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Le crépuscule de l’ancien Monde, l’aube d’un nouveau

  • Photo du rédacteur: André Touboul
    André Touboul
  • 24 juin 2023
  • 7 min de lecture



Depuis des lustres, la dénonciation de l’élite est un marqueur de l’extrême droite. C’en était à ce point qu’aucune critique de la classe que Pierre Bourdieu (pourtant bien à gauche) appelait la noblesse du diplôme qui dirige le pays n’était possible sans encourir l’anathème, voire l’excommunication.


Ainsi pleuvaient les qualificatifs désobligeants : populisme, fascisme… Peu à peu, la dure réalité a cependant rattrapé la fiction de l’administration parfaite d’un Etat aussi infaillible qu’omnipotent, mais qui échouait en tout. Une étrange chimère. Il y a eu l’aveu surprenant d’impuissance de Lionnel Jospin lançant : « l’Etat ne peut pas tout », une façon de dire pour cet ancien trotskiste qu’il n’y pouvait rien. Les mises en cause, moins autorisées par un label de gauche, ont été d’abord timides, et ceux qui s’y sont risqué en ont récolté les fruits amers, tel un Sarkozy, ridiculisé et judiciarisé à outrance.

Avec audace, Emmanuel Macron a désigné les responsables de la déconfiture de la France, son déclassement, sa rétrogradation, son déclin. Quel que soit le nom que l’on donne à ce phénomène patent, c’est à l’aristocratie méritocratique qui est aux commandes depuis des décennies, et a pris possession de l’Etat, qu’on la doit.


Certes, de temps à autre, Macron lui-même, qui est issu de cette méritocratie coupable, et jamais responsable, montre par ses dérapages que l’on ne sort jamais indemne de la lessiveuse mentale des hautes études qui produisent année après année des « promotions ». Le terme est éloquent pour dire la supériorité définitive de ceux que le mode de sélection hissait au dessus du commun. Ces brillants sujets ont été nourris dans la pensée que la France avait la meilleure administration du monde, le meilleur système de santé et le meilleur régime d’économie mixte, On ne peut s’étonner que l’idée leur soit venue que tout leur était dû, puisqu’ils étaient les meilleurs et qu’ils étaient l’Etat.

Atteints du syndrome de l’infaillibilité, il leur a été difficile d’admettre qu’ils étaient en échec. Le désarroi qui en est résulté a fini par atteindre les certitudes qui constituaient le socle de leur éducation. La religion du Service public n’a plus de pratiquants et moins encore de croyants. Quand l’intérêt général ne va pas de soi, c’est chacun pour « sa pomme ». Le mot est vulgaire, mais n’est-il pas sorti, récemment de la bouche présidentielle.


Dans ce vide conceptuel, notre élite vacillante a été contaminée par les virus combinés du crypto-communisme et du wokisme qui trouvent leur expression magique dans les rangs de la Nupes. Mais, il faut le reconnaître les métastases n’en sont largement répandues. Le pire de l’Est et de l’Ouest.


La condamnation de « la colonisation comme crime contre l’humanité », et la volonté de « déconstruction de l’histoire de France », sont deux des saillies macroniennes parmi d’autres qui hérissent le poil des Français fiers de l’être et qui voudraient le rester. On aurait tort de voir dans ces balourdises une concession à une culture de la repentance et un calcul politique, ce sont plutôt des stigmates d’une maladie dont Emmanuel Macron a tenté de se soigner, mais qui l’a imprégné trop longtemps pour qu’il en soit guéri. Il s’agit de son conformisme à la bien pensance pensante énarchique sans laquelle il n’aurait jamais obtenu son diplôme.


Et comment ne pas souligner que son ascension politique a été construite sur la stratégie des boucs émissaires, développée par l’élite administrative de permanents de l’Etat contre l’élite des éphémères élus, les intermittents du spectacle politique. Ce n’est pas lui qui a inventé la formule « tous pourris » pour discréditer les élus de droite et de gauche, mais il en a perçu les dividendes.

Il a d’autant plus de mérite à reconnaitre la responsabilité de ses condisciples de l’ENA dans la faillite française.


Il a osé supprimer l’Ecole Nationale d’Administration que Laurent Fabius, un autre expert en la matière, avait qualifiée de machine à « décérébrer », sans pour autant faire quoi que ce soit pour y porter remède. Repenti mais inactif. Certes, la mère nourricière des hauts fonctionnaires a été remplacée par un institut, et c’est bien normal, car la France doit constituer d’être administrée, mais le réquisitoire était prononcé, et la condamnation actée. Les Français qui en étaient venus à considérer que la tyrannie administrative était une fatalité impossible à conjurer, en furent surpris. Ils ne pouvaient pas y croire, et beaucoup encore aujourd’hui restent dubitatifs.


Emmanuel Macon a aussi osé s’en prendre aux Grands Corps de l’Etat. Il s’agit, en l’espèce, de mettre fin à la garantie de carrière des plus hauts serviteurs de l’Etat. Un coup de canif sinon de hache dans le sacro-saint statut de la fonction publique.


Le Statut, Bastille du régime, établi depuis la Libération par le CNR, d’inspiration communiste, qui sclérose tout l’appareil de l’Etat est si massif qu’il ne peut être déconstruit par le bas. Les cinq millions de fonctionnaires ont un poids politique qui interdit d’y toucher ou même d’en parler. Les adaptations de l’Administration aux changements qu’exige le monde qui évolue à grande vitesse, se font donc toujours en augmentant le nombre d’agents publics. La litanie du manque de personnel est une complainte sans fin de tous les services publics, aucun n’y échappe.

De même, Emmanuel Macron a eu le front de déclarer la guerre aux magistrats en désignant un Garde des sceaux qui s’en est pris à la direction de l’école de Bordeaux, l’ENM, jusque là aux mains militantes de l’extrême gauche. Il vient aussi d’engager un bras de fer avec les syndicats devant le Conseil Supérieur de la Magistrature, pour lutter contre leur politisation. L’idée fait son chemin que l’indépendance ne suffit pas à assurer l’impartialité, et que cette dernière est la vertu que l’on est en droit d’exiger des juges.


Dans la logique de cette action, le Président a voulu marquer une rupture de philosophie en constituant son CNR, baptisé Conseil National de la Refondation. De cette volonté de rénovation idéologique, il ne restera sans doute rien, car les participants brillent par leur insignifiance et leur absence de représentativité. La seule action concrète du macronisme aura été la mise en accusation de l’élite. Une façon de couper l’herbe sous les pieds des populistes.


Bien que délibérément passé sous silence par une élite qui contrôle les médias et feint l’indifférence, le bilan de la présidence Macron sur le plan structurel sera pour les raisons évoquées décisif, même si les effets n’en seront visibles qu’à moyen terme. Il apparaîtra alors qu’ils auront été salvateurs, car la sur-administration conduit inexorablement à la paralysie dont on ne sort que par le chaos.


Pour l’heure, l’on voit surtout que c’est l’autorité de l’Etat sous toutes ses formes qui est ébranlée. Les élus ne sont plus respectés, les fonctionnaires non plus. Les plus proches des uns et des autres n’échappent plus à l’hostilité populaire. Il est symptomatique que les maires et les pompiers, voire les médecins soient désormais victimes d’agression.


Après avoir rejeté ses élites défaillantes, le peuple français devra bien s’en trouver d’autres. La pire des utopie serait de croire à un peuple sans élite, une démocratie sans représentants, un corps social d’individus sans intermédiaires. La résultante de cela serait l’émergence d’un régime autocratique pour ne pas dire dictatorial. Toujours, l’abus de la liberté individuelle conduit à sa confiscation par la force.


Aujourd’hui, la vulnérabilité de la France ne vient plus tant de son élite irresponsable et incompétente que de l’absence d’émergence d’une nouvelle élite.


Un pays qui possède une culture aussi riche et ancienne que la France produit pourtant nécessairement des talents. La question qui se pose est de savoir comment ceux-ci, qui ne seront plus canalisés par le système des grandes écoles, pourraient faire éclore une certaine cohérence.


L’ENA est loin d’être la seule institution dévalorisée. Polytechnique et HEC connaissent leurs démolisseurs, ils sont quelques uns, parmi leurs élèves, qui croient trouver le salut en se convertissant à la religion verte, version fin du monde, ou décroissance. Sciences Po a sombré dans le wokisme qui du passé de l’homme occidental voudrait faire table rase. Déconstruire, détruire, canceller, eraser, tous ces mantras ne construisent rien. Ce sont des culs-de-sac de la pensée.


L’intelligence devra bien se réfugier ailleurs que dans ces bastions du passé. Il incombe à nos intellectuels de bâtir une idéologie nouvelle. La tâche est ardue, car les médias classiques sont peuplés de suppôts du monde « d’avant », acquis à la culture de la démolition ou nostalgiques du bon vieux marxisme.


N’ayant pas accès aux médias installés, ils devront user des moyens de communication parallèles, et cela ne sera pas facile, car les réseaux dits sociaux sont encombrés du bruit et de la fureur des colériques et des enragés pour qui la réflexion est un gros mot, et qui ne jurent que par leur indignation.


Il existe néanmoins dans le débat public quelques éléments qui méritent examen.


On prône, un peu partout, la solution du retour d’un Etat fort, recentré sur ses missions régaliennes. Mais cela ne peut être que la résultante d’une société civile qui se prend en mains et se dirige par elle-même. Or, les Français n’ont pas perdu l’habitude de faire appel à l’Etat pour les protéger contre tout et le reste.


La nature a horreur du vide, dit-on. Il suffirait que l’Etat se retire pour que le privé prenne sa place. L’expérience de la fin de l’URSS a montré que quand l’Etat s’effondre, le pays sombre dans l’anarchie s’il n’est pas structuré et coordonné.


La France d’aujourd’hui n’a pas de bourgeoisie pour la diriger, elle hait les riches et exècre la réussite, sauf si elle est sportive ou cinématographique. Elle n’a plus d’ossature administrative, celle-ci est frappée d’ostéoporose. Elle ne peut pas plus se tourner vers le passé en scandant « c’était mieux avant ». Elle a pourtant une jeunesse.


On aurait tort de croire que celle-ci est représentée par les plus voyants et bruyants qui vont emprunter leurs slogans chez les néo-marxistes ou les wokes, ces « éveillés » pas si réveillés que cela.


Nécessairement, car la France a connu bien d’autres vicissitudes, ses ressources propres comme son génie national devraient faire apparaître une élite nouvelle dont l’existence reposera sur une idéologie originale. Car ainsi sont faits les Français que leur exception culturelle est toujours une exigence d’universalisme, c’est dire que s’ils vont chercher ailleurs leurs valeurs du moment, ils les accommodent inévitablement à leur sauce pour en faire des idéaux humanistes.


Dans un prochain article, on interrogera les entrailles de poulets pour déceler les prémices d’une nouvelle idéologie structurante d’une élite française renaissante.


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