La politique du rahat-loukoum
- André Touboul
- 30 déc. 2022
- 7 min de lecture

Cette année 2022 aura été celle de la guerre qui éclate ici et qui menace là-bas. Qu’il était doux de croire à la paix et d’encaisser ses dividendes ! Mais quelle mouche les a piqués ?
Le choc des civilisations, tel est, qu’on le veuille ou non, la toile de fond de l’Histoire qui revient s’essuyer les pieds sur nos rêves de jours heureux.
La crise financière de 2008, la pandémie covid, n’étaient que des amuse-bouche. La guerre c’est autre chose. On y frôle les précipices. La génération-extinction qui redoute la hausse de quelques degrés du climat, risque fort d’être dépassée par les réalités d’une conflagration nucléaire. Mais pourquoi ?
On peut invoquer de multiples causes, mais le plus profond séisme que connaît l’espèce humaine est celui de sa propre structure dont l’épine dorsale est depuis des millénaires le patriarcat. Un tel bouleversement ne peut se produire sans que s’affrontent les Mondes.
Cahin-caha, l’Occident a adopté et met en œuvre le principe d’égalité de l’homme et de la femme. Cela ne se fait pas sans difficultés. D’ordre pratique, car les deux sexes sont assez différenciés par la nature. Mais aussi, d’ordre culturel. Dans le rejet de l’Occident qui sous-tend le délire de Vladimir Poutine, il y a la volonté de s’arc-bouter sur le maintien du système patriarcal et de stigmatiser les dérives (parfois excessives, il faut l’avouer) de ce que l’on nomme féminisme, mais qui n’est qu’égalité des droits de tous les individus.
Dans ce contexte, les meilleurs alliés de Poutine, pour qui la force prime le droit, sont les « exagérés », les wokes qui caricaturent la civilisation occidentale. Et aussi ceux qui la trahissent. Parmi eux, Adrien Quatennens est un exemple très significatif. Il prouve, aux yeux de certains, que même chez ceux qui militent pour l’égalité, le naturel revient au galop.
Beaucoup de bruit pour peu ? L’affaire est mince dira-t-ton. Mais non, Quatennens, c’est grave ! Plus que les machos assumés qui roulent des mécaniques et comme le butor Donald Trump qui se vante de « saisir les femmes par la chatte », Adrien Quatennens cause un tort considérable à la cause de l’harmonie générale de la société moderne. Il la nie en ce qu’elle est fondée sur le principe d’égalité entre les hommes et les femmes, ce qui évidemment proscrit l’usage de la force dans leurs relations.
Un combat juste ne se juge pas dans les thèses opposées. Le risque est jeter le bébé avec l'eau du bain. On sait où est le bien et le mal, sans hésitation. Là dessus, il y a consensus. La difficulté est dans les marges. Jusqu’où aller pour mettre fin à une situation non satisfaisante. Comment établir un équilibre sinon souhaité par tous, en tous cas contesté par personne, même ceux qui dans les faits le rejettent ?
Il y a forcément des dégâts collatéraux disent les uns. Par exemple, pour rendre audible la parole des femmes battues ou violées, il faut « oublier » la présomption d’innocence, et même le primat absolu du droit de chacun de se défendre contre les accusations. D’autres, les plus sensés, diront que le devoir d’écoute était méconnu, et qu’il suffit pour rétablir l’équité de s’y conformer. Ensuite, c’est à la Justice de séparer le bon grain de l’ivraie.
L’image du balancier qui dépasse le point d’équilibre est classique, mais fausse. Il n’est nullement fatal de se devoir livrer à une injustice pour en réparer une autre. Entre l’impunité et la culpabilité présumée, il y a un chemin qui est justement celui de la Justice, qui n’est elle-même respectable que par les garanties qu’elle offre à tous et à chacun.
Si l’affaire Quatennens est terrible, ce n’est pas parce que ce jeune homme est un tartuffe. Faites comme je dis, mais pas comme je fais, cela n’est pas nouveau chez les politiques. La toxicité est dans le fait que l’on peut croire effacer un comportement inacceptable en minimisant la transgression. Une gifle, la belle affaire ! Dit en substance Mélenchon, comme Poutine minimise en parlant d’opération spéciale. Mais la violence dans les rapports conjugaux ou entre les nations, est inacceptable.
L’intéressé croyait lui-même qu’en l’avouant, il s’en sortirait. Grave erreur, car plus que sa compagne, c’est un principe qu’il a violenté, et les principes ont ceci de particulier qu’ils ne sont pas à géométrie variable.
Le sieur Mélenchon, quant à lui, n’ignore rien de cela, il ne prend pas la défense de son protégé parce qu’il est resté un « homme du passé », comme le dit pour l’excuser (ou l’exécuter) Mme Ernaux, cette auteur qui a trouvé son Nobel dans une pochette-surprise. Il pense au contraire protéger son futur. Il adresse un signal à une partie de sa clientèle. Dans les cités et les quartiers dits difficiles, les frères corrigent leurs sœurs, les pères leurs filles, et la gifle va plutôt par paire. Le leader maximo de l’Islamo-gauchisme sait fort bien que puiser dans ce réservoir de vote ne le conduira jamais sur l’Olympe républicain, mais cela lui assure un fond de commerce qui le rend indéboulonnable.
Nonobstant, gifler n’est pas jouer. C’est d’ailleurs valable dans les deux sens. Une femme n’est fondée à gifler un homme qu’en cas de légitime défense.
La gifle peut avoir deux sens. Cela peut être une correction, qui aime bien châtie bien, ou le désir de faire mal, c’est-à-dire de punir, mais dans les deux cas, c’est une agression. En toute hypothèse, la vie conjugale et plus généralement la vie en société exclut l’agression. Le tyran domestique est haïssable. Qu’il soit homme ou femme. L’individu violent est proscrit, il est ce que le professeur de philosophie californien Aaron James définit dans une théorie célèbre comme un « asshole ».
Dans un couple, comme dans la société, chacun doit trouver sa zone de confort. Celle-ci correspond à sa nature. Mais si la nature est contrainte par la violence physique ou idéologique, le rôle de chacun n’est plus naturel mais injuste.
La guerre de Poutine a montré que la survie de notre civilisation ne peut se passer sauf à disparaitre des valeurs viriles. Sans elles l’Ukraine aurait disparu, écrasée par les hordes barbares venues du nord-est. Déconstruits selon Mme Rousseau, les Ukrainiens qui ont mis leurs femmes et leurs enfant à l’abri pour se battre jusqu’à la mort, se seraient enfuis. L’Europe aurait été submergée de réfugiés avant de s’effondrer à son tour. Bien sûr, les femmes ont la force de caractère nécessaire pour déclarer ou soutenir la guerre, mais ce sont toujours dans leur immense majorité les hommes qui y vont se faire tuer. L’égalité des droits est compatible avec les différences naturelles. C’est même à leur combinaison harmonieuse qu’elle sert.
C’est pourquoi vouloir comme Sandrine Rousseau assigner un comportement aux hommes et aux femmes, en créant (par exemple) un délit de non accomplissement des tâches ménagères, est une sottise de mère Fouettarde. Mais considérer comme Mélenchon qu’une gifle est un pêché véniel, est tout aussi inacceptable. Aucun des deux conjoints ne peut s’autoriser à « corriger » ou « punir » l’autre.
Très justement, Adrien Quatennens, desservi par son look plus IIIème Reich que babacool, a été condamné par la Justice qui a proportionné la peine à l’intensité de l’action. Mais sur le plan moral, ce que révèle la gifle est une mentalité de propriétaire ou de supérieur.
Schopenhauer l’a très justement observé : « Parmi les choses que l’on possède, je n’ai pas compté femme et enfants, car on est plutôt possédé par eux. On pourrait avec plus de raison y comprendre les amis ; mais ici également le propriétaire doit, dans la même mesure, être aussi la propriété de l’autre ».
On dira que comparé à celui des Afghanes ou des Iraniennes ou encore de tant d’autres femmes de par le monde, la femme occidentale n’a pas à se plaindre. Cela procède de la même erreur que de dire qu’une gifle est peu de chose. L’égalité des individus devant la loi ne se divise pas.
L’inconséquence de ceux ou celles qui minimisent l’importance du voile en Europe, en le ramenant à une mode vestimentaire ou en lui conférant une portée religieuse, est confondante. Le voile est une violence, il est politique. Le régime des Mollahs est arcbouté sur ce symbole, car c’est une instrument de domination politique, non seulement sur les femmes, mais aussi sur les hommes. Il ne s’agit pas seulement du patriarcat, mais de l’obéissance. La plus tyrannique des autorités est celle qui est exercée au nom de Dieu. Elle n’a pas à se justifier. A elle tout est permis. La vie, la mort, aucun espace de liberté n’est octroyé à l’individu. En donnant, au nom de Dieu, autorité à l’homme sur la femme, le clergé justifie sa propre tyrannie.
La théocratie n’existe pas, Dieu n’a jamais exercé le pouvoir dans aucun Etat, ce sont les prêtres qui le font en s’arrogeant le droit de parler pour lui. Quand les Iraniens se rendront compte qu’ils sont les dindons de la farce, ils remettront les enturbannés à leur place. Déjà certains jeunes, qui dans les rues de Téhéran jouent à faire sauter par surprise le turban de Mollahs et en diffusent la scène sur les réseaux sociaux, semblent avoir compris qui était leur ennemi.
Pour faire plier le régime, les Iraniennes seraient bien inspirées de suivre l’exemple de Lysistrata. Cette héroïne de la pièce éponyme d’Aristophane, lasse de l’obstination des Athéniens et des Spartiates à se faire une guerre incessante, convainquit les femmes grecques de déclencher et de poursuivre une grève du sexe, jusqu'à ce que les hommes reviennent à la raison et cessent le combat.
Nul doute qu’un tel mouvement, non-violent, aimable mais déterminé, serait moins risqué que de s’affronter à la répression policière, et serait de nature à persuader les Iraniens qu’il est urgent de faire comprendre à leurs dirigeants qu’ils convient d’abandonner leur intransigeance sur le voile. Tout le reste suivra, car l’égalité est comme le rahat-loukoum, quand on commence à en manger, l’on ne peut plus s’arrêter.
Si l’Iran venait à basculer dans le camp du progrès, la face du Monde en serait changée.
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