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Le complexe de Kronos

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 7 févr. 2021
  • 5 min de lecture


Que font les psychiatres et les psychanalystes ? Les abuseurs d’enfants, les pères incestueux, les beaux-pères, les grands-pères indignes défrayent la chronique, et le silence de ces praticiens, pourtant si bavards à leur ordinaire pour tout expliquer et traiter, est assourdissant. Point de camisole chimique, aucun neuroleptique n’est prôné, et c’est le commun peuple qui subit l’électrochoc des déviances qui lui éclatent au visage, et lui donnent la nausée.


Pourtant, on sent bien qu’il s’agit d’autre chose que de délinquants qui transgressent leurs devoirs de protection des enfants qui sont sous leur garde... on devrait dire à leur merci. Les maltraitances, ce sont les coups, les abus sexuels, les privations, les placards... et les hypocrites qui se dissimulent sous de prétendus élans amoureux, ou pédagogiques.


Même si l’on admet que, comme dans « Les risques du métier », l’éducateur puisse être l’objet d’une accusation mensongère, le phénomène est trop réel, et trop présent pour que le nier suffise à régler la question. Que fait la police ? Elle arrive toujours trop tard. On invoque la prescription dont on allonge le délai en vain, et contre elle la difficulté à parler des victimes qui ne souhaitent rien moins qu’un procès.


Alors le tribunal médiatique se met en branle. La plus injuste des lois y est appliquée. La loi de Lynch devient une culture de l’excommunication,sans procès. Mais le plus inique de cette dérive est qu’elle ignore les criminels sans grade, les anonymes qui se moquent bien du "qu’en dira-t-on".


De fait, l’on s’intéresse aux victimes; et c’est nécessaire, mais l’on ne fait rien du côté des bourreaux. Rien d’autre que faire craindre un hypothétique châtiment. Alors que dans le même temps on fustige le tout répressif comme inefficace.


Si l’on veut sortir du tragique permanent, traiter le complexe de Kronos à titre principal, devient impératif. Car, c’est bien d’une pathologie de l’âme dont il s’agit. Et pour la décrire, c’est Kronos qui la personnifie au plus près.


On confond souvent Kronos, le Titan, père de Zeus, avec Chronos, le Dieu primordial personnifiant le temps. L’assimilation de Kronos qui mangeait ses enfants, au temps qui dévore la vie est tentante, mais injustifiée. Elle pare le Titan d’une force élémentaire indue. Elle lui confère une fatalité absolue qui en ce qu’il le concerne n’a rien d’inéluctable. Kronos, n’est pas le Temps, c’est un dieu retors et fourbe. Il émascula son père et subit le même sort de la part de Zeus son fils.

Kronos est un père indigne. Son image correspond bien à l’abuseur sexuel de ses enfants, lui-même ayant peut-être été abusé semblablement, ce que laisse supposer la castration du père. Le complexe de Kronos est non l’amour de ses enfants, mais l’appétit de s’en repaitre, et le profond désir de s’immortaliser par la toute puissance.


C’est faire trop d’honneur aux abuseurs incestueux que de les comparer à Socrate, qui pratiquait la pédérastie « éducative », certes condamnable, mais ne se satisfaisait pas sur des enfants. Ses « victimes » étaient de jeunes étudiants en philosophie. Kronos s’attaque à l’enfant. L’infans est celui qui ne peut pas parler, celui qui, en droit, n’est pas doué de raison. Là est l’abus de Kronos, de sa puissance paternelle, faite de force physique et d’autorité, face à l’être le plus vulnérable.

Kronos est un monstre égoïste d’une autre envergure qu’un professeur lubrique jongleur de concepts. Son épouse, révoltée par ses pratiques, finit par le tromper en lui présentant à la place d’un de ses enfants, une pierre qu’il ingurgita, sauvant ainsi Zeus. Ainsi, la prédiction s’accomplit et Kronos fut détrôné.

La pathologie des incestueux peut être dénommée kronopathie. Pour le kronopathe les enfants sont des proies avant d’être leur progéniture. Leur destruction, leur possession est un moyen de perpétuer son pouvoir. Chez les lions aussi, les mâles dominants dévorent les juvéniles que les mères ne protègent pas assez, non par appétit, mais pour éliminer la concurrence.

Céder à cette pulsion est la manifestation d’une maladie. Mais est-ce contre-nature ? Plus exactement, n’est-il pas dans la nature d’exercer sa puissance sur les plus faibles ? Et n’est-ce pas, justement, leur protection qui est spécifique à l’humain, et à l’exception qu’il constitue dans la nature. Une exception, sans doute, liée au fait qu’il nait le plus vulnérable des animaux, et le reste le plus longtemps. Et que dès lors, sa nature, la vraie, est de protéger le plus longtemps possible sa progéniture.

Sigmund Freud a décrit par le complexe d’Œdipe la pulsion incestueuse de l’enfant mâle vers sa mère. Carl Gustav Jung a proposé le complexe d’Electre pour désigner l’attirance de la fille vers son père. Ils n’ont pas accordé de place à l’inverse, la pulsion sexuelle du parent vers sa progéniture. Elle ne procède pas du même mécanisme. Il ne s’agit pas tant d’un simulacre d’accouplement que l’affirmation d’une volonté de puissance. Le père ne possède pas sa fille pour procréer, mais pour accomplir son plaisir ; le bon plaisir du monarque absolu.

Kronos, affirme son éternité en même temps que sa force. Il transcende les générations.


Le silence de la fille abusée, qui se croit en concurrence avec sa mère, qui s’en sent coupable, et qui reste très longtemps interdite de parole, est d’abord une soumission à l’autorité, car il n’est que la conséquence de l’inceste. La cause est le viol par le père, détenteur de l’autorité.


L’émergence de Kronos chez un individu est sans doute liée à une expérience de vie désocialisante. Le rejet des valeurs sociales par un sujet résulte de ses échecs, de sa propre incapacité à se situer dans l’échelle sociale. Cela peut aussi correspondre à des personnalités qui estiment ne pas avoir toute la reconnaissance de leur valeur. Ou encore de ceux qui enivrés de succès veulent aller au confins de la puissance en en abusant. Ainsi peuvent se rejoindre dans Kronos des ratés, des médiocres ou des célébrités.


Kronos est le côté sombre de la force du père. Il est le contraire de l’amour dans tous les sens du terme. Sa possession est faite pour tuer ; et souvent elle y parvient.


Kronos a été reconduit dans son rôle de dévoreur d’enfants sous le nom de Saturne. Il semble que le sacrifice humain des enfants ait été l’un des premiers rites religieux que la civilisation se soit employée à écarter. On en trouve la trace dans le sacrifice d’Abraham, dont la main est commandée, puis arrêtée par Dieu. Etrange commandement, sauf à ce que ce soit pour en conjurer à jamais l’éventualité.


Pour guérir le complexe de Kronos, il faut d’abord le nommer, et le décrire. En effet, pas plus qu’Œdipe, Kronos ne supporte pas de se regarder dans un miroir. La honte est sa meilleure sauvegarde.



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