L'indispensable Zemmour, impair et manque !
- André Touboul
- 23 nov. 2021
- 4 min de lecture

Peut-on être à la fois, indispensable et insupportable ?
L‘irruption d‘Emmanuel Emmanuel Macron sur le théâtre politique n’a pas été seulement seulement la remise en cause du système de sélection des élites politiques, elle a permis l’ouverture du débat sur les responsabilités des élites de la fonction publique dans ce que l’on appelle le "mal français" sans toujours se rendre compte qu’il est avant tout un étatisme sclérosant. Le magistère de la parole n'est pas celui de l'action, mais il constitue un préalable indispensable.
Pour autant qu’il nomme ce que la bien-pensance refuse de voir, Eric Zemmour est aussi indispensable que l’a été Emmanuel Macron. On peut penser qu’il lui est complémentaire, en dénonçant un autre aspect majeur de la réalité française. Mais comme lui, aussi, il cristallise les haines.
Zemmour rend fou. Même un cogne mou centriste comme Jean-Christophe Lagarde perd son sang-froid en évoquant les mânes de Pasqua pour mettre « une balle dans la tête » de l’essayiste, candidat putatif. La consternation est générale. On parle de dérapage, mais il s’agit d’une faute professionnelle, car la parole est l’outil de travail des responsables politiques. Une telle outrance disqualifie en outre la pluie de critiques fielleuses dont Zemmour est l’objet. On pense à la chanson de Béart « le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ».
Mais Zemmour dit-il toujours la vérité ? Oui, quand il décrit une détresse culturelle d’une identité nationale qui a les nefs à vifs à force d’être accusée injustement de tous les pêchés du monde, et qui se sent menacée sur la terre de ses ancêtres. Non, quand il distord l’histoire.
La réécriture de l’histoire est un fait constant. Elle a pour objet de souder une nation sur un récit de faits glorieux qui en réalité ne le furent pas autant que cela, ou de la déculpabiliser à propos d’événements dont elle pourrait avoir honte. Dans le roman français, Marignan 1515 est une éclatante victoire de François 1er. En réalité, ce fut un modeste fait d’armes, mais l’occasion d’une formidable opération de propagande à la gloire du Roi de France, commencée sous son règne et entretenue durant des siècles, sans doute pour faire oublier la défaite de Pavie et la captivité royale qui s’en suivit. L’Occupation de 40/45 fut un moment tragique, et l’on peut comprendre que le récit en soit enjolivé. Mais le temps de la cicatrisation est passé, et il est inacceptable de dénaturer les faits.
Il est difficile de croire que Zemmour ait ignoré l’ignominie de Pétain aggravant de sa main le décret sur le statut des Juifs. Le document existe, il est public. Le moins que l’on puisse dire est que le Maréchal n’a pas eu le comportement du roi du Danemark. Celui-ci n’a sans doute pas porté, comme le dit la légende, l’étoile jaune, mais il a effectivement agi, comme l’a d’ailleurs fait le peuple danois, pour sauver ses sujets juifs.

Si en pleine connaissance de cause, Eric Zemmour montre patte blanche à l’extrême droite anti-juive et lui assure : « moins Juif que moi tu mœurs », dans le même temps qu’il apporte la caution d’un juif à de vieilles thèses négationnistes, ce n’est pas par opportunisme, car cette prise de position de l’intéressé est ancienne.
En réalité, Zemmour a toujours voulu prouver que la France avait toujours raison, même quand ses dirigeants du moment s'égaraient au point d’en devenir criminels.
On n’efface pas des siècles d’hostilité et de mépris envers les Juifs, il en reste toujours un zeste dans le fond de la marmite. La bête immonde ne demande qu'à se réveiller, dit-on. il est cependant délirant de prétendre que l'antijudaïsme est une réalité française d'aujourd'hui, en dehors des milieux pro-islamistes, musulmans ou non.
De fait, ce que Zemmour tente, consciemment ou non, lui seul le sait, de prouver, c’est jusqu’où doit aller l’assimilation. Son discours s’adresse aux Maghrébins, ou plutôt à ceux qui leur reprochent de refuser d’embrasser la France comme leur patrie. Il faut l’épouser même quand elle est injuste, ou bien pis, dit Zemmour.
En cela, il se trompe. L’amour de la France est de faire siennes ses heures de gloire, mais aussi d’être exigeant pour elle. Le gouvernement Pétain était déshonorant. La confusion par Chirac de "l’Etat français" de Pétain avec la France dans son discours du Vel d’hiv fut une repentance aussi infondée que stupide.
La France légitime, la seule était à Londres avec de Gaulle. Les fantoches de Vichy avaient une apparence de légalité, mais n’étaient que des marionnettes de l’occupant.
On prétend qu’il y eut grâce à Pétain moins de morts Français que pendant la Grande guerre, c’est une erreur s’agissant des morts civils : 300.000 en 14/18, et 350.000 en 39/45. La différence a concerné les militaires : 1,4 millions contre 0,2. Ce n’est pas Pétain qui a épargné des vies, mais la défaite.
Zemmour, reproche à juste titre à la caste dirigeante actuelle de la France d’être dans le déni des réalités sociales, il vit lui aussi dans une fiction historique qui l’arrange. Tous se fourvoient. Mais la toxicité d’un débat sur l’histoire n’est pas comparable au travestissement de la réalité d’aujourd’hui. Zemmour mérite un zéro en histoire, il reste cependant pertinent sur la France d’aujourd’hui.
Sur le tapis vert de la roulette politique, on peut débiter le presque candidat d’un "impair et manque", qui montre ses limites, qui ne sont pas celles d’un homme d’Etat, sans toutefois le disqualifier pour continuer à pousser ses mises.
On aurait aimé s'en passer, mais Zemmour, tout insupportable qu'il soit, est aussi indispensable qu'un boute-en-train (1) renifleur pour la reproduction chevaline.
*
(1) Le boute-en-train est un cheval placé auprès des juments pour vérifier si elles sont en chaleur et disposées à l'accouplement. Il peut également, par sa seule présence les mettre en chaleur... Si à l'approche du boute-en-train, la jument rue ou s'énerve, cela veut dire qu'elle n'est pas prête.
Comments