Le Diable existe il habite dans les statistiques
- André Touboul
- 24 sept. 2023
- 2 min de lecture

Dans un ouvrage courageux, mais difficile à lire, le docteur en philosophie Sami Biasoni dénonce le « statistiquement correct » qui a pour objet de prouver les idées reçues, « politiquement correctes » en les habillant de chiffres. Il dénonce cette apparence trompeuse de réalité d’une « statistique correcte», c’est-à-dire « exacte » description du réel, en relevant les biais techniques qui affectent les données dont on se sert (consciemment ou non) pour justifier ses positions militantes.
Le fait que l’on fasse dire aux chiffres ce que l’on veut, et aux sondés ce que l’on souhaite n’est pas une révélation. Il est cependant nouveau que la presse installée qui fait de l’exploitation des chiffres son pain quotidien, et qui structure ses argumentaires par des sondages sans lesquels elle serait un aveugle tâtonnant dans la nuit, publie une telle étude. Il est donc singulier de voir reproduites de bonnes feuilles de l’ouvrage dans Le Figaro.
Il ne s’agit pas de relativiser les vérités, les rendre subjectives en autorisant les alternatives. Les faits sont les faits, mais les habiller de chiffres pour les interpréter est une autre affaire. Les sondages sont un exercice périlleux, mais plus généralement les statistiques de toutes sortes ne peuvent être prises pour argent comptant. Il est impératif de savoir qui les a établis, comment et dans quel but. Dans la vie courante, cet effort est inexistant, dès qu’un chiffre est lancé chacun s’en empare, il devient la réalité. C’est là et plus que dans les détails qu’habite le Diable.
D’un point de vue philosophique, on doit souligner le mal absolu que constitue la réification des humains, quand ils ne sont plus que des nombres. En soi, la statistique est une œuvre diabolique. Plus que le mensonge, mal relatif à sa motivation qui peut être pieuse, elle se pare des vertus du scientifique pour déshumaniser.
Dans l’antiquité, les hébreux interdisaient les recensements considérés comme un redoutable instrument de pouvoir. »ils n’étaient plus que des nombres », chante Jean Ferra dans Nuit et Brouillard, rappelant que l’une des horreurs de la Shoah, et pas des moindres, fut d’inscrire des numéros sur les bras des humains destinés à la mort industrielle.
On dira avec raison que, sans les statistiques, il serait aujourd’hui impossible de concevoir telle ou telle politique mener et d’en juger des effets. Certes, mais il n’est pas acceptable qu’il n’existe aucune instance déontologique qui s’impose aux statisticiens. Aucune publication de chiffres ne devrait être autorisée sans avoir été vérifiée dans ses voies et moyens par un institut indépendant, dont le rapport devrait y être joint. Loin d’être une censure, cette procédure n’interdirait aucune expression, mais constituerait une protection du citoyen lambda qui ne dispose pas des outils et du temps pour apprécier la fiabilité des chiffres statistiques dont il est abreuvé sinon accablé.
La dictature des statistiques, et en particulier celle des sondages, est un danger pour la démocratie, dont le premier ennemi est le détournement des libertés qu’elle autorise. Distordue par les statisticiens tricheurs en habit de gala, la vérité qui est encore plus têtue que les chiffres finit toujours par se venger au dépens de ceux qui font naïvement confiance à la religion du chiffre, car elle est diabolique.
Comments