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La démocratie n’est pas du saucisson

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 7 févr. 2021
  • 4 min de lecture



The economist s’est payé le luxe de classer les démocraties dans le monde d’aujourd’hui. Il a même établi un indice fondé sur 60 critères, manière éprouvée de noyer le poisson. Selon cet organe de presse britannique, la démocratie serait comme le saucisson, elle se débite en tranches.


Dans ce palmarès, la Norvège est numéro un. La France 24ème juste devant les USA 25ème. La Birmanie est 135ème, et la Chine 151ème. On s’en doutait, la Corée du Nord est 167ème, bon dernier des nominés.


Ce classement prête à sourire. Ses concepteurs font partie de ceux qui comptent ce qu’ils voient, mais ne voient pas ce qui compte. Il n’y a aucune équivalence entre telle ou telle liberté publique. L’absence de l’une n’est pas compensée par l’autre.


De fait, la démocratie, régime défini par Abraham Lincoln comme le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple, est indivisible. Elle dépend des relations que l’élite dirigeante, il y en a toujours une, entretient avec la population.


La Birmanie est sur le banc des accusés. Comme en Algérie, c’est un régime où les militaires ont pris le pouvoir. C’est mal, très mal, disent les arbitres des élégances démocratiques. Ce jugement est non seulement rapide, il est aussi injuste.


Nos commentateurs et souvent aussi nos gouvernants, si prompts à jeter l’anathème, omettent de prendre en compte que chaque pays est dirigé par une élite. Dans certains pays cette élite est militaire, car l’armée est la voie unique d’ascension sociale.

Dans d’autres, comme les Etats-Unis, l’élite est juridique et financière. Ce sont les avocats et les banquiers qui occupent les hautes sphères. En Chine, l’élite est politique ; pour faire carrière il faut gravir les échelon du Parti unique ; les entrepreneurs sont tolérés, ils ont la bride sur le cou, mais ne décident jamais.

Pour la France, depuis un demi siècle, la méritocratie passe par le service public ; l’élite est légitimée par et pour l’Etat.

Dans tous ces pays, la forme de démocratie en usage ne passe pas vraiment par le système électoral. Celui-ci est étroitement contrôlé. Quand, comme au USA, il conduit à un dévoiement en donnant le pouvoir à un populiste, le système est pris en défaut, mais il rectifie très vite le tir.


La justice sociale est assurée par la sélection de la classe dirigeante. Bien entendu, les élites civiles professent la plus grande hostilité à l’encontre des élites militaires, ou de celles qui se réalisent dans des structures telles que le parti unique. Le reproche qui leur est fait est de ne pas respecter les rites démocratiques de l’élection.

De fait, pour l’élite juridique et financière américaine, ou l’élite d’Etat française, la démocratie élective est sacrée dans ses formes, mais imparfaite dans les faits.


Bien entendu, on déclare que le peuple est souverain, tout en affirmant que c’est un enfant capricieux qui ne sait pas vraiment où sont ses intérêts, et qu’il se laisse si aisément berner qu’il faut le protéger contre lui-même. Dès lors, l’élite développe des stratégies pour mettre les élus hors de position d’exercer le pouvoir. Les élus sont corrompus, par nature, et incompétents par définition ; tel est le leitmotiv de l’élite. Il est repris par les médias culturels sous couvert de défendre le petit peuple contre les puissants.


On ne compte plus les films, les livres qui clouent ces escrocs hypocrites au pilori. On est las de dénombrer les procès où les représentants élus sont condamnés, pris la mains dans le sac de profiter de leur situation. Ce sort ne survient jamais, ou alors dans de très rares cas, aux membres de l’élite. Pour déconsidérer la démocratie représentative, on vante les vertus de la démocratie directe censée respecter les volontés populaires ; on déifie les Organisations non-gouvernementales. La vogue des ONG vient principalement du fait que l’élite n’exerce que rarement les fonctions gouvernementales. Elle laisse ce soin au personnel politique qu’elle tient rênes courtes, et sanctionne au premier écart.

Car l’un des travers de l’élite de ce siècle est de ne pas assumer son rôle dirigeant. Les avocats et banquiers américains contrôlent l’opinion à travers les médias qui pour eux disent le bien et le mal. Par ce canal ils mettent en exergue le politiquement correct. L’élite d’Etat française agit de même, et n’assume rien. Si la politique échoue, ce sont les élus qui en sont responsables. L’élection est utilisée comme une chasse d’eau dans les toilettes, elle évacue les prétendus fautifs, et permet d’en installer d’autres. Ceux qui tirent la chaîne, eux, ne changent jamais ; ils ne sont jamais responsables devant quiconque. Aux Etats-Unis, les crises économiques balayent de temps à autre les banquiers imprudents, et les cabinets d’avocat trop endettés ; on fait ses cartons, et l’on va dormir dans sa voiture de luxe.

En France rien de tel. Au plus fort de la pire des catastrophes, les hauts fonctionnaires conservent leur poste, leur logement, leur rémunération. Leurs amis souvent des condisciples, qui dirigent les entreprises liées à l’Etat, reçoivent des aides et des contrats.

On critiquera les élites militaires, mais elles ont la décence d’assumer le pouvoir qu’elles exercent. Les élites du parti unique revendiquent la responsabilité de leurs choix. Ils piétinent la démocratie, dit-on. Ils n’en respectent que les simulacres. Mais l’élite d’Etat française, qui se croit vivre en démocratie, se moque royalement du peuple dont elle ne partage jamais le sort.

Alors, nul n’est besoin de quatorze critères différents, ce dernier seul suffit : oui, la démocratie est défaillante en France.


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