La “vis comica”, contre-pouvoir ou tyran ?
- André Touboul
- 21 févr. 2024
- 3 min de lecture

Les deepfakes, hypertrucages générés par l’IA divertissent les téléspectateurs et les usagers des réseaux sociaux qui n’ont pas toujours conscience de ce à quoi ils participent par leurs clics. Ils posent un problème préoccupant de rapport à la réalité de ceux qui ont pour prétention de commenter l’actualité.
Certains, comme Canteloup sur TF1, annoncent clairement qu’il s’agit de détournement, mais le commentaire, toujours péremptoire, montre que le sous-texte inféré affirme qu’à travers le faux, c’est le véritable vrai qui est révélé. Au demeurant, c’est toujours l’ambition de la caricature de dévoiler la réalité en grossissant le trait. Mais grossir n’est pas trahir.
Bertrand Chameroy, sur la 5, dans sa rubrique de C à vous, triture les séquences glanées dans l’actualité, mais avec le même objectif, au demeurant très subjectif, de faire rire, en déconsidérant. L’artifice prime sur la pertinence, la méchanceté sur l’impertinence.
Chez Yann Barthès, Quotidien sur TMC, on utilise pour la promotion de l’émission l’image du Président Macron qui en conseil des Ministres félicite pour le travail accompli, ce que Barthès prend ostensiblement pour lui-même. C’est un amusant détournement qui ne trompe personne, mais révèle un significatif rapport biaisé d’appropriation du vrai. Alors que l’émission est supposée débattre sur l’actualité, elle se déclare au dessus du réel qu’elle manipule. Elle revendique de s’en servir en le détournant alors que le journalisme doit être la religion des faits. Un exemple parmi d’autres de l’hybridation entre information et dérision.
Le ressort de toute ces manipulations d’apparence ludique est le même. En maniant le ridicule, il s’agit de dire : ne croyez pas à ce que disent les élus.
Il serait naif de prétendre que les dirigeants et opposants, acteurs de la scène politique, sont toujours véridiques, mais il est toxique de mettre en doute systématiquement et comme un principe, leur sincérité.
II est un complot que l’on ne dénonce jamais, car il est d’apparence inoffensive et bon enfant, c’est celui des humoristes, ou plus précisément de ceux qui humorisent la politique. Il ne résulte pas d’une action concertée, car les amuseurs sont des snipers solitaires, il n’en est pas moins réel. Les victimes prises sous un tir croisé où l’un conforte l’autre et surenchérit, n’ont aucune chance d’échapper aux lazzis. Cette lapidation laisse penser que l’élection, loin d’être une accession à le respectablilité, est une forme de pêché adultérin.
Le rire contre les excès du pouvoir est un besoin vital. Sous cape, il est souvent la seule respiration dans les régimes autoritaires. Mais, quand il s’exerce aux dépens de la réalité, il peut être destructeur.
En démocratie, les puissants ne sont pas ceux que le suffrage populaire a placés aux commandes. Ceux-là sont exposés, plus que d’autres aux critiques. Un proverbe africain dit que plus haut monte le singe, plus on en voit les fesses sales. A un moment, l’on ne voit plus que cela. Or, la dérision exerce une action destructrice sur l’autorité. S’il est sain de critiquer les élus, il est malsain d’en faire des têtes de turcs. Inévitablement l’on fait de ses représentants des ennemis du peuple.
Le citoyen peut, s’il connait la vérité factuelle, rectifier, de lui-même, les excès des amuseurs, mais si la vis comica, c’est -à-dire le “pouvoir comique”, est la falsification pour la falsification, le risible tourne en dérision, le rire en ricanement. En un mot, ce n’est pas le réel que l’on atteint par l’artifice, mais seulement l’artifice que l’on promeut par l’irréel.
Il doit exister une déontologie de l’humoriste. Cette limite est simplement le talent qui lui permet de taper juste en cognant fort. Beaucoup aujourd’hui croient qu’ils atteindront ce résultat artistique par la violence du propos. De fait, souvent, ils tirent sur les ambulances où sont les représentants du peuple pour les transformer en corbillards.
La victime collatérale de ces histrions sans génie est l’autorité de l’Etat. Or, cet Etat, c’est nous, citoyens de base. Qu’on le veuille ou non, s’en prendre à nos représentants sans discernement, avec un mépris affiché de la vérité, est séditieux. C’est notre bulletin de vote que l’on brûle dans une sorte d’autodafé frénétique.
Vainement, on arguerait que les traiter tous, majorité et opposition, avec la même vigueur serait échapper à la critique, car justement, si le message est “tous vos représentants sont indignes de respect”, il est facile de comprendre qu’il ne sert à rien de voter.
Le pernicieux de cette prolifération de persifleurs est que l’homme de la rue ressent une certaine satisfaction quand l’on rabaisse ceux qui le gouvernent. Mais quand il devient flagrant que c’est en tordant l’honnêteté qu’on prétend l’amuser, le divertissement tourne au malaise.
Le pouvoir comique, n’est plus un contre-pouvoir salutaire, il devient alors un tyran destructeur.
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