L’Etat de droit, la réalité derrière le slogan
L’Etat de droit fait partie des expressions valise où chacun met ce qu’il veut, et la plupart du temps rien.
Dans la condamnation du populisme, autre terme aux contours flous, la défense de l”Etat de droit est un argument majeur, voire un slogan définitif. Il s’agit de protéger, contre ceux qui veulent les enfreindre, les principes sacrés qui fondent la démocratie.
Dans la bouche de ceux qui le critiquent, c’est la concrétisation de ce qui s’oppose à la volonté populaire, en somme ce qui opprime le peuple souverain ; c’est un carcan de règles mises en œuvre par des juges qui ligotent la société, et lui interdisent de se défendre contre ses agresseurs.
Dans les deux cas, on veut protéger le peuple, mais pour les uns formellement, et les autres pratiquement.
Pour y voir clair il faut comprendre que l’Etat de droit est d’une part un concept et de l’autre un ensemble d’institutions.
En tant que concept, l’Etat de droit dépasse l’état du droit. Ce dernier est soumis aux aléas conjoncturels, aux nécessité de l’instant, aux lois votées dans l’émotion, et aux dérives les plus diverses.
L’Etat de droit est un corps de principes qui comme la morale absolue surplombe la morale sociale, fixe les limites que la loi ne devrait jamais dépasser… dans l’absolu.
Tuer est contraire à la morale absolue, mais dans certaines circonstances, la guerre, par exemple, la société contredit ce principe. De la même manière, l’état du droit peut être contraire à l’Etat de droit. Ainsi la liberté individuelle, principe essentiel de l’Etat de droit, peut et parfois doit connaître des restrictions. Il en est ainsi de presque tous les droits de l’homme.
Tout le débat et son ambiguïté réside dans la délimitation de l’application des principes fondamentaux. La Justice, par exemple, doit s’intéresser aux criminels pour proportionner leur peine, et s’employer à les remettre dans le droit chemin. Mais elle ne devrait jamais perdre de vue ses obligations vi-à-vis des victimes, qu’il faut aussi prendre en charge, et des victimes potentielles qu’il faut protéger. L’Etat qui a le monopole de la force ne doit en user que par nécessité, mais assurer la sécurité publique est une de ses missions essentielle, et dans cet exercice, il est amené à user de contrainte.
Le concept de l’Etat de droit est fondé sur l’idée que le peuple souverain doit être protégé de lui-même. Égaré par de mauvais bergers, les démagogues, disaient les Grecs, les populistes dit-on aujourd’hui, le peuple peut s’écarter des principes les plus sacrés. Il peut même voter pour abandonner la démocratie, aliéner sa liberté… et faire des choix dictés par l’immédiat et l’émotion, incompatibles avec ce qui fait sa propre valeur.
C’est l’Etat de droit qui protège le peuple au besoin contre lui-même. Il s’agit alors d’un ensemble d’institutions juridictionnelles qui vont servir de garde-fou.
Tel est le rôle des Cours suprêmes, gardiennes des Constitutions dans lesquelles se trouvent énoncés les principes essentiels qui ne doivent pas être sacrifiés.
Cet Etat de droit est administré par des juges que l’on dit sages, mais qui doivent avoir la grande sagesse de se garder de vouloir créer le droit.
Leur fonction est exigeante, car ils doivent protéger les grands principes qui sont parfois antinomiques, et les appliquer sans les pousser jusqu’à l’abus du droit.
Leur mandat est au demeurant soumis à la volonté du peuple qui reste souverain, mais il est garanti par des règles de majorité et des obstacles aux décisions hâtives qui empêchent l’opinion publique de s’en affranchir trop facilement.
L’Etat de droit est aussi la matérialisation des accords de vie en commun des nations entre elles. Dans cette acception, ce sont les Cours internationales qui sont concernées. Là, il s’agit encore de principes “constitutionnels” quand dans une Union les pays s’en sont dotés, mais le plus souvent ce sont des organismes politiques.
L’ambiguïté de l’Etat de droit entre les nations, européennes par exemple, est qu’il ne repose pas sur un corps de principes expressément acceptés par les peuples. Fruit d’une technostructure, cet état du droit, purement jurisprudentiel, n’a de valeur que politique. Il est de la responsabilité de chaque gouvernement de lui donner force de loi ou pas.
En définitive, l’Etat de droit est une matière interprétative de principes, gérée par des magistrats non militants qui doivent en user avec prudence et sans dommage pour le peuple, lequel reste in fine juge ultime des valeurs et principes qu’il veut privilégier. L’exercice de ce droit suprême doit être garanti et entouré des plus strictes précautions, c’est-à-dire que nul ne peut être autorisé à le confisquer (pas même les juges), mais que son expression doit résulter d’un luxe de précautions de très haute exigence.
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