La France à qui perd gagne
Le nombre fatidique de la majorité absolue dans une Assemblée nationale législative qui compte 577 sièges est de 289. Au jour de la dissolution du 9 juin 2024, le groupe macroniste comptait 250 députés, et pouvait constituer une majorité avec les LR qui étaient au nombre de 61.
Avant la dissolution, il était théoriquement possible pour le Président de constituer une majorité absolue en passant un accord de gouvernement avec les LR ; par contre une alliance avec les 31 socialistes non inclus dans la NUPES était insuffisante. A l’alliance avec Les Républicains, Emmanuel Macron a préféré une stratégie de majorités flottantes texte par texte, complétée par un débauchage de personnalités qui devait conduire à l’éclatement ce parti dont la poutre travaillait.
Sans dynamique politique autre que le caprice du prince, ce type de gouvernement opportuniste n’a pas été en mesure de convaincre la population française de son efficacité sur les questions essentielles de la sécurité, de l’immigration incontrôlée, de l’autorité de l’Etat, de l’enseignement… C’est à cet échec qu’il faut, en premier lieu, attribuer la spectaculaire progression du Rassemblement National aux élections européennes.
Le coup de trictrac de la dissolution n’a pas permis d’au pays de digérer ce que le Président a présenté comme le séisme qui a motivé sa décision éclair du 9 juin.
De fait, la liste Bardella est passée de 23 à 30 sièges soit une progression de 30 %. Transposée à l’Assemblée Nationale cela donnait au parti lepéniste 115 sièges. Or, il lui en est promis par les sondages, aujourd’hui bien plus du double. C’est là l’effet amplificateur du système électoral majoritaire à deux tours qui est voulu par la Constitution afin de favoriser l’émergence de majorités de gouvernement. Ce même effet ne peut qu’amplifier le mouvement de repli des macronistes presque divisés par deux le 9 juin, et qui pourrait être réduits à une centaine selon les projections des sondeurs.
Ainsi réduits à peau de chagrin, les partis soutenant le Président seront désormais largement minoritaires et dans l’incapacité de constituer une majorité, même relative en s’alliant avec quelque autre parti que ce soit.
Les LR, même s’ils résistent et obtiennent 60 sièges ou plus, seront trop peu nombreux. Mais ce qui est bien plus préoccupant, c’est que la brusque dissolution a provoqué la création réflexe d’une nouvelle NUPES, au sein de laquelle sont absorbés pratiquement tous les socialistes désormais liés par un programme commun avec LFI. Autant dire qu’il leur sera impossible sans renier leur signature de se rapprocher des partis présidentiels.
Le Président de la République ne pouvait ignorer ce mécanisme, et, étant exclu qu’il espérât renverser en un mois l’opinion qui n’est rien d’autre qu’un jugement sur son action, il faut admettre que c’est délibérément qu’il a choisi de froidement « tuer » sa majorité, comme le lui a reproché le chef du parti Horizons, Edouard Philippe.
Passer la main. Telle est la décision de clarification d’Emmanuel Macron. Son scénario est inspiré de la cohabitation Mitterrand/Chirac de 1986 à 1988, qui se conclut à l’avantage du premier réélu en 1988. On peut aussi penser à la manière dont François Mitterrand a « séché » Michel Rocard, en l’appelant à Matignon. « J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer », écrit Jean Racine dans Britanicus.
Ainsi, c’est pour cohabiter qu’Emmanuel Macron a trucidé son camp. Il ne s’agit pas pour lui de gagner l’élection de 2027 qui lui est interdite, mais de sauver la fin de son mandat.
Jusqu’à aujourd’hui, il a réglé toutes les crises en signant des chèques. Gilets jaunes, Covid, inflation… C’était le temps béni du « quoi qu’il en coûte ». Hélas, une augmentation de 1000 milliards d’euros (50%) de la dette publique en sept ans ne pouvait rester sans conséquences.
Le chéquier magique lui a été retiré, non par l’Union européenne qui est bonne fille et se contente de faire les gros yeux, mais par les marchés financiers. La dégradation de la cote de solvabilité de la France va entraîner le pays de plus en plus vite sur la pente des débiteurs faillis. Son Gouvernement étant incapable de trouver ne serait-ce que 20 milliards d’économies, l’ancien banquier qu’il est a choisi la solution la moins inélégante : passer la main.
D’autres assumeront la banqueroute. La Gauche, si elle a la majorité, a déjà prévu de « cramer la caisse », c’est d’ailleurs la stratégie de Mélenchon pour qui une dette ne se rembourse pas, elle s’efface d’un trait de plume. C’est la théorie de l’ardoise magique qui est le prélude à une prise de pouvoir autoritaire, car seuls les dictateurs peuvent se permettre d’ignorer leurs créanciers.
La victime choisie par le Président pour assumer la catastrophe est plus clairement le Rassemblement National. Si, par chance, ce parti normalisé, parvenait à obtenir la majorité absolue, Jordan Bardella ne pourrait refuser le poste de Premier ministre.
On pourra mettre tous les malheurs de la France sur son inexpérience, son jeune âge, et la démagogie des promesses de son parti.
L’enfer de Matignon aura raison du Premier ministre Tik-tok en un an, et une nouvelle dissolution pourra redonner la main au locataire de l’Elysée, terminant son mandat en apothéose.
Moins stupide qu’on le dit, la dissolution fait cependant de terrifiants dégâts collatéraux qui révèlent un cynisme dont Emmanuel Macron ne sera pas si facilement lavé. La politique n’est pas un jeu de Monopoly. Derrière les calculs machiavéliques, il y a des êtres vivants. Ceux qui exercent le pouvoir suprême ont tendance à l’oublier.
Bien malgré eux, les Juifs se sont trouvés un enjeu au cœur de la campagne des législatives 2024. Cela n’était jamais arrivé, et ce fait est profondément malsain, et pas seulement parce qu’ils sont contraints de se réfugier sous la protection de l’extrême droite, ne comptant ailleurs que des ennemis ou des incapables de leur procurer la protection que leur doit la République. C’est, en effet, désormais une plaie ouverte dans l’unité nationale, et l’honneur de la France, car l’antisémitisme est une bête immonde que l’on ne réveille pas impunément. Sa résurgence est, souvent, le prélude à une rupture de régime.
Demain, se trouveront en face-à-face à l’Assemblée deux blocs extrêmes dont le projet est autocratique. C’est l’évidence pour les LFI qui assument la stratégie du chaos. C’est annoncé pour le Rassemblement National puisqu’il est, dit-on, un parti « fasciste ».
Le piège tendu par Emmanuel Macron parait une mécanique inexorable, il pourrait cependant échouer.
Parvenu aux responsabilité, Jordan Bardella pourrait bien se révéler responsable, et peut-être plus que les présumés si « raisonnables » de la Macronie, qui ont montré leur inefficacité. Rien ne dit qu’il ne saura pas faire franchir à ses troupes le dernier stade de la normalisation. Il en a déjà donné des indices en subordonnant ses réformes à un audit financier. Sur le plan sécuritaire, il n’aura pas la main qui tremble. La fermeture selective des frontières est moins impossible qu’on le dit. Quant au sacrifice de ce pouvoir d’achat toxique distribué par l’Etat, il pourrait compter sur le rétablissement d’une certaine fierté identitaire nationale pour le faire oublier. La sédition et l’agitation de la rue, enfin, que pourraient agiter les trotskistes de LFI, ne feraient que justifier une fermeté pour le rétablissement de l’ordre et son maintien.
La martingale de Macron, pourrait aussi s’enrayer si, comme on peut à ce jour le prévoir, il ne se dégage aucune majorité absolue, et que la France n’étant plus gouvernée, l’opinion réclame d’urgence une élection présidentielle. Qui sauvera alors le soldat Macron ?
La politique de la France est entrée dans un jeu de qui perd gagne, où l’on frôle les abîmes. Cela survient au plus mauvais moment, mais y a-t-il un bon moment pour se précipiter dans le vide quand on n’est pas un oiseau ?
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