La République des Tartuffe
- André Touboul
- 29 janv. 2022
- 6 min de lecture

De toutes parts on s’étonne de ce que la Gauche française soit en capilotade et que parallèlement l’opinion se tourne vers une droite qu’il ne suffit plus de qualifier d’extrême pour la disqualifier. Ce double phénomène, dont le lien causal réciproque n’est pas évident, interpelle d’autant plus que dans plusieurs autres pays d’Europe, c’est au contraire la Gauche qui a le vent en poupe. Encore une fois, les Gaulois seraient-ils réfractaires ?
Ce constat plonge les uns dans la stupeur, les autres dans une sorte de ravissement délicieux ; ils le suçotent en bouche comme une gourmandise que l’on attendait plus. Certains vont même jusqu’à s’offrir le luxe de feindre de regretter ce naufrage de l’équipe adverse, allant gémissant qu’une Gauche forte est indispensable à la démocratie.
D’explication à ce séisme, il n’en est point. On dit que la Gauche n’a rien à dire, mais l’on ne nous dit pas pourquoi. Les intellectuels de gauche, il y a peu encore si fiers de l’être jusqu’à l’arrogance, semblent devenus muets par l’effet d’un sort funeste qu'aurait jeté une méchante sorcière.
Prenant du recul, certains pointent du doigt la déliquescence du système des partis, mais c’est s’arrêter à un épiphénomène. Il est vrai, que partout dans le monde, les institutions, et plus précisément les corps intermédiaires dont au premier chef les partis politiques et les syndicats, lieux de rencontre entre les vrais gens, pâtissent d’une concurrence avec le monde virtuel d’internet. Ce mouvement indéniable, qui tend à isoler l’individu au prétexte de le libérer, mais pour le contrôler mieux en l’enchaînant à des algorithmes, n’explique pas pourquoi la Gauche française explose façon puzzle et non pas la Droite.
On objectera sans doute que, la Droite aussi est éclatée en trois morceaux se répartissant le gâteau électoral de Le Pen à Pécresse en passant par Zemmour. Mais c’est là un effet de trop plein, résultant d’une impatience populaire, alors que la multiplication des candidatures de gauche fait plutôt penser au silence des agneaux attendant l’abattoir.
La cause de la déroute de la Gauche lui est spécifique. Avant d’être politique, elle est idéologique. Les méchantes langues prétendront que la Droite n'ayant pas d'idéologie, elle est à l'abri de cette calamité. Il est vrai que c'est l'idéologie de gauche qui a dominé en France depuis la Libération.
Catherine Nay écrit dans son dernier ouvrage que la Gauche et le Droite sont des épiciers qui se fournissent chez le même grossiste. Elle ne le dit pas, mais il est sous-entendu, que ce grossiste est de gauche. Ce temps est révolu. Les sujets tabous d’hier comme l’immigration, ou la compatibilité d’un Islam rigoureux avec la République sont devenus les totems de l’opinion. C'est à dire des objets d'importance majeure, sur lesquels il faut parler vrai, et les tartufferies sont mal supportées.
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir,
par de pareils objets les âmes sont blessées,
et cela fait venir de coupables pensées », professait Tartuffe. Par une même hypocrisie, Christiane Taubira, détournait le regard de la traite négrière arabe, pour, disait-elle, ne pas stigmatiser les musulmans. Mais, aujourd'hui, les vérités qui ne sont pas bonnes à dire sont précisément celles qui intéressent les Français, car elles intéressent leurs quotidien.
Au bout du déni de réalité, c'est, en politique, la disqualification. Désormais, le pays réel a rattrapé la France fictive, où l’insécurité était un sentiment, et le déclassement une fable de déclinologues, sinon de collapsophones.
N’ayant aucune solution à proposer à des problèmes qu’elle disait inexistants, et ne pouvant s'adresser qu'à un peuple imaginaire, la Gauche est frappée d’aphasie sur le champ du débat électoral. Elle n’a cependant pas abdiqué de son magistère moral. La Gauche française n’a rien à dire au peuple français qui puisse l’intéresser pour construire l'avenir ? Qu’à cela ne tienne, il lui reste un bel avenir dans la déconstruction, en exploitant le champ de l’imprécation moralisatrice.
A cet effet, la méthode de Tartuffe n’a pas pris une ride.
« Un rien presque suffit pour le scandaliser, Jusque-là qu’il se vint l’autre jour accuser D’avoir pris une puce en faisant sa prière,
Et de l’avoir tuée avec trop de colère. », s’extasie Orgon, à l’acte I, avant de se rendre à l’évidence, au dernier acte, « vous épousiez ma fille et convoitiez ma femme », et d’être effaré quand il veut chasser l’imposteur : « C’est à vous d’en sortir, vous qui parlez en maître. La maison m’appartient, je le ferai connaître, » lui répond Tartuffe.
Le dernier carré de la Gauche applique cette stratégie. Tartuffe utilise l’autorité de la religion pour clore le bec des contradicteurs qui sinon parleraient contre Dieu. C’était le woke du Grand Siècle. Aujourd’hui au nom de grands principes qu’ils dévoient, tel Tartuffe la religion, ses émules prétendent interdire de parole tous ceux qui pourraient perturber leur emprise sur le peuple et remettre en cause leur accaparement du pouvoir moral. Ce sera, à terme, ils l’espèrent, l’antichambre du pouvoir politique, par lequel ils règneront sur les décombres d'une société purifiée.
Relisons Tartuffe :
« S’il le faut écouter, et croire à ses maximes,
On ne peut faire rien, qu’on ne fasse des crimes ; Car il contrôle tout, ce critique zélé »
Déclare Dorine. On n’en peut dire moins de nos donneurs de leçons qui veulent déboulonner tout, et comme Mélenchon, redécapiter Louis XVI, tout rectifier, tout contrôler ; toujours au nom des « principes ». D’indiscutables principes dévoyés, hier la religion, aujourd’hui le féminisme, l’antiracisme, l’anti-islamophobie, la République…
« Croiriez-vous obliger tout le monde à se taire ? », dit Cléante à Dame Pernelle, mère d’Orgon et comme lui sous l’emprise de l'imposteur. C’est la même prétention de censurer que l’on retrouve de nos jours.
Dorine, encore :
« Ceux de qui la conduite offre le plus à rire
Sont toujours sur autrui les premiers à médire ».
Ainsi font ceux qui racialisent tout au nom de l’antiracisme, et ceux qui genrisent jusqu’à la langue, pour abolir le sexisme.
« Les bons et vrais dévots, qu’on doit suivre à la trace,
Ne sont pas ceux aussi qui font tant de grimace».
L'on en dirait autant de ceux qui à notre époque se parent des vertus de « l’inclusion » et de la « diversité », pour faire prospérer leur commerce. En effet, ce sont souvent les entreprises marchandes qui s’emparent d’un vocabulaire à la mode pour les besoins de leur négoce et en propagent de stupides clichés.
Ecoutons Molière :
« Ces gens qui, par une âme à l’intérêt soumise, Font de dévotion métier et marchandise, Et veulent acheter crédit et dignités À prix de faux clins d’yeux et d’élans affectés ; Ces gens, dis-je, qu’on voit, d’une ardeur non commune,
Par le chemin du ciel courir à leur fortune. »
Se donner une image à la mode est une stratégie de vente. On le relève souvent, sous le nom de green washing, pour les sociétés commerciales qui se verdissent pour se concilier le chaland, mais n’en continuent pas moins leurs industries polluantes et climato-toxiques. Le personnel politique ne fait pas autre chose.
De même qu’Orgon est prêt à donner sa fille à Tartuffe, les bien-pensants d’aujourd’hui sont disposés à remettre les clés de la société aux tenants de la cancel culture, dont les bons sentiments affichés les aveuglent. Ainsi, dans l’Université et à sciences Po on permettra tout aux activistes woke, et notamment on les autorise à harceler, censurer, et canceler les enseignants qu’ils jugent non conformes à leurs dogmes. Bientôt, tous les enseignants seront contraints de se soumettre à la pensée unique, ou se démettre.
Dans cette nouvelle élite de faux dévots, les activistes ont pour projet de prendre le pouvoir par la force des principes dont ils se sont déclarés les dépositaires, mais qu’ils usurpent, en les pervertissant.
La société française vit aujourd'hui sous le règne de la tartufferie universelle. Elle en est désabusée et mélancolique.
Les tartuffes sont aussi dans les médias. On y voit et l’on y entend nombre de culs-bénis qui prêchent la bonne parole. Et sont toujours là pour, au nom des plus défavorisés, clouer au pilori les riches, les dirigeants, les élus, les puissants, mais qui n’avoueraient pour rien au monde leur propres rémunérations. Faites comme je dis, pas comme je fais, dit l'hypocrite.
La magistrature n’est pas à l’abri des tartuffinades. On y prononce des peines qui ne sont jamais effectuées, des expulsions qui ne sont jamais mises en œuvre. Et l'on se dit la conscience tranquille. Mais tartufferie aussi la condamnation opportune d’un Zemmour pour des propos tenus en 2020, et l’activation d’une enquête du Parquet a l’encontre de Valérie Pécresse, qui semble une réédition de l’affaire Fillon, au moins dans les intentions des magistrats.
Dans les discours politiques la tartufferie consiste à tenir à chaque segment de la population le langage qui lui plait, même si l’on sait que les positions sont inconciliables. Le « en même temps » est une belle tartufferie quand il laisse croire qu’il donnera satisfaction à tous sans mécontenter personne.
Un exemple de tartuffade aura été le discours d’Emmanuel Macron devant le Parlement européen qui à l’évidence était une entrée en campagne pour la présidentielle de France. Cette instrumentalisation de l’Europe servant de marche-pied à un Président sortant ne pouvait que rencontrer des réactions épidermiques des eurodéputés français. Emmanuel Macron ne s’est pas grandi en y répondant vertement, ignorant le respect dû aux élus. Cette lessive de linge sale domestique devant l’étranger fut un spectacle indigne dont l’hypocrisie aura été la chose du monde la plus partagée.
De quelque côté que l’on se tourne, il faut se rendre à l’évidence, la France est aujourd’hui une République de Tartuffe. C'est une vaste entreprise que d'y démasquer les Tartuffe, mais il n'en est pas de plus noble et nécessaire.
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