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La machine à démonter le temps

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 14 août 2024
  • 3 min de lecture




La référence à des situations passées est une des figures classiques, sinon la plus fréquente, de la réthorique politique. Pourtant chacun sait que l’Histoire ne se répète pas, et si les mêmes causes produisent naturellement les mêmes effets, les circonstances et les événements ne sont jamais assez identiques pour que l’exercice soit probant. Que de fois n’invoque-t-on pas Munich pour dénoncer la reculade devant un dictateur belliqueux ! Qui n’a jamais appelé le nazisme ou le fascisme au secours d’une condamnation d’un adversaire politique ?


Certes, la culture générale de nos contemporains a tendance à s’étioler, aussi il est plus rare d’entendre citer les grands exemples de la Rome antique ou de la Grèce, sauf, pour cette dernière, l’évocation d’Athènes berceau d’une démocratie en réalité bien éloignée de celle qui est notre idéal égalitaire d’aujourd’hui. Même l’Histoire de France et ses dates majeures ne rappellent plus grand chose à plus d’un. Mais cet appauvrissement ne fait pas obstacle à ce besoin compulsif de s’inspirer ou de se prévaloir des leçons de l’Histoire, quitte à les déformer ou les trahir.


Ce bouturage du passé sur le présent se retrouve dans les noms que s’attribuent des partis tels que Renaissance, Reconquête, ou nouveau Front populaire. Au delà des calculs de leurs promoteurs, ces choix sont porteurs de significations hasardeuses, qui révèlent la vacuité de pensée de ceux qui les empruntent.


Cet appel à l’imaginaire profond, pour qu’artificiel qu’il soit, a des résonances qui renvoient à des périodes de l’Histoire différentes pour chaque parti.


Le verdict des Français pour les scrutins des 30 juin et 7 juillet 2024 se résume en quelque manière à opter pour la Renaissance, le Moyen Âge  ou la Révolution, voire la Reconquête. Deux partis sont des labels à lecture directe. Mais, l’on aura reconnu le Révolutionnaire LFI Mélenchon, et, dans la posture résolument moyenâgeuse, le Rassemblement National. Et le parti gaulliste dans tout cela ? Invoqué par tous, De Gaulle appartient à tout le monde et de fait à plus personne. Les LR font penser aux demi-soldes qui sous la Restauration continuaient à rêver à leur grand homme, traînant leurs guêtres et leurs sabres de bois dans la nostalgie d’un Empire révolu. La France éternelle dont leur parlait le Général, ils l’ont laissée tomber, pourrait chanter Michel Sardou.


A priori, la Renaissance a eu des charmes incomparables, mais elle a porté en elle les atrocités des guerres de religion, c’est un peu Macron qui prêche l’ouverture et la nouveauté, mais produit après sept ans de règne  une France qu’il affirme, lui-même, au bord de la guerre civile.


La Révolution promettait beaucoup, mais a sombré dans la Terreur, on y reconnaît l’ombre grimaçante de Mélenchon. Quant au Moyen Âge, c’est le risque du retour aux temps obscurs, qui est accolé à l’extrême droite.


Macron, surjoue Le Prince de Machiavel, Mélenchon se croit Robespierre, et Le Pen endosse le costume de Mahaut d’Artois, version romancée des Rois Mauditsde Maurice Druon, se campant en héritière légitime de la terre de France. On s’attendait avant le second tour des législatives, tôt ou tard, à voir Bardella, en Robert d’Artois, disputer l’héritage à sa tante “Mahaut”. On ne parle pas de Reconquête qui renvoie Zemmour à Charles Martel, voire à la Reconquista espagnole. En prêtant l’oreille on peut entendre gémir les grognards du gaullisme que personne n’écoute, il y a eu Waterloo quand Valerie Pécresse a fait moins de 5% en 2022.


Dans la ruée vers les urnes à laquelle la consultation législative 2024 donne lieu, il faut sans doute voir l’empreinte de ces réminiscences historiques.


Contre Macron et son parti Renaissance, se manifeste le refus que le pays se perde dans une guerre des religions où la poussent les Islamo-gauchistes, et que le Président s’est révélé incapable de conjurer.


Contre Mélenchon, Jean-Luc le hideux, on perçoit outre la crainte d’assister au retour des politiques anti-juives, celui du radicalisme robespieriste revisité façon vénézuélienne.


On a beau dire enfin que le Moyen Âge n’était pas si sombre, les Français renâclent à y revenir car malgré leurs défauts la Renaissance et la Révolution ont eu des charmes auxquels ils ne souhaitent pas renoncer. La Renaissance apportait l’Humanisme, et la Révolution l’égalité citoyenne. Mais ces correspondances ont leur limites, Macron malgré son ambition d’inaugurer un monde nouveau, n’incarne pas vraiment la Renaissance, et Mélenchon ne représente de la Révolution que le plus détestable. Ce sont au mieux des ersatz, sans lesquels la vie serait dans notre douce France sans doute plus agréable.


Au fond, parce qu’ils comportent toujours une part de vrai et une autre d’artificiel, les parallèles historiques sont plus une machine à démonter le temps qu’à le remonter.



 
 
 

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