La chute de la maison Le Pen ?
Dans la famille Le Pen quand on demande le père, le « menhir », ainsi surnommé par ses partisans, on apprend qu’il est à l’hôpital. Si c’est la petite fille Marion que l’on veut voir, la voilà qui préfère qu’on l’appelle Maréchal qui n’est pourtant pas le nom de son papa. Quant à la fille Marion que tout le monde connaît sous le prénom de Marine, qu’elle trouvait plus dans le vent, elle est à la tête de l’entreprise familiale, certes prospère, mais qui file du mauvais coton.
Marine était l’héritière qui faisait fructifier le patrimoine. Comme beaucoup de successeurs qui réussissent, elle le fit en « tuant le père » pour adapter l’affaire aux changements du marché. Ainsi, elle prit le contrepied de son antisémitisme passé de mode, et trop marqué d’avant guerre, voire de nostalgie de l’Occupation. Le fondateur devenu encombrant, elle s’en émancipa, en l’excluant du parti qu’il avait fondé, et dont elle alla jusqu’à changer le nom. Ainsi le Front National, la boutique à papa, aussi modeste dans ses proportions que diabolique dans son discours, est devenu Rassemblement National, premier parti de France. Dédiabolisé, certes mais les fondamentaux restaient ceux de l’exploitation d’une identité française menacée par l’immigration, l’insécurité et le déclassement.
Avec patience, opiniâtreté, malgré de multiples rebuffades et sous les sarcasmes du politiquement correct, l’héritière de l’entreprise familiale, avait entrepris de faire de son mouvement l’anti-thèse des extrémistes braillards et brouillons de La France Insoumise, cette caricature de l’anti-France qui lui servait de faire valoir.
L’uniforme, costume bleu et cravate de même coloris, était censé représenter une rigueur de pensée et une discipline sans égale. Des militants alignés sur la parole du chef, bien en ligne, répondant au quart de tour, tel était le Rassemblement National. Cette stratégie fut efficace dans un contexte où même les partis de gouvernement se délitaient, incapables de se choisir un leader et de définir une ligne de pensée. Ceci expliquant sans doute cela.
Les thèmes de son parti, il y a peu, étaient interdits aux formations dites fréquentables, accusées en cas d’incursion dans ces questions de “faire le lit” du Front National. Prononcer le mot immigration sauf pour dire que c’est une richesse absolue, évoquer l’insécurité sans préciser que ce n’est qu’un sentiment, faire allusion à l’identité française sans condamner illico le colonialisme, tout cela valait à l’imprudent une étiquette d’extrême droite, voire de fasciste. Quand à l’islamisme terroriste, c’était pour le discours politiquement correct, le fait de loups solitaires, donc de faits divers, pour ne pas dire, rien ; l’évoquer relevait de l’islamophobie. Enfermés dans cette fatwa de la Gauche morale, les politiques de la Droite classique dite de gouvernement, furent réduits au silence. Laissant à la moissonneuse-batteuse Le Pen, tout loisir d’exploiter le champ libre.
L’un après l’autre, cependant, les faits étant têtus, les “obsessions” du RN ont été reconnus comme problèmes centraux. Ceci d’autant plus qu’il en était de même dans la plupart des pays de l’Union européenne.
Sur l’immigration, à maitriser pour éviter la submersion, la sécurité pour reconquérir les territoires perdus de la République conquis par les dealers, le djihâddisme d’atmosphère, les événements ont obligé tout l’éventail politique à rejoindre son vocabulaire, lui conférant une longueur d’avance, et par là une légitimité.
Ainsi aux européennes de 2024, le RN passait d’un vote protestataire à une adhésion massive, confirmée au premier tour des législatives subséquentes, trop hâtivement provoquées par un Emmanuel Macron fébrile. La formation lepéniste pouvait entamer une marche triomphale. Au socle d’extrémistes de tempérament, s’ajoutait un électorat de droite modéré las des palinodies de ses représentants habituels, incapables d’appeler un chat un chat.
Cette victoire promise fut toutefois empêchée, in extremis, par la manœuvre de survie des autres partis, réunis pour un jour en un front républicain. En panique, ils organisèrent des désistements croisés avec un seul mot d’ordre faire barrage au RN, lui interdisant d’obtenir une majorité, mais sans créer de solution alternative.
Ce contre temps n’avait pas inquiété la Daronne. C’était, de fait, reconnaître qu’elle était destinée à s’emparer du pouvoir suprème. Tout bien pesé, une majorité absolue venue prématurément, aurait propulsé le soldat Bardella à Matignon. C’eût été couper le blé en herbe, car, soit son échec aurait compromis son propre avenir, soit, réussissant, il aurait constitué un concurrent embarrassant. Entre temps, la France étant ingouvernable, la récolte ne pouvait que s’améliorer,
Maîtresse de son parti comme de l’univers, telle l’Auguste du Cina, de Corneille, une voie royale lui était ouverte vers la magistrature suprême. Dans la tragédie classique, c’est au sommet de la gloire que le sort se retourne les travers humains prenant le dessus sur les destins les mieux assurés.
Mal vécus furent l’ostracisme et le mépris manifestés aux élus RN à l’Assemblée, quand la Droite et le Centre refusèrent de serrer la main de ses députés, et où, contre l’usage républicain, ils préférèrent élire des LFI aux postes stratégiques réservés à l’opposition.
On ne mesure pas, la profondeur de la blessure pour Marine Le Pen. Tous ses efforts de dé-diabolisation auraient-ils été vains ? Au-delà de l’injure, l’injustice était inacceptable.
Le point de rupture a d’ailleurs été atteint précisément à propos de Justice, lors de l’éprouvant procès des attachés parlementaires, où elle acquit la conviction qu’une condamnation à de l’inéligibilité était inéluctable et d’application imminente.
Inconcevable déni démocratique ! Alors que François Bayrou, poursuivi pour des faits similaires, venait d’être relaxé. Comble de l’injustice, le Parquet demandait que l’inéligibilité soit d’effet immédiat, une exécution provisoire qui n’avait pas été demandée contre le patron du Modem. Cette réquisition a sonné à ses oreilles, comme l’annonce de sa propre exécution politique.
Non sans raison, elle a tenu le gouvernement Barnier pour responsable des réquisitions du Parquet d’une sévérité, et, disons-le, d’une partialité, sans pareilles. Si Michel Barnier a commis une faute, c’est sûrement de ne pas avoir veillé à ce que la composition du tribunal soit impartiale ; ce qu’elle ne fut pas en ce qui concerne la Procureur, qui naïvement (?) avouait à l’audience n’avoir aucune preuve pour l’un des prévenus, mais ne pouvoir requérir la relaxe, car “cela lui aurait fait trop mal” (sic).
Dès lors, la vengeance d’une blonde était écrite. Sans égard pour les avantages de laisser passer le Budget, dans l’intérêt du pays, et faire ainsi oublier son incompétence crasse en économie, elle a mêlé ses voix à celle des LFI, et a fondu le savoyard.
Ce faisant, elle a montré qu’elle n’était pas maîtresse de ses nerfs, un obstacle dirimant à l’accession à la Magistrature suprême qui dispose du bouton nucléaire. Elle a aussi jeté le masque d’une prétendue défense des intérêts du petit peuple, qui va évidemnent pâtir de l’absence de budget et des dysfonctionnements qui en suivront.
Mais surtout, faute stratégique, elle claqué la porte d’une alliance potentielle avec les LR, et ouvert la voie à un regroupement allant du PS aux LR en passant par le Centre. Contre la promesse d’un scrutin proportionnel en juillet prochain, et d’une renonciation au 49.3, les Socialistes sont prêts désormais à se séparer des LFI. Au casino politique c’est un impair ; la main passe, par la censure du RN au PS qui désormais détient les clés de la survie du gouvernement.
On peut déjà prévoir que toutes les difficultés que rencontrera le pays seront attribuées au RN. Son vote du texte de gauche fut en outre humiliant, car les LFI n’avaient pas manqué d’y introduire une condamnation du RN. Au Palais Bourbon, on appelle cela avaler des couleuvres ou manger son chapeau, bref perdre toute dignité.
Les agriculteurs qui ont muré la permanence de François Hollande en Corrèze pour le punir d’avoir voté la censure qui retarde les mesures urgentes qui leur avaient été promises, ne pardonneront pas non plus à Marine Le Pen de les avoir oubliés. Dimanche dernier dans une élection partielle, le RN perdait un siège au bénéfice d’un affilié Renaissance.
Cette déperdition de substance électorale serait négligeable si, lors de la présidentielle, le second tour se jouait entre Mélenchon et Marine Le Pen. L’électeur de droite n’ayant plus d’autre choix que de voter pour elle. Mais cette hypothèse est fort peu probable. Le leader insoumis n’est plus le candidat de 2022, il a désormais une face grimaçante d’une repoussoir et stagne autour de 10% des intentions de vote ; sa présence au second tour est désormais plus qu’improbable.
Le scénario le plus vraissemblable est que le gouvernement Bayrou ne tienne pas six mois, faute de pouvoir faire voter un budget. Dans les élections législatives subséquentes que Macron sera pressé de provoquer, et qu’il préférera à une démission, les électeurs de droite feront payer au RN la censure Barnier qui fut une compromission avec les LFI. Ce plafond de verre, Marine Le Pen l’aura construit toute seule.
Le retour à la posture extrémiste est plus qu’un coup d’arrêt dans l’expansion du RN. Ce parti, sans ossature idéologique, c’est-à-dire sans théoricien, est totalement dépendant du destin de sa cheffe à qui il obéit au doigt et à l’oeil. Celle-ci, disqualifiée pour les présidentielles, il sera voué à disparaître au profit d’une Droite moins comlexée, mais exempte de complaisance vis-à-vis des séides de Mélenchon.
Comme la dissolution de 2024 aura constitué le début de la fin de la carrière politique du Président Macron, la censure signée Marine Le Pen ne sera peut-être pas la fin, mais certainement le commencement de la chute de la maison Le Pen. En apesanteur, pour le moment, la candidate bon chic bon genre façon Saint-Cloud qui voulait représenter le petit peuple, n’en prendra conscience que lorsqu’elle touchera le sol.
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