La France 2025 sans Budget, l’Etat au jour le jour, une calamité ou une opportunité
- André Touboul
- 21 déc. 2024
- 6 min de lecture

Autour de la table des partis politiques français de 2024 on ne trouve désormais que des joueurs de poker, et des mauvais. En effet, chacun surestime sa main, alors qu’aucun n’en a une gagnante, et tous veulent faire tapis et immanquablement ils y vont …au tapis.
Même en mélangeant leurs cartes, ils ne parviennent pas à remporter la mise, car, ils l’avaient dissimulé lors des élections législatives, elles sont incompatibles.
Pendant cette sinistre partie de tricheurs, l’économie française est à l’arrêt. Cet été ce sont les investissements étrangers qui ont été suspendus. À l’automne les entreprises ont commencé à mettre en place des plans sociaux et fermé des usines. Ces derniers jours les syndicats patronnaux et salariés (hors CGT, bien entendu), ont signé un appel d’alerte appellant à la responsabilité. Et bien entendu, les Agences de notation dégradent le crédit de la France, aiguisant les appétits des spéculateurs vautours, car si l’euro protège il oblige aussi à rembourser en vraie monnaie, de sorte que les taux pratiqués sont sans échappatoire.
Rien de tout cela n’a ému nos marionettes de la Chambre qui s’auto-persuadent de leur importance, s’enivrent de leur pouvoir d’obstruction et imaginent préparer leur avenir électoral dont ils jouiront sur les décombres d’une France ruinée. Ainsi, ils ont fait chuter le Gouvernement Barnier lui refusant le Budget de la Sécurité sociale et ne lui permettant même pas de présenter celui de l’Etat.
Ce n’est pas une première depuis que, Louis XVI réunissant les Etats Généraux en 1789 pour consentir à l’impôt, fonda le régime parlementaire français. L‘année 2025 commence sans Budget de l’Etat. Mais il est clair que cette fois l’on n’est pas dans le cas d’un simple retard technique. Il s’agit d’une réelle impossibilité politique, chaque parti étant prisonnier de ses promesses inconsidérées.
La solution de retourner devant les urnes pour trancher le nœud gordien n’est pas possible avant septembre, première date utile pour une nouvelle dissolution. L’hypothèse d’une démission immédiate du Président étant improbable et surtout dépourvue de solution pratique, l’Assemblée restant ce qu’elle est, elle ne répondrait en rien au problème de vote d’un Budget.
Se heurtant à cette réalité, comme une mouche contre une vitre, François Bayrou s’obstine à tenter de réunir une majorité introuvable pour voter un Budget, et à défaut il n’envisage que la solution du 49.3 qui a conduit à la démission forcée de son prédécesseur. Son destin est scellé.
Pour sauver le soldat Bayrou et avec lui la France, il faudrait ouvrir la fenêtre.
Que dit la Constitution à propos des finances publiques ?
L'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen affirme le principe du consentement de la Nation à l'impôt : « tous les citoyens ont le droit de constater par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».
Ces principes conduisent à confier au Gouvernement le soin de présenter un Budget détaillé, et aux Députés le soin de le voter après l’avoir le cas échéant amendé.
Jamais on n’a envisagé que l’Etat puisse cesser d’être financé. Le spectre du shutdown habituel aux Etats-Unis en cas de désaccord entre le Président et le Congrès ne fait pas partie des usages français.
Avant la Constitution de 1958, on utilisait le système des douzièmes provisoires, en cas de retard dans le vote des lois de finances. La plus souvent par manque d’organisation plus que par difficulté politique, de 1840 à 1914, le Budget a été voté 38 fois hors délais. Sous la IIIème République, en 44 années, le Budget a été voté 22 fois en retard. On utilisait alors la méthode du douzième provisoire, de mois en mois, le temps que la loi définitive soit votée.
La Cinquième République et la loi organique relative aux lois de finances encadrent plus strictement le vote des lois de finances et ont mis fin à la méthode du douzième provisoire qui est encore en vigueur pour l’Union Européenne selon l’article 52 du Règlement financier de l’Union.
Pour la France l’article 45 alinéa 3 de la Constitution dispose :
« Si la loi de finances de l'année ne peut être promulguée ni mise en application en vertu du premier alinéa de l'article 62 de la Constitution, le Gouvernement dépose immédiatement devant l'Assemblée nationale un projet de loi spéciale l'autorisant à continuer à percevoir les impôts existants jusqu'au vote de la loi de finances de l'année. Ce projet est discuté selon la procédure accélérée.
Après avoir reçu l'autorisation de continuer à percevoir les impôts soit par la promulgation de la première partie de la loi de finances de l'année, soit par la promulgation d'une loi spéciale, le Gouvernement prend des décrets ouvrant les crédits applicables aux seuls services votés. »
Et l’alinéa 5 :
« Les services votés, au sens du quatrième alinéa de l'article 47 de la Constitution, représentent le minimum de crédits que le Gouvernement juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics dans les conditions qui ont été approuvées l'année précédente par le Parlement. Ils ne peuvent excéder le montant des crédits ouverts par la dernière loi de finances de l'année. »
L’article 47 de la Constitution dispose également en son alinéa 4 : « Si la loi de finances fixant les ressources et les charges d'un exercice n'a pas été déposée en temps utile pour être promulguée avant le début de cet exercice, le Gouvernement demande d'urgence au Parlement l'autorisation de percevoir les impôts et ouvre par décret les crédits se rapportant aux services votés. ».
En cette fin décembre 2024, le Budget spécial à la Sécurité sociale pour 2025 présenté par Michel Barnier ayant été rejeté, il a dû démissionner et n’a pu présenter de Budget pour l’Etat. En conséquence, il ne peut être question de mettre oeuvre un Budget par ordonnance, ni pour l’Etat, ni pour la Sécurité sociale puisque celui-ci a été formellement rejeté.
Une loi spéciale a ainsi été votée sur demande du Gouvernement, démissionnaire par application des articles 45 et 47, l’autorisant à lever l’impôt.
Selon ce texte, l'exécutif pourra engager des dépenses par décret, mais devra se contenter du "minimum de crédits" qu'il "juge indispensable pour poursuivre l'exécution des services publics". Les députés ont également adopté un amendement pour introduire dans le texte les prélèvements sur les recettes de l'Etat au profit des collectivités.
Le consentement à l’impôt, oui, mais apparemment pas de blanc-seing pour les dépenses qui doivent être limitées aux indispensables pour le maintien des services publics. Ce système, non symétrique pour les recettes et les dépenses, n’est pas la reconduction du Budget 2024, comme on l’a entendu dire. Les impôts sont effectivement ceux de l’exercice précédent, mais pour les crédits, le Gouvernement doit procéder par décrets avec pour limite les montants de 2024, d’une part, et doit se borner à ceux qu’il « juge indispensables » pour la poursuite de l’exécution des services publics, d’autre part.
Ces dispositions d’urgence supposent que très vite, le Parlement procédera au vote d’un Budget. Mais dans la configuration politique d’aujourd’hui, rien n’est moins sûr.
Le citoyen français assiste éberlué à une comédie bouffonne où ses représentants se livrent à des débats et polémiques indignes. Cependant personne dans la rue. Il semble que, confusément les Français ont le sentiment que l’absence de Budget limite au strict nécessaire la dépense publique. En conséquence, ils acceptent, avec stoïcisme ou inconscience, les inconvénients de la situation inédite.
On ne saurait mieux dire que l’urgence est de revoir de fond en comble et une par une les dépenses de l’Etat.
Chaque décret que devra prendre le Gouvernement devra justifier de sa nécessité pour la continuité des services publics. Autant dire que les subventions aux associations, les aides au développement, les dotations diverses et variées à un millier d’agences dont la nécessité reste à prouver devront être justifiées. Et chaque décret sera susceptible de recours en annulation.
La reprise du contrôle des deniers publics ne concerne pas, comme on l’a trop souvent dit, la question des recettes, donc des impôts, mais elle est l’exigence d’une révision générale des dépenses. La situation d’avoir à justifier chaque dépense est plus crédible que celle qui consiste à en exclure.
Singulièrement, les collectivités locales échappent à cette défiance. Ainsi elles ont pu voter hier leur budget 2025. Les Français paraissent avoir plus confiance en leurs maires et conseils municipaux qu’en leur Gouvernement pour l’emploi des fonds publics.
Cette situation baroque est la conséquence du refus obstiné des dirigeants de remettre en question les dépenses. Sous le gouvernement de Barnier-le-bref on n’a entendu discourir exclusivement de la question des impôts et taxes, rien ou presque sur les économies.
La non-indexation des retraites et la diminution des dotations aux collectivités étaient certes des diminutions de dépenses, mais sans être accompagnées d’une révision des autres dépenses de l’Etat dont les Français ont le sentiment qu’elles sont loin d’être justifiées.
Au-delà des risques et de l’inconfort d’un défaut de Budget que les Français paraissent résignés à endurer, il faut retenir l’appel à une remise à plat des comptes publics pour lesquels la confiance est rompue. Le dérapage du déficit de cette année 2024 qui aura surpris Bercy, a contribué au soupçon d’une maison France non gérée où tout va à vau l’eau. A la tête de l’Etat, c’est Harpagon qu’il nous faut, et nous n’avons que des enfants prodigues.
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