La poule et l’œuf
- André Touboul
- 12 nov. 2022
- 5 min de lecture

L’affaire des migrants de l’Ocean Viking est une tempête dans un verre d’eau. C’est un événement minuscule comme on aime en France se saisir pour agiter de grands principes, et s’étriper, en paroles, sur le champ clos de la politique dite politicienne. Le sort des 234 passagers du navire de croisière pour l’Europe, si décriée mais tant recherchée, est sans commune mesure avec les remous créés dans les médias.
Sa gestion est disproportionnée avec l’importance du problème migratoire pour lequel on ne fait rien de concret. On fait aussi bon marché de la nécessité des bonnes relations entre la France et l’Italie, qui sont d’autant plus vitales que le fameux couple Franco-Allemand bat singulièrement de l’aile. Par dessus les Alpes, les noms d’oiseaux ont volé. Much ado about nothing aurait dit Shakespeare. Beaucoup de bruit pour rien, ou si peu. Mais justement, la minceur de l’enjeu particulier permet de donner libre cours aux pensées les plus violentes, sachant que le réalisme les fera oublier quand l’actualité passera à autre chose.
Ainsi l’on s’interroge sur le bien et le mal. Le mal serait évidement de refuser tout secours à des naufragés. Mais les accueillir comme immigrants régularisés par le jeu de l’émotion compassionnelle, alors que les conditions de l’accueil décent ne sont pas réunies, n’est cependant pas bien agir. On peut douter aussi de la valeur morale de l’argument qui consiste à faire un choix entre les migrants au gré des besoins de main d’œuvre. Et que répondre à ceux qui, comme les Italiens, les Grecs, les Espagnols, ou encore les Hongrois, refusent des règles qui dans les faits leur font porter toute la charge de la bonne conscience européenne.
Beaucoup convoquent les grandes questions : celle de l’insécurité à laquelle l’immigration incontrôlée est liée, une vérité que l’on a dénié trop longtemps, celle de l’intégration difficile pour ne pas dire impossible au delà d’un nombre modéré de nouveaux arrivants, avec en toile de fond la hantise du remplacement que l’on décrit parfois comme une inquiétude identitaire face aux milliards de migrants que promet l’explosion démographique en Afrique.
En fait, l’affaire des nouveaux boat people est bien plus, si l’on peut dire, terre-à-terre, et moins insoluble qu’on le prétend. Il s’agit d’un trafic criminel qui ne pourrait avoir lieu sans les passeurs, de cette évidence chacun convient. Ceux-ci opèrent dans des pays où les autorités sont : soit inexistantes, soit déficientes, soit complices, car soumises à une pression démographique d’arrivants qu’elles ne peuvent pas intégrer, pas plus que ne peut le faire l’Europe. Mais, incapables d’assurer l’acheminement jusqu’aux côte européennes, les passeurs ne pourraient rien sans les ONG dites humanitaires qui leur servent de relais.
La problématique des bateaux de sauveteurs et des passeurs est celle de la poule et de l’œuf. Ce n’est pas tant de savoir qui a commencé qui importe, ce qu’il faut comprendre c’est qui est la cause de l’autre. La vraie question à trancher est celle de la sécurité en mer. Le sauvetage des embarcations en détresse doit-il être une affaire privée ou un service public. En France, l’Etat s’est déchargé de cette mission sur une entité privée la SNSM. Malgré son nom la Société Nationale de Sauvetage en Mer, est une association, certes d’utilité publique, mais de droit privé, vivant de cotisations , dons et de maigres subventions publiques (23%). Ses membres navigants sont des bénévoles. Le domaine d’intervention de la SNSM qui intervient sur demande des CROSS, Administration publique pure et dure, est limité à la protection de la vie le long des côtes. Mission dont elle s’acquitte gratuitement. Malgré plus de 7000 personnes secourues par an, on déplore environ 400 morts en mer chaque année. La mer est un espace de liberté, mais un milieu hostile.
On peut trouver choquant que l’Etat se défausse sur le privé de son obligation de sécurité maritime dans ses eaux territoriales, mais c’est un fait que certains justifient pas le fait que les navigateurs prennent des risques qu’ils doivent assumer. De temps à autre la Marine Nationale se mobilise pour secourir au large un plaisancier sportif, professionnel ou amateur, mais c’est là en vertu d’un devoir que tous les gens de mer considèrent comme impératif, mais le sauvetage en haute mer n’est pas une mission spécifique de notre Marine.
Il y a donc un créneau pour des initiatives privées qui au nom de bons sentiments se spécialisent dans la récupération de naufragés volontaires. Car il s’agit bien de cela. Les pauvres gens qui embarquent dans des bateaux pourris ou sous-dimensionnés savent pertinemment, bien qu’ils aient payé leur place à prix d’or, bien plus cher qu’une croisière sur le Ponant, qu’ils devront être secourus pour parvenir à bon port.
Les passeurs sont des gangsters cyniques, mais ni idiots, ni assassins. Ils savent que si leurs embarcations coulent et que leurs « clients » périssent trop souvent en mer, leur trafic périclitera. Il est donc impératif qu’ils s’assurent que les ONG prendront le relais. Bien qu’elles s’en défendent ces dernières sont informées et participent en toute connaissance de cause à cette nouvelle traite de travailleurs africains. La traite négrière a fini par être considérée comme un crime. Aujourd’hui, on encense ceux qui y prêtent la main en les drapant du beau mot d’humanitaires.
La Justice des pays concernés, tant en France qu’en Italie, en Espagne ou en Grèce, considère qu’elle ne peut les incriminer faute de preuve d’un concert frauduleux. La concertation est pourtant évidente, et aussi nécessaire que celle qui unit la poule et l’œuf. Ce ne peut être par hasard que les navires sauveteurs se trouvent sur le chemin des naufragés en puissance.
Rompre ce cercle vicieux ne peut se faire en refusant d’accueillir les personnes secourues, quite à les renvoyer ensuite et si possible dans leur pays de départ. Le moyen le plus radical de sortir de ce piège est de mettre fin au trafic des navires pseudo-humanitaires sans lesquels les traversées illégales n’auraient pas lieu. Il suffirait pour cela de saisir les navires comme l’Ocean Viking pendant le temps de l’enquête destinée à déterminer leur implication dans la traite d’êtres humains, et que cette investigation dure le temps nécessaire. Notre Justice est assez compétente pour ce qui est de prendre son temps.
Bien entendu, le secours aux navires en détresse ne peut être abandonné sans dommage aux initiatives privées ; il est impératif que les marines nationales européennes s’en chargent avec les garanties qu’elles offrent de ne pas se laisser manipuler par des passeurs sans scrupules. C’est d’ailleurs la mission de Frontex, Agence européenne de grade-frontière et de garde-côtes. Contrairement à ce qu’elles prétendent les ONG ne sont pas indispensables, on peut même dire qu’en l’espèce elles sont nuisibles, car leurs interventions sont ambiguës. On peut s’étonner que l’association SOS Méditerranée propriétaire de l’Ocean Viking soit pour partie (10%) financée par des collectivités publiques françaises ; on en compte 79 en 2022, que l’on n’entend pas beaucoup pour l’accueil des personnes que son navire a prises à son bord.
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