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La France des obscurités

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 14 janv. 2023
  • 4 min de lecture

On a opposé la France de la fin du monde à celle des fins de mois, la France des écolos urbains à celle des ruraux des déserts de tous ordres, du médical au postier en passant par les orphelins du bistro. La France coupée en deux est une vieille rengaine que les sociologues et les politologues ont coutume d’entonner dès qu’il est question de décrire ce que l’historien Fernand Braudel appelait l’Identité de la France, qu’il regardait de manière beaucoup plus profonde et pénétrante, dans le mouvement séculaire de son éternité.


Certes, il n’est pas illégitime de catégoriser les groupes sociaux et leur conditions de vie, mais là où la raison dérape, c’est quand on envisage que cette différence est nécessairement un conflit dont l’un ou l’autre groupe devra sortir vaincu. Par exemple, il n’est pas absurde de constater qu‘il existe une France des riches et une autre des pauvres. L’erreur conceptuelle est de penser que le pays est le lieu où l’une des deux parties de la population l’emportera sur l’autre, et que leur coexistence n'est rien d'autre qu'un perpétuel combat de classes.


La pensée actuellement dominante chez les sociologues n‘est pas seulement fausse en ce qu’elle use d’un mode de raisonnement obsolète, celui de la dialectique du conflit, mais parce que cette approche induit une distorsion des éléments factuels qu’elle retient comme significatifs. Autrement dit, l'on voit ce que notre compréhension nous dit de voir.


Après Hegel dont Arthur Schopenhauer disait avec alacrité qu’il énonçait des mots en laissant au lecteur la tâche d’y mettre le sens, mais qui reste le concepteur d’une lecture du monde comme le lieu mouvant de l’opposition des contraires, la pensée généralement partagée a été celle du conflit.


Cette vision dynamique du réel a fait la fortune du marxisme dont la lutte des classes a été l’arme fatale d’une efficacité redoutable, mais aussi du darwinisme social et aussi du lysenkisme soviétique qui sans crainte du ridicule étendait au domaine scientifique cette vision à laquelle la réalité devait se conformer de gré ou de force.


La puissance de cette pensée a marqué le vingtième siècle et assuré la prégnance du Communisme, qui y a bâti une morale du combat des opprimés, les prolétaires, contre un capitalisme tyrannique. L’utopie communiste, car c’en était une, perdait de vue que l’alternative au capitalisme privé était un capitalisme d’Etat, impliquant une bureaucratie omnipotente, la dictature du prolétariat devenant celle d’un parti unique. La promesse de disparition de l’Etat n’était plus, dès lors, qu’une chimère sans avenir. Elle a néanmoins bousculé le monde, et assuré la puissance de l'URSS, jusqu’à la fin du siècle.


Ce n’est pas la dictature du prolétariat, mais l’évolution de l’économie industrielle vers une société de services qui a mis fin à l’exploitation des masses populaires. Ceux qui n’ont que leurs bras ont été relayés par l‘efficacité des machines. Dans les services, l’intellect des travailleurs est déterminant, mais dans l’industrie aussi, l’intervention humaine s’est intellectualisée. Ainsi la lutte des classes a été vidée de son sens, par le progrès technique et non par les conflits sociaux. Ceux-ci ont existé, mais ils n’ont pu être dépassés que par l’effet des avancées technologiques. Plus que Karl Marx, c’est Auguste Comte qui avait raison en ce qui concerne les progrès humains. Pour ce dernier, c’est par la science que passe tout progrès humain, et loin d’être fondée sur le conflit la vie sociale aspire à l’harmonie dont le maitre mot, qu’il a d’ailleurs été le premier à employer est l’altruisme.


Néanmoins, l’habitus marxiste, le réflexe de pensée, a perduré. Les sociologues transposent sur la société française d’aujourd’hui, de plus en plus diverse, les catégories d’analyse de la lutte des classes marxiste, à de nouvelles classes ethniques, économiques et culturelles, et induisent que ces différentes catégories sont forcément antagonistes, la société future devant surgir de la victoire des uns sur les autres.


La société française, comme toutes les autres, est diverse, Il est légitime de penser que la diversité est une richesse. Mais cela n’est vrai que dans un monde où les classes coopèrent. Si elles luttent, c’est le chaos assuré. Cette vision dialectique est celle qui, non seulement justifie la culture de la grève conçue comme un combat permanent, le travail n’étant qu’une trêve entre deux grèves, mais encore en définit l’objet, qui ne peut être autre que le Grand Soir.


L’harmonie sociale n’est pas le but de la politique néo-marxiste, elle en est l’ennemie dénoncée comme un opium qui anesthésie les capacités de lutte. Il n’est pas surprenant que les Wokes, déconstructeurs de la civilisation occidentale, aient adopté le mode de pensée marxiste, l‘objectif étant le même.


Cette réunion des négativismes ne promet rien de bon. Ses perspectives sont les décombres d‘une France qui n’ose plus revendiquer son identité, son Histoire, sa culture, sans être vouée aux Gémonies. La France que promettent les tenants du conflit social, culturel, religieux, bref à tous les étages, n’a aucun avenir, ou alors des plus sombres.


La vision pugilistique des relations sociales, le communautarisme sectaire, la dictature des minorités, la tyrannie moralisante, la radicalité religieuse, racialiste, féminisante, le nivellement par le bas de l'éducation telles sont les perspectives d'un nouvel obscurantisme.


Il y a eu la France des Lumières, il serait triste que l’on ait désormais celle des Obscurités.



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