité de président du Siècle, l’association où se réunit tout ce qui compte dans la statocratie française et où se décident les carrières des sujets jugés les plus prometteurs de l’élite d’Etat. Ce qui se produit en France, à travers la chute d’un pontife, est un séisme, aussi impensable que celui qui verrait condamner pour immoralité le Pape à Rome.
L’affaire Duhamel n’est pas isolée. Il y a eu Matzneff, lui aussi dénoncé par un livre. Le mode de communication du petit monde des intellectuels qui se croient tout permis, même l’abject, mais surtout à qui l’on pardonne tout parce qu’ils se revendiquent d'une pensée par laquelle l’homme se déclare au-dessus de sa propre nature, alors qu’il ne fait que satisfaire ses dérèglements : jouissance de l’abus d’autorité, désir de puissance, vertige de la déviance.
Il y en a eu d’autres autour desquels le groupe politico-médiatique a fait corps, et qui n’ont pas été jetés en pâture à l'opinion bien que démasqués. Certains paradent encore dans les médias, où ils déversent leurs avis autorisés sur tout et le reste. On le sait, les saloperies révélées ça et là ne sont que la partie émergée d’un iceberg qui déchire la société française depuis plus d’un demi siècle, et menace de la couler par le fond.
Au delà du scandale qui touche un personnage central du régime, c’est, en effet, l’idéologie dominante quoique déviante qui montre son visage. Une fausse modernité délirante.
Olivier Duhamel est la figure de proue d’une génération. Celle des droits plutôt que les devoirs, celle de la satisfaction des désirs de consommation d'autrui, celle de la pseudo-liberté sexuelle qui autorise des adultes à « initier » des enfants, celle du droit à l’enfant comme à un objet au lieu du droit de l’enfant, celle de la procréation pour autrui présentée comme un progrès, celle de la désintégration de la cellule familiale, celle de parents qui sacrifient à leurs humeurs les intérêts de l’enfant qui devient un enjeu de guerre d’égo entre adultes déraisonnables, celle des enfants écartelés par des gardes partagées, de familles plus décomposées que recomposées. De ces écarts d'une gravité variable, et de bien d'autres, chacun a pu être le témoin, certains ont été les complices, d'autres les instigateurs, très peu les ont dénoncés.
L’Enfer est dans nos murs, nous regardons ailleurs. Nous préférons des hochets qui ont le mérite d’être lointains, comme la fin du monde dont le spectre nous évite de regarder en face notre société au masque de sorcière grimaçante.
Si nous n’apprenons pas très vite à séparer le bon grain d’émancipation des femmes et des ethnies qui est l'honneur de notre civilisation, de l’ivraie des tocades pseudo-modernistes qui en marquent la décadence, l’apocalypse n’attendra pas le dérèglement climatique pour livrer le pays au chaos.
Dans son analyse de causes de la chute de l’Empire romain, Montesquieu n’incrimine pas au premier chef les Barbares, mais la perte du sens moral. Il s’agit bien entendu de l’oubli de la vertu politique, de la corruption, mais celle-ci n’est qu’un cas particulier de mœurs dissolues.
« Les mœurs et les manières sont des usages que les lois n’ont point établi, ou n’ont pu, ou n’ont pas voulu établir », écrit-il dans l’Esprit des lois. Cette distinction devrait être méditée. Nous avons tendance à préférer l’Etat de droit à celui de la morale, sans doute du fait de l'assimilation, par des penseurs hâtifs, de l’éthique à la morale bourgeoise. Nous y perdons le sens des valeurs universelles et sacrifions celles qui sont conformes à la nature humaine. De la corruption des mœurs, découle invariablement la perte des repères politiques, et une fragilité sociale qui rend tout empire vulnérable au moindre bousculement venu de l’extérieur.
Une question se pose : qui a autorisé que l'on mette à bas la statue du Commandeur Duhamel ? Il semble que l'élite d'Etat se fracture, comme toute faction qui est parvenue à éliminer ses concurrents, elle se divise. La suite des événements promet d'être pleine de surprises.
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