La Vème République à bout de souffle, comme l’Etat providence
- André Touboul
- 10 janv. 2021
- 4 min de lecture

Le « régime des partis » honni par De Gaulle, c’était, dit-on, la démocratie pour les imbéciles. La Constitution de la Vème République devait protéger les Français d’un système voué à l’immobilisme en dégageant des majorités claires. Mais en aucune façon elle ne fut conçue pour faire exploser les partis politiques, bien au contraire, elle organisait un équilibre entre deux têtes de l’exécutif : le Président et le Premier Ministre issus du suffrage universel, le premier direct et le second par sa capacité à diriger une majorité de l’Assemblée Nationale.
De Gaulle n’était pas un dictateur, mais pas non plus un démocrate, n’exagérons rien. Il ne s’est pas cramponné au pouvoir, mais il ne le partageait pas. Il déléguait l’intendance. Et ceci sans réserve, car la majorité du Premier Ministre était la sienne.
La conception gaullienne du pouvoir était militaire, au delà de tout l’adhésion populaire légitimait le chef.
La Vème République n’était pas un régime, mais un homme. On doutait qu’après son fondateur elle résiste au temps. On avait raison. Elle s’est progressivement transformée en une dictature à durée déterminée, par l’affaiblissement des partis politiques et corrélativement de l’Assemblée et in fine l’instauration du quinquennat. Le nom a été conservé, mais l’on a changé son équilibre organique. Cette dérive s’explique par une insatisfaction persistante du corps électoral.
Quand on observe l’attitude électorale des Français, on peut douter de l’affirmation tant de fois répétée qu’ils soient aussi « attachés » à la Vème République qu’on le dit.
Ils sont profondément républicains, au point de confondre parfois la République avec la Nation française, mais il est clair que ce régime ne leur donne pas satisfaction.
L’histoire de la Vème est une longue liste de déceptions. Pompidou n’a dû qu’à la maladie de ne pas affronter le désaveux populaire. Giscard a été congédié au bout de son mandat. Mitterrand a cru en la démocratie à l’ancienne tant qu’il pensait qu’elle était le seul moyen de parvenir au pouvoir. Après, il a cru en la Vème République qui le lui a accordé.
Mais, les désillusions ont suivi. En 1985, la majorité des députés n’est pas de son parti et il doit cohabiter avec un Premier Ministre qui lui était opposé, Chirac. Le pouvoir étant exercé contre Mitterrand, il est réélu en 1988. Très naturellement, puisque c’est désormais une habitude, le peuple rejette toujours l’équipe au pouvoir. Ainsi aux législatives de 1993, c’est un retour de la Droite, et il doit cohabiter avec Balladur, Chirac ayant tiré les leçon de sa première expérience, refusant de se mettre en avant.
Une fois encore, le peuple choisira en 1995, l’opposant, et Chirac est élu grâce à la « trahison » de Balladur. Par la dissolution « stupide » de 1997, la Gauche revient, Jospin est Premier Ministre, et bien entendu il est battu à plate couture en 2002. Et Chirac se maintient car dans la même position que Mitterrand en 1988. Toujours et encore, l’exercice du pouvoir disqualifie.
Avec le quinquennat, Chirac et Jospin pensaient stabiliser le système, et éviter la cohabitation. Le Président est élu, et dans la foulée l’Assemblée l’est aussi, du même bord puisque l’électeur ne se contredit pas du jour au lendemain.
Mais en 2007, ce sera un dissident, opposant à Chirac, Sarkozy qui l’emporte au nom de la rupture. En 2012, Hollande le président normal marque le refus des Français de reconduire l’hyperprésident. Et en 2017, ce sera Macron, fossoyeur de Hollande, poussé par ses propres « amis » à ne pas se représenter.
Emmanuel Macron, s’il était réélu serait le premier à réussir cet exploit. Cette constatation ne dit pas qui le battra ni comment, mais avouons que les statistiques ne sont pas ens a faveur.
Mais pourquoi cette « mauvaise humeur » systématique des Français ? On n’esquiverai pas la question en disant que la raison est multi-factorielle : abstention, dévalorisation de la parole publique, perte des repères, inquiétude devant l’avenir, précarisation d’une part de plus en plus importante de la société, fracture entre les privilégiés du secteur public et le reste de la population, démission des élites intellectuelles...
De fait, tous ces éléments sont la résultante d’une même cause : la faillite de l’Etat providence. Tant que l’Etat pouvait garantir des progrès aux Français, qu’il les protégeait contre les aléas de la vie, et que l’on pouvait espérer une vie meilleure pour soi et ses enfants, les Français ont suivi leurs gouvernants, les yeux grands fermés. La rupture a eu lieu en 1974.
L’arrivée au pouvoir d’une nouvelle catégorie de dirigeants, les administrateurs, a tout changé. On a commencé à « emmerder le Français ». Pour leur bien, évidemment. Mais à l’élan on a substitué les normes, les choix essentiels ont été opérés par des régisseurs, non par des entrepreneurs. L’Etat, de plus en plus lourd et oppressant, fermait plus de perspectives qu’il n’en ouvrait. La promesse de l’Etat providence qui devenait l’Etat nounou, infantilisant la société, s’est révélée impossible à tenir.
L’aveu terrible de Lionel Jospin « L’Etat ne peut pas tout », résume la faillite d’un système administratif instauré pour justement tout apporter au peuple. Elle acte l’inéluctable descente aux enfers. Bientôt, l’Etat n’y pouvait rien. Tout foutait le camp. L’éducation, l’économie, la sécurité... Rien d’étonnant à ce que les serviteurs de l’Etat qui ont pris le pouvoir effectif dans la République soient devenus aujourd’hui des usurpateurs incompétents. De plus en plus la Vème République a des allures d’une Ancien Régime qui ne demande qu’à être bousculé. Un autre avenir, d’autres promesses, de nouvelles perspectives. Un nouvel Etat qui cesse de mentir en se prétendant providentiel.
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