La sortie du tunnel
- André Touboul
- 6 sept. 2024
- 5 min de lecture

Au nom de quel principe le Président qui perd la majorité à la Chambre au profit d’une opposition serait-il plus légitime que celui qui la perd sans que se dégage une nouvelle majorité contre lui ?
Mitterrand et Chirac ont chacun perdu une élection législative et ont dû cohabiter avec une opposition devenue majoritaire. Le désaveu était pour l’un et l’autre total, mais tous deux se sont maintenus, en avertissant qu’ils continueraient à exercer leurs prérogatives. « Je ne resterai pas inerte » avait même averti François Mitterrand à la grande satisfaction de la Gauche battue qui n’y voyait aucune forfaiture démocratique.
Certes Emmanuel Macron a provoqué une élection non nécessaire si l’on tient pour négligeable la perspective d’un budget 2025 impossible à boucler dans un contexte de procédure de déficit excessif initié par l’Union européenne. Cet obstacle, il savait n’avoir pas la capacité de le franchir, lui, l’homme du « quoi qu’il en coûte », devenu inaudible quand il appelle les Français à travailler plus.
Accusé d’arrogance et d’autoritarisme, Emmanuel Macron a surtout marqué par son indétermination. La réforme des retraites présentée au cours de ses mandats sous de multiples formes très différentes et antinomiques, n’a pas eu l’apparence nécessaire d’inéluctabilité pour justifier un effort. Ceci en explique la fragilité exploitée par les extrêmes. La loi immigration a encore été l’illustration d’un manque de conviction du Président qui faisait voter un texte en espérant ouvertement qu’il serait largement censuré par le Conseil Constitutionnel.
Parmi les qualificatifs que l’on peut accoler à Emmanuel Macron, il n’y a pas celui d’intrépide. Ce n’est pas par impulsivité qu’il a prononcé la dissolution de l’Assemblée, mais par refus d’obstacle.
Quoi qu’il en soit, il n’est placé devant aucune nouvelle majorité qui pourrait gouverner à l’inverse de sa politique. Le désaveu est moins total qu’on le dit, et ce que l’on ne peut contester c’est que le chemin souhaité par les électeurs n’est pas fléché.
Une part de la représentation nationale va vers l’extrême gauche, l’autre se précipite à la droite extrême. Un troisième tiers se maintient au centre et à droite. Cette indétermination est un fiasco pour Macron, mais à demi seulement. Ce demi-échec devrait-il entraîner une démission alors qu’un échec total ne l’y contraindrait pas ? Une réponse négative relève de l’évidence, alors surtout que c’est dans les périodes d’incertitude que le rôle de garant des Institutions du chef de l’Etat est indispensable. On a vu avec quelle rapidité et mise en scène la Gauche a tenté de s’emparer du pouvoir, en inventant de pseudo-règles d’attribution du poste de Premier ministre aussi non-écrites qu’inexistantes.
Le choix du Premier ministre est de la responsabilité du Président, mais il appartient à la seule Assemblée Nationale de donner, ou pas, à ce dernier les moyens de gouverner. Elle seule peut le contraindre par la censure à démissionner, ce que le Président ne peut juridiquement pas.
Si l’Assemblée Nationale refuse tout gouvernement, c’est bien elle qui sera défaillante.
Emmanuel Macron est coupable de tous les maux de la France, tel est le message que les élites médiatiques et politiques lui adressent. C’est de bonne guerre car, lui, les a mis en accusation, sans ménagement. La méritocratie française qui peuple la haute Administration et métastase dans l’économie et les médias depuis plus de cinquante ans n’ont pas pardonné au Président de les désigner comme responsables du déclassement français. En supprimant les Grands Corps et en particulier l’Inspection Générale des Finances dont il est issu, Emmanuel Macron a montré du doigt les responsables suprêmes du déclin de la France. Avec raison, car c’est toujours l’élite dirigeante qui doit être blâmée quand sa gestion est défaillante.
Cette trahison de l’élite par l’un des leurs n’a pas fait l’objet d’une levée de boucliers, ses membres ont une culture timide qui les pousse à la discrétion. Une vive protestation des Grands commis de l’Etat aurait été perçue comme un corporatisme rétrograde. Désormais, l’élite d’Etat et de l’économie, dont le rôle est de relayer la parole présidentielle, notamment en orchestrant le concert des corps intermédiaires, est aux abonnés absents.
Enhardis par le silence des hiérarques, les hiérodules militants tel le sondeur Jérôme Jaffré agitent la théorie de la démission du Président qui serait la conséquence normale d’une censure du Premier ministre nommé par lui. Sans crainte du ridicule, les LFI lancent une procédure de destitution. Un aboiement de plus derrière la caravane. Quant à Edouard Philippe qui se déclare candidat, et prêt, même en cas de présidentielle anticipée, il sort du bois le poignard à la main. Il a oublié la leçon de Balladur. Même s’ils savent que la trahison est inhérente à toute ascension politique, les Français n’aiment pas les traîtres trop pressés. Il s’est pris pour un Pompidou, il est apparu en apprenti Brutus.
Dans la période d’indétermination politique qui s’ouvre à la Chambre, Emmanuel Macron aura fait son devoir en nommant un Premier ministre recherché avec soin, non sans négocier, bien entendu, une répartition des rôles acceptable par l’un et l’autre. Ce seront désormais les partis qui auront la charge de permettre ou non que la France soit gouvernée.
Le chapitre qui s’ouvre pourrait s’intituler : Les limites de la vengeance d’une blonde. Le RN peut s’opposer à tel ou tel Premier ministre, mais il lui faut désormais se justifier, tel est le prix de son accession dans le cercle des responsabilités. Ce parti devrait opter pour un positionnement texte par texte en contrepartie d’une promesse de passer, peu ou prou, à la proportionnelle. Mais il n’a désormais pas vraiment le choix, censurer Barnier consisterait à remettre à Mme Castets les clés du camion. Nul doute que le fin négociateur du Brexit saura manifester à Marine Le Pen les égards dûs à sa position. Celle-ci serait bien avisée de son côté, de profiter de cette occasion unique de se défaire de la malédiction du Front républicain. Pour espérer des prochaines présidentielles, il restera à la patronne du RN de se dépatouiller de sa promesse de l’abolition de la réforme des retraites ; cette stupidité démagogique pouvant bien lui coûter la prochaine élection, comme la prétention absurde de sortie de l’euro lui avait fait perdre celle de 2017.
Le PS, (dont le nom fait de plus en plus Post Scriptum) est lui aussi favorable à une proportionnelle qui l’affranchirait des chaînes de la servilité où le maintiennent les LFI ; il pourra attendre et voir venir.
Les LR auraient mauvaise grâce à censurer un Premier ministre venu de leurs rangs, et ne voudront pas apparaître comme des empêcheurs de danser en rond. Il restera à Michel Barnier la tâche délicate de former son gouvernement, en puisant à droite, et au centre, mais pas trop près de Macron, et en sélectionnant des personnalités non émétiques pour le RN et le PS.
Sur le perron de Matignon Gabriel Attal a fait figure de gamin face à Michel Barnier, qui donnait le sentiment qu’un adulte était enfin de retour aux commandes de la France. Image cruelle, et sans doute injuste, on lui préférera celle de la sortie du tunnel dans l’obscurité duquel les Mélanchonistes hurlaient comme à la Foire du Trône, pour effrayer le bourgeois.
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