Le dernier des Mohicans
- André Touboul
- 6 avr. 2023
- 6 min de lecture

Dans la meute anti-Macron, la compétition est sévère. Les hiérodules jubilatoires rivalisent de zèle pour illustrer la chute du Président… dans les sondages.
La palme d’or revient cette semaine à Jean-Michel Aphatie (prononcer APATI) qui, sur LCI, s’emploie à démontrer que le peuple français, en profondeur, déteste Macron. Il cite des exemples et l’un d’entre eux est stupéfiant. Il expose que lors d’un spectacle où se produisait une chanteuse scandinave, celle-ci a demandé au public de lui apprendre quelques mots de Français et que la salle a spontanément scandé un « Macron démission ! ». A ses yeux, et ses oreilles, ce cri du coeur est significatif d’un rejet fondamental du Président par le peuple de France. L’ennui, c’est qu’au détour d’une phrase le pourfendeur du chef de l’État a observé que la chanteuse venue du froid dont le nom est imprononçable est surnommée Red, alors que, dit-il ingénument, « elle n’est pourtant pas habillée en rouge ». Sans doute Aphatie ignore que Red signifie en anglais « la rouge ». C’était donc une artiste sur-engagée qui a réalisé cette prouesse, probablement avec l’aide d’un ou plusieurs comparses, ce que jadis on appelait une « claque », en profitant d’une assistance, elle aussi du même bord politique. Evidement, le chroniqueur énervé estime impossible que la salle ait été incitée à choisir ces deux mots. Il feint d’ignorer que, tous les jours, dans les stand-ups les vedettes jouent avec le public qui comme un fauve de cirque se prête au jeu. Pour avoir pris les téléspectateurs pour des imbéciles, Aphatie gagne haut la main le concours de l’opposant le plus inventif.
Pour ne pas être en reste, la vestale de la 5, Caroline Roux, interrogeant Yves Thréard, qui, sur la réforme des retraites, remarque que, sans doute, dans quelques mois toute l’agitation d’aujourd’hui sera loin, l’interrompt pour asséner : « cela laissera des traces ! ». Un pronostic ou un espoir ? Certainement pas une analyse objective.
Ces têtes de gondole du paysage audiovisuel brillent par leur ingéniosité, mais, surfant tels Brice de Nice sur la vague improbable des sondages, les médiocres sont en mode « critique systématique », un réflexe conditionné que ne renierait pas le chien de Pavlov.
Les Jocrisses médiatiques déplorent que le Président n’ait pas de majorité absolue qui lui permette de faire voter toutes les lois qu’il souhaite, et « en même temps » stigmatisent son autoritarisme. Ils agitent le spectre de l’immobilisme, et, « en même temps », ils appellent de leurs voeux un retrait du texte de la réforme des retraites. Ils condamnent l’absence de dialogue social, et « en même temps », ils soutiennent les syndicats qui selon eux se renforceraient en claquant la porte ouverte par la Première ministre pour améliorer le breuvage amère des 64 ans. La contradiction ne perturbe pas nos médiâtres, qui semblent être désormais acquis à la méthode Macron du « en même temps ». Il faut l’admettre, celle-ci est bien commode. Au-delà de la volonté de ne rien s’interdire par idéologie de droite ou de gauche, pourvu que cela marche, (enfin en principe), il s’agit, par cette technique réthorique, de s’autoriser à affirmer n’importe quoi sans se soucier de la moindre cohérence.
Ce désordre dans les esprits interdit de voir que ce qui est en jeu est le sort de l’institution présidentielle.
Dans la République de 58 réformée 62 par l’élection du Président au suffrage universel, ce rendez-vous démocratique est le seul où les Français ont le sentiment de pouvoir influer directement sur leur destin.
Cette épreuve de vérité est cependant d’une exigence redoutable quant à la qualité des candidats à la magistrature suprême.
Si la fonction créait la qualité de l’organe, l’intronisation suffirait à consacrer le monarque. Mais l’onction du suffrage universel n’a pas la vertu de l’ampoule sainte de la cathédrale de Reims. On ne fait pas un gagnant du tiercé en habillant un baudet d’une belle casaque de Prix de l’Arc de Triomphe.
Force est de constater que, depuis Charles De Gaulle, les Présidents n’ont cessé de baisser d’intensité en matière de lien avec le peuple. Giscard d’Estaing, colin froid sans mayonnaise, aristocrate comme d’autres sont de nouveaux riches, a vainement couru derrière une image populaire l’accordéon à la bretelle. François Mitterrand n’était vénéré que par une élite de gauche qu’il gâtait de ses largesses en prébendes et mesures sociales dont la France n’avait pas les moyens. Jacques Chirac, dont on se plait à rappeler aujourd’hui la fibre populaire, était lors de ses mandats « Super-menteur » et qualifié de roi fainéant. Sarkozy le surexcité et Hollande le normal ont été remerciés, comme Giscard, après un CDD à l’essai. On a oublié Pompidou, car il n’a laissé aucune véritable trace.
Emmanuel Macron polarise les critiques. Immature, entêté, autoritaire, solitaire, maladroit, méprisant, hautain… il mérite sans doute ces qualificatifs, mais, surtout, il illustre la vérité incontournable qui dit que la fonction présidentielle exige des qualités hors normes, surtout humaines. Le charisme n’est pas en vente à Monoprix, il ne s’invente pas. La fonction présidentielle est un costume trop grand pour les simples mortels qui ont succédé à De Gaulle, lui-même de la dimension de Jeanne D’Arc ou Napoléon dans l’imaginaire des Français.
Ainsi, le peuple de France est voué à être déçu par les Présidents qu’il se donne. La sagesse voudrait que l’on revienne sur la réforme de 1962 et que le Président soit désormais désigné par la voie du suffrage indirect.
Cette solution aurait l’avantage de redonner du poids au Parlement. Et de s’assurer que le Président n’est pas déconnecté de toute assise populaire.
Mais la réelle réforme de fond serait de restreindre les pouvoirs du Président pour en faire un véritable arbitre des compétitions partisanes et uniquement gardien du respect des institutions.
Plus que le mode de désignation du Président, c’est l’équilibre des pouvoirs entre lui et le Parlement qu’il faudrait réformer. Cela n’aurait pas d’incidence sur l’efficacité de l’exécutif qui resterait entre les mains du Premier Ministre.
Le dépérissement des corps intermédiaires, partis politiques , syndicats, collectivités locales, associations, est une conséquence mécanique de l’élection du Président au suffrage universel et de la concentration des pouvoirs entre ses mains.
Il n’est donc pas surprenant que le fossé entre l’Etat et le peuple se creuse et devienne infranchissable faute de disposer de ces passerelles indispensables à l’élaboration de la loi, son acceptabilité et la réussite de son application. Si l’on assiste de ce fait à une crise institutionnelle, elle reste à l’intérieur du périmètre démocratique et il est faux de prétendre comme le fait Laurent Berger qu’il y ait une crise démocratique.
Emmanuel Macron ne démissionnera pas, il n’abdiquera pas, mais il sera peut-être le dernier des monarques républicains. En quelque sorte le dernier des Mohicans.
Depuis 1962, il y a eu plusieurs réformes constitutionnelles, de fait ou de droit, elles ont toutes tendu à limiter le pouvoir de l’exécutif. L’avénement du Conseil Constitutionnel, la limitation d’emploi du 49.3, la réduction du mandat présidentiel à cinq ans, ont répondu à cette logique.
A mesure que l’État perdait son autorité, l’on a tenté de la restaurer en bridant l’exécutif. L’idée sous-jacente étant de rendre les décisions de la puissance publique plus respectueuses des volontés populaires, donc de la démocratie. Cette stratégie n’a pas eu les résultats escomptés. L’expression d’une partie du peuple s’est déplacée dans la rue, sacralisée comme une forme moderne (sic) de la démocratie, et sans doute la plus pure (re-sic).
Le hiatus de légitimité entre le Président et le Parlement se situe en réalité au niveau du contrôle de l’exécutif. Dans le système actuel, il est à la main du Président, le Premier Ministre, nommé par lui, pouvant uniquement être censuré par l’Assemblée Nationale, si elle dispose d’une majorité alternative. Quand l’élection législative fait advenir une majorité non favorable au Président, c’est la cohabitation. Comme on l’a vu plusieurs fois, le rôle du Premier Ministre est capital.
La véritable nouveauté des élections de 2022 est la disjonction entre le résultat de la Présidentielle et des législatives, ceci malgré l’instauration du quinquennat qui était censé mettre fin aux périodes de cohabitation.
Cette fois, la discordance a été partielle. On peut prévoir qu’en 2027, le (ou la) Président élu ne disposera pas de majorité absolue ou même relative. En effet, le paysage politique actuel laisse penser qu’aucun parti ne sera en mesure de réunir une telle majorité. L’extension du RN, construit sur des ambiguïtés, n’est pas sans limite ; la déraison de la NUPES semble avoir atteint les siennes. La Gauche réformiste et la Droite de gouvernement sont hors de combat, mais n’ont pas disparu. Quant aux macronistes, ils sont promis à disparaitre, chaque courant de gauche et de droite ayant vocation à rejoindre son camp.
Le quatre-quarts est un gâteau auquel la politique Française ressemble de plus en plus. L’ennui est que les ingrédients ne sont pas susceptibles de se mélanger, ni de se réunir pour soutenir le futur Président.
La seule voie raisonable serait qu’il surgisse à droite (car la gauche n’a pas de solution dans la conjoncture présente) un leader qui redonne vie à un mouvement pragmatique. Pour le moment, il n’apparaît pas, et les ambitions de plusieurs personnalités ne paraissent pas susciter l’enthousiasme. L’heure n’est pas venue. Comme dit la sagesse populaire, c’est au pied du mur que l’on voit le maçon. Les sondages sur le sujet de la présidentielle sont aujourd’hui incongrus, mais il est peu probable que la personnalité providentielle qui est nécessaire dans le système actuel surgisse du néant.
La seule manière pour Emmanuel Macron de sauver sa mandature serait de proposer des réformes qui renforcent le Parlement. Celles-ci seraient évidement acceptées, et préparerait un avenir apaisé.
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