L’ impasse conceptuelle
- André Touboul
- 1 juil. 2023
- 4 min de lecture

La dialectique qui analyse tout par des oppositions dominants dominés, ne répond à aucune des questions qui assaillent le monde bouillonnant d’aujourd’hui.
Son retour, faute de mode de pensée alternatif, induit la plupart des impasses conceptuelles que l’on constate.
Le wokisme racialise par antiracisme, et se trouve conduit à consacrer une relation dominant/dominé au moment où justement elle est en voie de disparition. Domination des Blancs, des mâles, des colonialistes, des Occidentaux sur les Noirs ou les Colored People, les femmes, les ex-colonisés, les pays en voie de développement… ces substituts à l’exploitation des prolétaires par les bourgeois, ne sont pas plus pertinents. C’est en utilisant un mode de pensée dialectique inadéquat que les nouveaux ayatollahs du politiquement correct s’égarent.
Cette théorisation de l’oppression survient quand la couleur de peau est une discrimination proscrite chez les populations à majorité blanche, alors qu’il n’en est pas de même ailleurs. C’est aussi quand les sociétés d’Occident ont établi comme principe l’égalité des femmes avec les hommes, et la mettent en pratique que les néo-dialectiques leur reprochent leur patriarcat arriéré, mais ne disent rien sur les cultures qui en sont restées à une soumission totale de la femme. C’est encore quand la colonisation est derrière nous qu’ils en dénoncent les crimes et abus, prétendant que ceux-ci se perpétuent dans les esprits, ouvrant la voie aux voyous de Wagner qui mettent les Etats d’Afrique en coupe réglée.
Ces mêmes « vigilants » dénoncent l’impérialisme nord-américain au moment où il disparaît et que se pose la question des inconvénients de l’isolationnisme US, et de son possible dépassement par la Chine. C’est encore quand le maoïsme renaît en Chine que le régime totalitaire chéri des soixante-huitards attardés devient la principale menace que doivent affronter les démocraties.
On continue, enfin, à parler de lutte des classes quand le prolétariat a disparu, quand la CGT, centrale ouvrière, est maintenant dirigée par une cadre.
Tout ceci serait simplement risible si cela ne conduisait pas à interdire toute autre mode de pensée, en occupant tout l’espace intellectuel de l’époque.
De ces pensées rétrogrades qui conduisent fatalement à la guerre, car tout penser en termes de conflits y mène inéluctablement, il faut absolument et urgemment s’affranchir pour réfléchir au monde tel qu’il est, et tel qu’on le souhaite.
Oui, la guerre qui revient en Europe est un résidu de la pensée dialectique. La Russie contaminée par la théorie du conflit permanent pendant les 70 ans de l’URSS, se déclare en danger. Nous savons bien que ce péril est imaginaire. Qui songerait à s’emparer des immensités glacées de Sibérie ? Certes, la Fédération de Russie dispose de ressources naturelles considérables, mais il est si simple des les acheter, et tellement moins coûteux que de tenter de s’en emparer par la force.
Hélas, la pensée post-communiste est incapable de concevoir de relation autre qu’en termes d’opposition dominé/dominant. Dès lors, il est inévitable que pour ne pas être dominé, il faut être dominant. La seule issue est donc la guerre, et toutes les phases de négoce antérieures n’en sont conçues que comme les préparatifs. Ainsi le Kremlin s’est employé à rendre l’Allemagne dépendante de son gaz, et le Moyen Orient de son blé. La manoeuvre a échoué pour l’Allemagne, elle a mieux réussi pour les pays dépendant des importations de céréales. Mais à ce jeu pervers, la Russie s’est vassalisée par rapport à la Chine.
La pensée dialectique n’a pas inventé la guerre, mais elle l’a rendue inexorable, car résultante de la perception de la réalité.
Avant le dialectisme, l’on se faisait la guerre pour se disputer des biens et des territoires. Pour la pensée dialectique, le conflit est partout, il faut donc être vainqueur ou vaincu. La guerre devient une nécessité en soi. Ainsi le vingtième siècle a été le plus sanglant de l’histoire humaine. Par les moyens techniques mis en œuvre, mais surtout par son ampleur. Les guerres se sont faites mondiales et les massacres ont été industrialisés. Il s’agissait toujours de mettre fin à une domination, réelle ou supposée. Hitler ne prétendait-il pas qu’il voulait mettre fin à la domination de l’Allemagne par les autres nations et à l’intérieur par les Juifs.
Le retour à la dialectique, qui fournit des lunettes déformantes, ne produira qu’un retour aux conflits majeurs. Il est temps de penser le monde autrement qu’en termes de lutte des classes, de guerre, de domination.
Le Monde devrait être considéré avec gravité. Non seulement parce qu’il est unique et que ses ressources sont limitées, mais surtout parce qu’il obéit à une force supérieure qui pour être invisible n’en est pas moins universelle.
La gravité, c’est Newton, mais aussi Einstein. Dans l’Univers les collisions sont l’exception et l’attraction la règle. Si l’on veut comprendre le Monde, il faut d’abord le penser en termes de gravitation.
Appliquée aux rapports humains, la loi de Newton explique que les groupes se forment et tiennent ensemble. L’élément primordial de toute sociologie devrait être l’étude de ces forces centripétes. A la différence de la dialectique qui recherche les oppositions, et fatalement les suscite, l’approche par la gravitation tend à privilégier et cultiver les liens sociaux. Parmi ces liens, on pense évidemment à la tradition. Ce bagage commun est essentiel. Il peut être partagé, mais pas nié sans grave conséquences. On doit sans doute aussi penser le monde en termes d’harmonie.
L’harmonie est en elle-même un mode de penser. La musique n’existe pas par la lutte des sons ni des instruments mais par leur complémentarité. La pensée harmonique est autrement plus exigeante que la dialectique. Elle recherche la mélodie et proscrit les fausses notes. Penser le monde en termes harmoniques n’est pas une vision de la réalité par des Bisounours, c’est un effort pour discerner les voies de la cohérence, et se libérer de la malédiction de l’impasse conceptuelle qui interdit tout progrès.
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