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L’état de guerre et les états d’âme, d’une mobilisation, l’autre

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 21 janv. 2023
  • 5 min de lecture


L’émoi de l’opinion, surjoué et dramatisé à l’envi par les syndicats qui appellent la population à déferler dans la rue pour faire échec au gouvernement, a quelque chose de surréaliste quand le canon tonne aux frontières, et que la Russie se met en économie de guerre et se prépare à la mobilisation générale.


Certes le sujet n’est pas négligeable. L’exécutif se propose de faire travailler les Français deux ans de plus, et l’on s’étonne qu’une majorité d’entre eux se déclare hostile à une réforme des retraites. Qui serait assez masochiste pour réclamer à cor et à cris une telle réforme ?

Confusément, le citoyen, un peu réaliste, a néanmoins le sentiment qu’il faut y passer, puisque les autres pays d’Europe ont déjà fait cet effort. Le génie français n‘allant pas jusqu’à dispenser de travailler autant que nos voisins, les Français savent bien que le droit à la paresse ne conduit qu’à se serrer la ceinture.

Le motif de cette mesure élégamment qualifiée de paramétrique pour que l’on comprenne bien qu’elle va être difficile à comprendre, est le même que ce qui a conduit à de précédentes réformes sur la même question. Les chiffres de la démographie sont têtus. Le nombre des actifs qui travaillent par rapport aux bénéficiaires de retraites est structurellement déséquilibré. Pour un retraité il y avait 4,1 actifs en 1960, et il y en aura seulement 1,7 en 2030. Moins d’actifs pour plus de retraités signifie plus d’efforts des premiers et/ou moins de prestations pour les seconds. Cette évidence mathématique ne relève pas de la médaille Field, mais du cours élémentaire première année. Ni les mesures natalistes, ni les apports d’immigration ne combleront cet écart.

Au demeurant, les médias reconnaissent que les Français admettent majoritairement la nécessité d’une réforme. Mais pas celle-là, nous disent les médias.

On observe tout d’abord que bien habiles seraient ceux qui pourraient se faire une idée globale des effets de la réforme projetée, tant les régimes sont divers et les situations particulières. Homogénéiser les regimes de retraites était l’objet de la réforme à points. À demi votée, elle a été abandonnée, sans que l’on sache vraiment pourquoi. Il faut croire qu’elle aura été victime de la pandémie covid, qui non contente de s’attaquer aux séniors, était fatale aux réformes les concernant.


Il est possible d’admettre que les situations étant diverses, cet abandon n’est peut-être pas une mauvaise chose. Encore qu’il aurait pu à cette occasion être mis fin à certaines aberrations du secteur public.


Etant confus, diffus et indifférencié, l’émoi est général. A la faveur de cette inquiétude légitime, on assiste à un festival de sottises et de mensonges. Les reprendre ici serait tomber dans le piège des pignoufs qui jettent de l’huile sur le feu. Les démagogues sont à la manœuvre, cependant les Français n’aimant pas qu’on les prenne trop longtemps pour des benêts, gageons qu’ils seront assez vite las de ces pantalonnades.


L’une d’entre elles mérite d’être citée, celle de la citoyenne Tondelier EELV, qui propose de supprimer les milliardaires qui selon elle ne servent à rien. Supprimer les inutiles, vaste programme ! Il réglerait la question des retraites, car à quoi servent les retraités ? Sans doute moins encore que les milliardaires. Evidemment, resurgissent les solutions miracles qui consistent à faire payer les riches, les entreprises, bref les autres.

Bien entendu, chacun ne considérant que ce qui le concerne, tous y verront une source d’injustice, dès lors que l’injuste ne peut être plus précisément défini que comme ce qui ne m’avantage pas. Le Gouvernement pourra énumérer les mesures sociales pour les démunis, les carrières longues ou pénibles, qui sont parfois les mêmes, les concessions aux privilégiés de la fonction publique, rien n’y fera. Le sentiment d’injustice est profondément ancré dans une France qui n’a toujours pas digéré ni dépassé le régime monarchique, par nature une forme d’oppression.


Au lieu d’argumenter sur l’équilibre, toujours suspect, d’une réforme qui était annoncée lors de l’élection présidentielle et qui doit donc être menée, ce qui est vrai mais ravive les arguties sur la légitimité d’un Président qui aurait été « élu contre » et non « pour », Emmanuel Macron serait bien avisé de rappeler aux Français qu’ils ne sont pas seuls au monde, qu’autour d’eux les dangers se pressent et que parmi les crises auxquelles il faut faire face, il en est une existentielle. Celle de la guerre.

Certes, il a usé et abusé de ce mot et du langage guerrier, pendant la pandémie covid, et cette dérive sémantique a fait perdre le sens des réalités. Mais, il n’est pas trop tard pour invoquer le patriotisme d’un pays qui a toujours répondu à cet appel.

Les déclarations du Président Macron selon lesquelles l’on doit entrer en économie de guerre sont passées inaperçues. Elles auraient dû interpeller. Il s’agit non seulement de conserver et augmenter les capacité militaires, mais encore d’orienter l’économie vers les productions de défense. Cela, seul, devrait alerter en montrant que la menace de conflit n’est pas imaginaire.

On a beau compter sur l’héroïsme des ukrainiens pour contenir l’expansionnisme russe, rien ne garantit qu’ils tiendront. Une victoire en Ukraine rendrait la Russie de Poutine insatiable. Il suffit d’entendre ce dernier déclarer qu’il est en guerre contre l’Occident pour savoir qu’il ne s’arrêterait pas à Kiev, s’il y parvenait.

Très soigneusement, les pays de l’OTAN s’appliquent à ne pas être cobelligérants, mais cette fiction ne tient pas. On voit bien que la montée en gamme des armements engagés n’a, en fait, pas de limite.

Un autre illusion qui pourrait s’évanouir, celle de la protection nucléaire de l’Europe. Face à une attaque conventionnelle par la Russie, personne ne déclenchera le feu nucléaire. Ni les Américains, ni les Français, car, on l’a dit et répété, c’est une arme ne non-emploi. Une confrontation classique n’est donc pas à exclure. C’est d’ailleurs la raison avancée par l’Etat major français pour refuser de se dessaisir de ses chars Leclerc, et aussi ce qui justifie le doublement des effectifs de l’armée annoncé par Emmanuel Macron.

Dans ce contexte, et face aux autres défis que rencontre la France, il parait incongru d‘appeler à paralyser le pays pour quelques trimestres de travail en plus. Quand on regarde de près la réforme Macron, elle est, comme beaucoup de ses grands projets, ambitieuse en paroles, mais minimaliste en fait. En effet, la réforme Touraine devrait conduire à un âge moyen de 63 ans et trois mois en 2027, avoue l’économiste Philippe Aghion.

La guerre imminente ou même la guerre effective n’a pas interdit dans le passé les mouvements de revendication sociale, ils étaient toutefois d’ampleur limitée. Aujourd’hui, il existe une discordance d’enjeux. Les syndicats appellent à la mobilisation générale pour rameuter les Français qui ont des états d’âme à l’idée de devoir travailler un peu plus. C’est bien peu en comparaison avec les sacrifices qu’il va falloir consentir pour la défense nationale. Certes, aucun Français ne souhaite faire la guerre à la Russie, mais l’inverse n’est pas vrai. En 1939, les Français étaient pacifistes, mais les troupes Allemandes ont envahi la Pologne, avec laquelle il existait un traité d’assistance. La même situation pourrait se reproduire avec les pays Baltes, membres de l’Union Européenne.

On a raison de dire que la Russie ne changera pas de continent quelque soit le sort de la question ukrainienne, mais justement, tant que le Kremlin est en position de continuer son armement intensif, le danger d’une extension du conflit est patent, alors surtout que l‘implication Américaine pour l’Ukraine semble marquer le pas.


Entre la mobilisation générale des Russes et celle décrétée par nos syndicats, il existe un hiatus qui laisse penser que les représentants des salariés et fonctionnaires vivent sur une planète parallèle dans un pays appelé France, mais à une autre époque. On peut comprendre les visages souriants des leaders syndicaux à la tête des manifestants, cette réforme leur donne enfin une importance qu’ils croyaient perdue à jamais.




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